A eux deux, Akhenaton et Faf La Rage ont noirci assez de rimes-books pour reconstruire le World Trade Center. Aussi, quand les deux Marseillais dans le circuit depuis plus de vingt ans décident de faire chauffer leurs plumes pour un album commun, on sait d’instinct que la barre sera placée assez haut en termes d’exigence lyricale. Nom du projet : We Luv New-York, un album d’artisans en forme d’hommage à cette ville qui a forgé les deux Mc’s, et plus globalement une grande partie des rimeurs hexagonaux des années 80-90, et dont le magnétisme incontestable continu d’opérer. Breakbeats furieux, samples minimums, fumet old-school. Rimes en coup de tatanes à la gorge, vannes tailleuses de jarrets, punch-lines briseuses de nuque. This is We Luv New-York.
Ca ne sera pas la question la plus originale de la journée, mais comment est né We Luv New-York ?
AKH : C’est un projet de mixtape au départ. Faut savoir que nos deux studios se touchent et sont juste séparés par un porte et, bizarrement, à part quelques apparitions, on n’avait jamais rien fait ensemble. On se connait depuis 25 ans et c’est toujours « tiens, écoute j’ai fait ce son qu’est ce que tu en penses ? » « tiens j’ai posé ce couplet là écoute ! », on se faisait écouter nos trucs et moi j’avais à cœur avec le lancement de MeLabel de faire une mixtape qui s’appelait I Love New-York pour rendre hommage à cette ville qui a fait que je suis là aujourd’hui. Un jour, je rentre dans le studio pour expliquer à Faf le concept et de suite il était partant, ça a pris 10 secondes ! Ensuite on s’est mis à collecter les instrus, on est parti sur des trucs avec beaucoup de samples mais quand le projet est devenu un album et qu’on a commencé à recevoir les factures de clearance de samples, on a du abandonner l’idée… Quand on te présente des factures de 15.000 ou 20.000 $ pour un sample, aujourd’hui il n’y a que Rick Ross qui peut se le permettre. Ca nous a obligé à mettre des titres de côté, qu’on a pourtant enregistrés mais qui ne sortiront jamais
FAF : on en a enlevé facilement 5 ou 6 où la boucle était évidente et où le budget sample aurait englouti celui de l’album donc au bout d’un moment tu es obligé de faire des choix. A part ça, tout s’est fait de manière très fluide. On ne s’est pas pris la tête, on n’a pas rationnalisé à dire « il faudrait mettre ci ou enlever ça, que ça soit plus comme ci et moins comme ça », on a fait les morceaux en se disant les trucs directement «j ‘aime pas ton couplet, tu peux faire mieux etc.. »
AKH : La seule chose qu’on n’a pas voulu faire, c’est un album vannes-égotrip-marrant, parce qu’au bout d’un moment, même nous ça nous aurait fatigué. Alors on a essayé de se trouver certains sujets, le lien avec NY n’est d’ailleurs pas forcément dans le sujets mais dans la manière d’aborder certains thèmes. Un titre comme PPDLM par exemple qui est une description abominable de la société française par deux types complètement aigris, cette façon d’aborder ce sujet c’est des choses qui ne sont plus dans le rap français mais qui existaient dans les albums de Genius quand il était sur Cold Chillin’. Cette façon de raconter des histoires en se mettant dans la peau d’un personnage. Comme des K-Solo , des Kool G Rap ou des Rakim. Des mecs écrivaient et qui ont été une grosse influence aussi pour nous.
A NY, il en reste encore des comme ça aujourd’hui même si on entend souvent que le rap New Yorkais est mort. C’est pas qu’il est mort, c’est qu’il vend moins ! Mais quand t’as des mecs du Sud qui vendent, qui est ce qu’ils invitent en featuring ? Des rappers de NY qui sont dans un angle mort du Hip-Hop ! Parce que les mc’s qui vendent gardent toujours une oreille sur ceux qui savent écrire, et c’est pour ça que des fois tu retrouves Talib Kweli sur des morceaux où normalement il n’a rien à y faire.
C’est plus un hommage à NY et son état d’esprit…
FAF : On voulait vraiment que les gens qui aiment le rap et le hip-hop et qui sont un peu sur la même longueur d’ondes que nous s’y retrouvent. Qu’en sortant de l’écoute ils aient l’impression d’avoir fait un séjour là bas mais aussi un crochet par Marseille ou Paris tout en revenant toujours sur NY par une phrase ou une atmosphère qui t’y fait penser. Et aussi parce que de toute manière notre art vient de là bas et que même quand on ne veut pas on finit par y revenir.
AKH : Par exemple sur un morceau comme MRS qui n’est pas du tout NY et qui parle de Marseille, on a pris la routine de TONY de Capone N Noreaga. Il y a toujours un clin d’œil, même sur des morceaux comme This Is It.
FAF : Là c’est un modèle Mob Deep. Le rimshot, le gros boom, le sample, c’est Hell On Earth, c’est tout ce qui a influencé le Hip-Hop dans les 90’s.
J’ai juste pu écouter un sampler qui mixait quelques bribes de titres et d’autres en entier, alors je vais me concentrer sur ceux dont j’ai pu entendre plus de 2 ou 3 mesures (Au moment de l’interview, seul un sampler de quelques minutes était disponible.NDR).
