Non, la culture musicale des Balkans ne se résume pas à Goran Bregovic et consorts. Reggae, Hip Hop, électro : la scène albanaise n’a rien à envier à celles des autres capitales européennes.

Ici les djs ont le même âge que la démocratie. Libérée de la dictature communiste depuis seulement 20 ans, l’Albanie s’ouvre progressivement au monde. Le pays a même déposé en 2009 sa candidature à l’entrée dans l’Union Européenne. Sa jeunesse elle, n’a pas attendu le feu vert des autorités pour aller voir ailleurs ce qu’il se passait. Depuis des décennies, des millions d’Albanais vivent hors des frontières du pays, en Europe, aux Etats Unis et ailleurs. Les charmes du communisme, et l’état dans lequel le dictateur (Enver Hoxha) a laissé le pays à sa mort en 1985 ne les a visiblement pas retenu…


Idem pour le Kosovo voisin, majoritairement peuplé d’Albanais, qui est devenu indépendant de la Serbie en 2008. Tout frais tout neuf, cet état naissant met au point ses institutions, ses monuments, ses fêtes nationales… et vit de ce fait une époque passionnante.


Exilés dans une Europe en crise, les Albanais commencent à changer de regard sur leur pays d’origine et n’excluent pas de rentrer tant les opportunités sont à priori légion : il reste tellement de choses à construire, de businesses à développer et de jeunes à faire danser !

 


Il n’y a pas que le bling bling dans la vie. J’ai le sentiment que les Albanais ont besoin de davantage de culture urbaine, ils ne peuvent pas se satisfaire de la musique commerciale qu’on leur sert dans tous les bars, dans la plupart des boîtes, et à la télé” professe Mr Rez, auto-proclamé ambassadeur du Reggae en Albanie. Après une enfance paisible et des études supérieures à Pise en Italie, cet Albanais d’origine a remis le cap sur Tirana où il réside désormais. “Ma mission : apporter le bon son aux oreilles de mon peuple.”


Mon défi serait que la télévision en vienne à diffuser des clips de reggae, que cette musique devienne mainstream, qu’elle plaise autant aux parents qu’aux enfants.” Et même s’il réalise que la route est longue, Mr Rez reste confiant : “Le reggae, en plus d’être agréable à l’oreille, véhicule des messages positifs, et conscients.”

 


Ce n’est pas comme si les Albanais n’en avaient jamais entendu de reggae auparavant. D’autant que comme on l’a dit plus haut, la diaspora a des oreilles partout. Mais Mr Rez met tout en oeuvre pour promouvoir la scène locale et ses talents, en organisant par exemple la soirée “Soul train” une semaine sur deux au Mumja club à Tirana. Evénement pour lequel il convoque des artistes étrangers tels que Dj Taïwan (Italie) le 12 octobre, ou Brother Culture (GB) le 25. Lui et ses amis djs (Roots Raid, Mr Skavillage, Dj Da Lil) animent le reste de la soirée. “Autant en été c’est la fête un peu partout explique-t-il, autant en hiver la vie nocturne se cantonne à Tirana et Pristina”.


Cet été Mr Rez peut se féliciter d’avoir fait jouer des pointures comme Millionstylez ou General Levy lors du festival South Vibes sur la côte Sud de l’Albanie. “Tandis que l’année précédente, c’était uniquement moi et mes potes qui jouaient. Là, on est assez fier du résultat

 

Source :http://www.southvibes.al/the-event/


Il faut dire que ses potes non plus ne sont pas nés de la dernière pluie. “Nous ne sommes pas beaucoup à vivre de notre musique toutes scènes confondues. Du coup tout le monde se connait, tous les dj/producteurs sont hyper accessibles même les plus grandes stars et des légendes comme Dj Blunt (l’équivalent de Cut Killer ici, ndlr).” Ce dernier a révélé nombre de rappeurs albanais comme MC Kresha par exemple. Il était l’invité de Mr Rez au Platon club le 21 septembre dernier à Pristina (Kosovo) aux côtés de KG Man, un grand nom du dancehall en Italie, dont le track Sweet Albanian – un remix de Sweet Aroma – a résonné partout cet été en Albanie.

 
 

La scène électro n’est pas en reste dans cette partie du monde. Parmi les pionniers, le dj techno Likatek. Originaire du Kosovo, il martèle des rythmes binaires inlassablement depuis 2001. A ses côtés, de jeunes talents tels que Cuci un des djs à l’origine du projet ‘Undo Redo’ avec Dj Tattoo entre autres, qui font les grandes heures des clubs de Tirana (le Lollipop, le Mumja) et de Pristina (le Platon, le Zone club).


La réputation de ces artistes ne se cantonne pas aux frontières de l’Albanie et du Kosovo puisque parmi eux nombreux sont ceux qui ont fait leurs classes ailleurs en Europe, en Allemagne en Italie en Suisse -ou vivent de nombreux Albanais- et qui sont revenus forts de leur expérience, et de leurs contacts, à l’instar de Mr Rez. “Si tu fais bien ton taff, alors il n’y a pas de raison que ça ne marche pas.” confirme celui-ci. “Et ce n’est qu’un début. Dans 5 ans si tout se passe bien on intègre l’Europe.”


En attendant d’avoir voix au Chapitre à Bruxelles, les Albanais méritent d’ores et déjà de peser davantage dans le paysage culturel européen. Si la démocratie est toute jeune (20 ans passés) les artistes eux, sont depuis longtemps parvenus à maturité.

 
Reportage de Charles Faugeron