In Paradisum

Michel Berger imaginait s’en aller dormir dans le paradis blanc. In Paradisum tiennent à vous conserver éveillés dans un paradis noir. En moins de deux ans d’existence, de soirées mensuelles et une poignée de sorties, In Paradisum épate par sa détermination à établir une esthétique noire anthracite et dure comme une barre de béton. Maison de Low Jack, Qoso ou Ricardo Tobar, ce petit cousin Français de Modern Love ou Hospital Productions est de ceux à vouloir inventer un nouveau jour à la techno française aux côtés de DEMENT3D ou Antinote. Il était grand temps de rencontrer ses deux tauliers – Guillaume Heuguet et Paul Regimbeau (qui n’est autre que Mondkopf) – voilà chose faite.

Question somme toute anodine pour commencer : In Paradisum c’est quoi, c’est qui ?

Paul : c’est moi Mondkopf et Guillaume. On a débuté à l’origine pour sortir ma musique, début 2012, car je n’avais plus de label à l’époque. Donc on s’est décidés à monter le notre, Guillaume avait déjà Fool House et moi ça m’offrait un label où j’avais la direction artistique ce qui me permettait de sortir la musique de potes dont j’appréciais le travail.

Vous devez êtes au courant mais selon Wikipédia, l’In Paradisum c’est « le dernier chant d’une absoute pour accompagner le cercueil du défunt vers le cimetière ».

Paul : voilà ! (rire)

Donc la ligne esthétique du label était déjà définie dans le nom en fait ?

Guillaume : c’était à l’origine le nom du blog de Paul. C’était beaucoup de metal, pas forcément de la musique électronique et au moment où on a monté le label ensemble, le nom du blog collait déjà bien à ce que l’on voulait faire.

Paul : et le nom vient surtout du Requiem de Fauré. Je l’adore, c’est surement ce que je préfère écouter toute catégorie confondue, donc on a vu ça comme un hommage.

Guillaume : et on entend souvent que c’est vraiment cool d’avoir une soirée nommée In Paradisum, immédiatement tu installes un truc.

Paul : il y a peut-être un truc un peu grandiloquent aussi. (rire)

Mais c’est vrai qu’on dirait que le nom guide artistiquement le label, il y a quelque chose de très romantique dans In Paradisum.

Guillaume : c’est vrai qu’on aime bien la musique intense, voire à la limite du sacré. C’est un truc qui revient souvent. Et ça nous permet de définir toute une charte esthétique, comme les affiches réalisées par quelqu’un qui vient du metal. Et puis il y a quelque chose qu’on a réalisé récemment, c’est que lorsque tu n’as pas un nom type « Datatechno », tu vois la musique que tu sors autrement. Ça oriente le regard que tu portes sur ce que tu sors. On a choisi ce nom là aussi pour nous rappeler qu’on n’a pas choisi de faire un label de techno.

Ceci-dit j’ai le sentiment que la techno se radicalise, s’obscurcit ces temps-ci. Et au-delà de voir quelques artistes converger par là, j’ai aussi le sentiment que le public suit. Par exemple Sigha et Shifted en b2b ça excite les foules, Darling Farah ça remporte souvent les suffrages des lecteurs ou encore tu entends des très jeunes te parler de Rrose… Ce sont des choses que l’on n’aurait pas vu ici il y a encore peu. Ça vient d’où selon vous ?

Guillaume : j’en ai aucune idée… On a commencé les soirées au Rex sans savoir si le public allait suivre et on a découvert que Julien de DEMENT3D partageait nos goûts. C’est un peu avec lui que ça a décollé. Mais sinon, j’avais le sentiment qu’il n’y avait pas de scène à Paris ou même dans le monde et que cette musique n’intéressait pas grand monde. Après c’est vrai que l’on voit plus cette musique dans les médias, aujourd’hui. Mais, je ne sais pas qui sont les personnes qui achètent nos disques. Par contre, je sais ce que nos artistes écoutaient, Low Jack adorait Christian Vogel plus jeune, moi c’était Errorsmith, on s’est retrouvés là dessus.