L’exercice de style de « …euh » avec que des rimes en « euh » justement, c’est quand même plus facile que de faire des rimes en « outch » ou en « ak » non ?
AKH : C’est apparu dans le rap sous l’influence des dj jamaïcains qui faisaient des longs couplets de toast avec la même terminaison. C’est arrivé dans le rap fin 90’s et FAF une fois dans un freestyle radio fait « euh ». J’ai trouvé ça mortel et je l’ai gardé en tête. Quand on a fait WLNY, je lui ai proposé de faire une version longue de « euh » avec breakbeat à la SP12 et tout !
FAF : C’est vrai qu’on aime bien ce genre de trucs qui sont aussi une manière de se faire plaisir en montrant que nous aussi on savait faire ce genre d’exercice sur lesquels on s’extasie aujourd’hui et que nous on fait depuis toujours ! Aujourd’hui des mecs font des morceaux avec des rimes en « a » et ça rend les gens dingues ! Sur C’est Ma Cause, j’avais un morceau avec que des rimes en « on » et personne n’est jamais venu me dire que c’était mortel…
AKH : le problème qu’on partage FAF et moi, c’est que notre public nous écoute pour les textes et pas pour l’aspect technique.
Sur un morceau comme We Luv New York, vous dédicacez beaucoup de rappers New Yorkais et je n’ai pas entendu de big up à Public Enemy. Personnellement je trouve ça très grave…
FAF : T’inquiètes elles y sont !
AKH : Dans The Show, tout le couplet est fait avec le flow de Bring The Noise ! Un jour j’ai eu la chance de rencontrer Chuck D, dès que je l’ai vu ça a fait « uuuuuuuhuuuuuuuuhuuuuuuuh » dans ma tête ! (sirène de Terminator X To The Edge Of Panic.NDR), j’étais fou et en même temps très content de rencontrer quelqu’un qui correspondait à ses textes.
FAF : Public Enemy a quand même révolutionné la musique en faisant du bien aux mentalités même si à un moment ils ont pu être contestés suite aux dérapages de Professor Griff.
Clubber Lang Music, comment vous expliquez que Clubber Lang est le seul ennemi de Rocky qu’on est obligé de kiffer ?
AKH : Parce que c’est un punchliner !
Clubber Lang Music c’est la musique des gars qui ont les crocs et qui veulent aller taper les champions…
AKH : Exactement ! Clubber Lang Music c’est l’essence même du rap ! L’émulation de vouloir être le meilleur dans ta catégorie, c’est quelque chose qui existe dans le sport et dans le rap mais dans aucune autre musique, en tous cas de manière aussi déclarée. Après il faut juste que les critères soient les bons, si c’est le sac de sport, la voiture, la maison et le compte en banque, là on n’est plus dans le rap mais dans Forbes Magazine. Si c’est le fond, le flow, et les prods, ça devient quelque chose de complètement sain qui fait progresser beaucoup de groupes.
PPDLM (Pur Produit De La Merde), vous dressez deux portraits bien dégueulasses de beaufs à la bêtise crasse. Juste pour se rassurer, c’est pas une facette enfouie que vous avez décidé de révéler au public ?
Ensemble : Noooon !!
FAF : Dans ma partie, je dis quand même à la fin « regarde bien dans le miroir et tu verras ma face », quelque part c’est la partie sombre qu’on arrive à repousser mais qui ressort parfois sous le coup de la colère.
AKH : Pour mon couplet, je me suis inspiré des émissions de radio que j’écoute parfois le matin ou le soir juste pour me rappeler où j’habite, ces espèces de débats extra-terrestres. C’est une compilation de ce que j’ai pu noter, la phrase « qu’est ce qu’on fait pour les frang-çais ??!!! » elle est véridique ! Je l’ai entendu et je me suis dit que j’allais la mettre dans le couplet ! Le jour où j’écoutais, une espèce de punchliner est passé à l’antenne et a vomi son sac, ça parlait de la caf, de l’école, d’Al Qaida, des noirs en bas de chez lui, de tout ! Et à la fin ça c’est conclu par « Monsieur Bourdin je vous le demande, qu’est ce qu’on fait pour les frang-çais ?!!! »
FAF : A un moment donné il a fallu se freiner parce que tu peux te retrouver avec une tartine tellement y’en a à dire !
Pour finir, 3 albums représentatifs du NY que vous aimez ?
AKH : Ah Yes !!! Eric B and Rakim – Paid In Full. Lord Finesse – Funky Technician. Blackstar, Mos Def et Talib Kweli. Criminal Minded de BDP et pour le dernier Big Daddy Kane -Long Live The Kane.
FAF : Le Eric B and Rakim et le BDP. Biz Markie, Goin Off. Ultramagnetic Mc’s – Critical Breakdown. Je vais rester dans le vieux avec EPMD et Strictly Business et pour finir je mettrais Notorious Big, Life After Death…
AKH : Raekwon, Only Built For Cuban Linx ! Nas, Illmatic !! Excusez moi !
FAF : Tous les premiers solo du Wu-Tang sont bien ! Pour finir, je dirai LL Cool J- Radio ! Et Jay-Z, Reasonable Doubt et Blue Print aussi.