Paul : je pense qu’il y a un truc de génération, la nôtre est celle qui a écouté ça étant plus jeune. Et puis on sort de toute une période de deep house ou de DJ type Villalobos qui proposaient quelque chose de moins impulsif et je crois qu’il y a eu une lassitude vis à vis de ça.

Guillaume : oui au début tu vas en club pour t’éclater et c’est important mais en ce qui me concerne, je sors en club pour la musique et on a connu une période où ce qui était proposé nous allait pas du tout, rien ne nous prenait aux tripes. On a envie que ça soit frontal, que ça vienne te chercher, qu’il se soit produit quelque chose et que la musique ne soit pas juste la bande-son d’une commande de cocktail. Il y a autre chose qui doit être impliqué. Et il y a dû avoir un phénomène de saturation.

Paul : et puis, il y a un truc agréable avec cette scène c’est que tout le monde reste humble. Tu n’as pas eu de prise de grosse tête comme un Luciano ou autre.

Guillaume : c’est vrai que ce ne sont pas des mecs qui prennent des cachets mirobolants, ils respectent énormément leur public et ils ne cherchent pas uniquement  le succès. Ça reste humain. On avait besoin de ça après l’explosion qu’a connu l’éléctro ces dernières années.

Paul : ouais, c’est peut-être la branche la plus radicale de la techno mais c’est surement aussi la plus humaine.

Alors du coup, on va tenter une analyse socio-economico-esthétique :

*Est-ce que l’austérité dans le son, n’est pas un écho à l’austérité dans la politique. Surtout que la techno ici peut se voir comme un parallèle au trajet Paris-Berlin de la politique européenne.

*Et puis, est-ce qu’un son radical en 2013, c’est pas la rupture logique à dix ans de Ed Banger en France ?

Guillaume : honnêtement moi je penche pour ça. Je ne comprends pas qu’il puisse y avoir une telle tyrannie de la joie dans la musique. Avec toute la palette d’émotions qu’offre la musique, je trouve que ça tourne en rond. La vie ne se résume pas à des soirées au Showcase à commander des cocktails. Ou s’acheter des baskets.

Paul : après on va te dire, on sort pour s’extraire du quotidien, pour s’oublier.

Guillaume : mais moi je suis d’accord avec ça. Dans le fond, je me fous que la musique soit joyeuse ou triste ou autre, je veux qu’elle soit intense et qu’elle permette de t’oublier. Sinon tu n’arrives plus à y croire. Les disques que l’on sort sont ceux que je regrettais de ne pas entendre à cette époque. Il y a une place pour eux.

Et comment le public répond à ça ?

Guillaume : hyper bien. À chaque fois qu’on est au Rex, tu as le sentiment que les gens redécouvrent ce que ça veut dire être en club. Tu vois, la dernière fois Untold a commencé avec dix minutes sans un kick, c’était super ambient et c’est des ambiances de club que tu ne vois pas quand tu as un truc house qui monte et descend. Le public est dépaysé au début et puis une fois qu’il rentre dedans, ça fait office de défouloir. Parfois, je book des trucs et je me demande si je vais pas pourrir l’ambiance. La musique ça reste un truc de partage, j’ai pas envie qu’on passe pour des snobs ou des provocateurs. Et je sais pas quel pourcentage ça représente mais pour les gens qui rentrent dedans, ça a l’air de vraiment valoir le coup, donc c’est cool.

Et pour en revenir à l’écho de l’époque dans la techno ?

Guillaume : je ne sais pas du tout… (rire)

Paul : je ne pense pas qu’en France, on ait ce côté rebelle…

Guillaume : pourtant, vu le nombre de grèves…

Paul : ouais mais c’est des grèves justement, c’est assez passif, c’est pas un soulèvement populaire… Tu vois c’est pas nous qui aurions pu inventer le punk. Même dans les artistes qu’on book, il y a pas tant de Français que ça.

Guillaume : c’est vrai.

Paul : après peut-être qu’ils existent et qu’on ne le sait pas. On essaye de les faire sortir d’ailleurs (rires) mais je pense qu’ici on a plus quelque chose d’intimiste, situé au niveau de la personne.

Guillaume : même dans la façon d’aborder le monde, je ne pense pas que ça ait un rapport avec la politique environnante ou que le climat actuel ait une répercussion dans la création.

Paul : je crois qu’on arrive à un stade où la techno a été faite, l’indus aussi et naturellement ça se mélange. Je pense que c’est juste le moment du point de convergence.

Julien de DEMENT3D a une idée intéressante, il parle de génération post-Berlin. C’est à dire que même les plus jeunes on déjà fait plusieurs allers-retours là-bas et que l’oreille de l’auditeur moyen s’affine. Du coup, il rechercherait toujours plus pointu.

Guillaume : je ne pense pas, Berlin, c’est un truc de fête et ça n’a pas gros rapport avec l’esthétique musicale. Après quand tu regardes, au Berghain, il y a un type qui le vendredi programme sensiblement la même chose que nous. Mais ça n’a pas l’air d’être le truc le plus populaire du monde… Ça n’a pas l’air de cartonner. Quand tu lui parles, il te dit qu’il fait son truc à Berlin mais que Berlin c’est pas ça. D’un autre côté le combo Dettmann-Klock ça a peut-être aidé dans la mesure où ça montrait que tu pouvais faire un truc dur, hangar, etc mais… on est encore loin de Demdike Stare, je crois pas que Berlin favorise d’une quelconque manière ce genre d’esthétique ou que ça pousse le public vers quelque chose d’un peu plus difficile. Après, il y a des trucs cools à Berlin, la première fois que j’y suis allé, entendre comme ça de la techno à gros volume, oui ça procure des sensations fortes que tu as envie de prolonger. Après ça reste un endroit où faire la fête, d’autant que la plupart du temps quand on te parle du Berghain tu te rends compte qu’il s’agit du Panorama Bar. Même les sorties d’Ostgut Ton, tu ne retrouves pas les cinq heures droites et dures de Dettmann.

Toujours dans cette dureté du son, quand ça n’est pas l’indus, on retrouve pas mal de Doom dans la techno actuelle. Par exemple, à titre personnel, ça a été quoi la porte d’entrée du metal chez Mondkopf ?

Paul : ça a été plein de petits détails. Je pense que Sunn O))) m’a pas mal aidé, mais c’est aussi du drone… et qu’est ce qui m’a fait aimer le drone ? Parce que dans le fond c’est quelque chose d’aussi radical. Je me demande de temps aussi ce qui a pu me convaincre dans le genre, un état d’esprit à un moment donné peut-être. Et puis à une époque j’écoutais Tim Hecker, ce genre d’ambient contemporain a dû m’habituer. Quoi qu’il en soit, même quand j’écoutais du hip hop, j’écoutais des trucs assez violents donc… voilà maintenant le metal. Et puis je fouille, je dig dans tous les genres et… je me demande quelle est la prochaine étape… (rires)

Du screamo ?

Paul : c’est déjà fait ça ! Et puis c’est pas le plus violent. Mais souvent je me demande ce qu’ils ont bien pu vivre pour en arriver à un tel degré de violence… (rires)

En tout cas, il y a chez In Paradisum, un parti-pris esthétique commun, c’est indéniable. Mais est-ce que c’est parce que ces artistes là avaient cette esthétique que le label est ainsi ou alors vous recrutez les artistes en fonction de cette même esthétique ou est-ce qu’ils viennent vers vous avec un projet y collant…?

Guillaume : c’est une très bonne question ! (rires) Pour le coup, on est un groupe qui se connaît depuis un moment et qui s’influence réciproquement. Après, Paul écoute du metal et ça m’en fait pas écouter plus mais ça m’a ouvert à quelque chose de plus grand que la musique électronique. Quand la techno devient dysfonctionnelle ou qu’elle part un peu trop loin, c’est quelque chose que j’aime vraiment écouter. Et sur ce point, on se rejoint tous au sein du label. En fait, on prend quelque chose de très précis dans tout ce qui compose le panel artistique de quelqu’un et en développant une relation humaine avec lui, tu te rends compte qu’il y a un truc qui t’intéresse spécifiquement pour le label. Ça vaut pour Low Jack comme pour Somaticae. Après discussion, ils peuvent partir dans une certaine direction à laquelle ils n’auraient forcément pensé autrement.

Paul : après dans les demos qu’on reçoit, je ne suis pas persuadé que les mecs se disent qu’ils ont fait ça spécialement pour nous.

Guillaume : mais si, j’en ai plein, ils le disent clairement, « ça colle à votre esthétique, c’est différent de ce que j’ai fait avant« . Bon on n’a pas encore signé de démos pour l’instant. Mais je trouve ça bien que je sache pas exactement quel est le son du label. Tu sens qu’on a une envie commune mais que les artistes y arrivent par différents moyens.

Ou alors si ça n’est pas une esthétique précise, c’est peut-être un sentiment que l’on recherche en écoutant les sorties In Paradisum : être secoué.

Paul : mince, notre public à des attentes (rires) ! Je le comprends très bien puisque c’est ce que l’on recherche aussi dans la musique donc la musique que l’on sort doit y ressembler. Après, si tu prends le Ricardo Tobar, il n’est pas spécialement sombre mais il est complètement vrillé. C’est sûrement ça aussi que l’on recherche : pousser à bout les artistes.

Guillaume : ouais, il y a un peu un truc d’ajustement, certains morceaux ne sont pas pour nous, d’autres sont sur la bonne piste et on les pousse dans la bonne voie. On cherche un certain rapport à la musique et on va le prendre là où il est. Ça peut être un inconnu qui sort de nulle part comme quelque chose que l’on ressent chez quelqu’un de connu où l’on approfondi cette facette précise de l’artiste. C’est une démarche surement différente de la plupart des labels de techno qui cherchent des titres pour les DJ sets. Et ça me dérange pas, s’il n’y a pas de ligne esthétique hyper lisible, j’adore L.I.E.S ou Opal Tapes mais je ne cherche pas pour autant à donner une ligne claire au label.  Il y a des trucs pas encore signés mais si ça se fait ça risque de surprendre. On cherche à être surpris par la musique mais si on peut l’être par nos sorties, c’est encore mieux.

Et est-ce que vous voyez une esthétique commune au son Parisien/ Français ou l’émergence d’une scène Parisienne / Française ?

Guillaume : ce que je vois surtout c’est qu’il y a quelques années on ne savait pas vraiment vers qui se tourner pour parler de la musique que l’on écoute et maintenant si on discute avec Julien de DEMENT3D ou Quentin d’Antinote, on sait qu’on va pouvoir sortir de la techno et parler de choses plus larges assez facilement. Et puis on rencontre de plus en plus de mecs qui ont la même culture que nous. J’ai le sentiment que l’on est plusieurs mecs qui ont toujours envie de chercher et qui ne proposent pas simplement une esthétique simple ou lisible. En tout cas, j’ai moins l’impression qu’on soit en phase avec une scène Française en devenir qu’avec une scène internationale qui regroupe les mecs de L.I.E.S ou d’Opal Tapes.

Paul : en fait on aime rendre les choses imprévisibles…

Guillaume : et on cultive l’envie d’y rester.

 

La prochaine soirée In Paradisum aura lieu au Garage MU le 30 novembre avec Container, Somaticae et Low Jack. Très bientôt, deux places à vous faire gagner. 

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