INTERVIEW : DIDIER MAROUANI, LE VRAI SPACE COW-BOY

Contrairement à ce qu’on nous a dit, le vrai Space Cowboy ne porte pas une toque fourrure et cornes mais un casque de cosmonaute compatible avec la bécane. Sa première mission spatiale remonte à 1977, date qui verrait une mélodie entêtante jouée sur synthétiseur se vendre à des millions d’exemplaires. Au départ, rien ne prédestinait Space et Didier Marouani à devenir ce groupe aujourd’hui échantillonné, salué, repris, cité, clin d’oeillisé, point de ravitaillement où bien des formations et des samplers sont venus et viennent encore se recharger en énergie.

Tout commence par un 45trs qui ne devait jamais exister et qui, pourtant, a changé la direction artistique et la vie de son auteur…

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Qui était Didier Marouani avant Space ?

J’étais chanteur ! Tout à fait par hasard, j’ai envoyé en 1973, en tant que compositeur, une chanson au Festival de Tokyo qui a  finalement été choisie pour représenter la France. Je me suis donc rendu sur place ou j’ai concouru avec des gens comme Paul Williams et d’autres qui ont eu par la suite de grosses carrières, et j’ai gagné le prix du meilleur interprète masculin ! Ca s’est ensuite ouvert sur un album produit par un Japonais avec deux ou trois chansons en japonais et le reste en français. La fille d’Aznavour participait à ce concours, elle en a parlé à son père qui en a parlé à Barclay et un jour je reçois un coup de fil (voix de Barclay) “Allo Didier, ouais c’est Eddy, j’aimerais que tu viennes me voir…”. Entre temps, j’avais rencontré Roda-Gil qui était devenu une sorte de grand frère pour moi, on traînait tout le temps ensemble et on avait commencé à écrire des chansons. Donc, je vois Barclay qui me dit “On va faire des 45trs !”, sauf qu’Etienne n’était pas vraiment d’accord vu qu’on travaillait sur un album dont il avait fait les textes. A l’époque, il venait de faire Mort Schuman mais sinon il ne travaillait que pour Julien (Clerc – NDR). Pour Barclay, faire un album c’était insensé ! On faisait quatre 45trs, on ajoutait deux trucs et puis c’était bon ! Mais, finalement, il accepte cette idée d’album, qu’on a fait. Un disque superbe, que j’adore par sa poésie, ses textes, ses arrangements… De là, ça a commencé à marcher, j’ai fait une tournée d’été avec Johnny, je faisait huit titres en première partie. Johnny m’ a beaucoup aidé d’ailleurs, il venait me voir le soir, on debriefait. L’année suivante, j’ai fait une tournée avec Claude François. Changement de style musical, mais très très bien pour les groupies (rires).

 

Rien à voir avec les synthés donc ! Comment on passe de la chanson à la musique électronique ?

J’avais déjà un peu tâté les synthés et ça m’intéressait vraiment. Un jour, Elisabeth Tessier (astrologue – NDR) demande à mes producteurs de me rencontrer. Elle voulait me faire mon thème astral, c’était une très belle femme, j’étais pas mal non plus, donc je crois que c’était surtout pour ça la rencontre… Finalement, elle me fait juste mon thème astral et elle me rappelle deux mois après pour me dire qu’elle lance une émission sur les astres sur TF1 et, qu’éventuellement, si j’ai des idées pour le générique… Ni une, ni deux, je fonce acheter un synthé, je rentre chez moi et en trois minutes Magic Fly était né ! On fait une maquette avec batterie, quelque chose de beaucoup plus planant que la version que les gens connaissent, je la fait écouter à Elisabeth qui adore. Mais l’émission ne se fait finalement pas. Je reste donc avec ma maquette, et, à chaque fois que je la fais écouter à des potes ou autre, tout le monde trouve ça vraiment bien. Et puis un jour, entre deux 45trs, on rentre en studio, on l’enregistre et avec mon producteur, on va la faire écouter aux gens de Polydor où j’étais signé. Et il ne se passe rien. On attend deux ou trois mois et finalement je décide qu’on va la sortir et qu’on va faire un groupe ! Vu qu’à chaque fois que je la faisais écouter, les gens me disaient qu’on croirait des sons venus de l’espace, j’opte pour Space. Et comme j’avais déjà un contrat, je me dis qu’on va se mettre des casques comme ça, personne ne nous reconnaîtra. On est allé ensuite à Londres pour faire un clip, chose que peu de gens faisaient alors…

 

Et ?

Et alors c’est parti tout de suite. En deux mois, on était numéro un partout ! Mon producteur était allé au MIDEM, en une semaine il avait vendu le disque partout !

 

Tu écoutais quoi comme musique à ce moment là ?

Elton John, Supertramp, Kraftwerk, de la chanson française, de la variété…

 

Et pas d’artistes vraiment dans les synthés comme Herbie Hancock par exemple ?

Pas du tout.

 

Donc le disque fracasse tout !

Oui, mais le problème, c’est que comme j’étais sous contrat, on ne pouvait rien dire ! On s’entendait passer quatre fois par jour sur Europe 1, trois fois sur RTL ! Je me souviens être allé dans une boite qui s’appelait l’Elysée Matignon, on tournait déjà au champagne puisque mon producteur connaissait les ventes et donc il régalait tout le monde, je me souviens du moment où j’ai entendu Magic Fly et où j’ai vu la piste se remplir. On était là à regarder les gens devenir dingues. On était toujours dans le mystère et il ne fallait surtout pas que ça se sache, les compos étaient signées Ecema, sinon j’aurais été obligé de dédommager Polydor ! Donc pas question de le dire parce que, financièrement, ça aurait fait très mal…

Un an après, quand Polydor a fini par me rendre mon contrat, j’étais invité au journal de Mourousi et j’ai enlevé mon casque… D’ailleurs, quand on a retiré les casques, il y a eu une perte dans le sens où le public n’a pas pu assimiler une musique à une personne. Chose que Jean-Michel Jarre a lui complètement réussie. On avait signé Space chez Vogue, on vendait 300.000 45trs par jour dans le monde ! Du coup, mon producteur me demande un album rapidement, j’avais un mois et demi pour tout composer et enregistrer, on avait des demandes de partout ! Je fais l’album avec Romain Romanelli et on prend un batteur. On passait deux heures sur une grosse caisse pour avoir le coup bien calé sur le temps, autant pour la caisse claire ! Finalement, on boucle l’album, on le sort et, trois mois après : numéro un partout. On est au mois de juillet et le directeur de la maison de disques me dit qu’il faut qu’on en ressorte un autre pour noël ! J’étais parti en vacances, je me suis retrouvé à bosser sur ce deuxième album, sur l’île d’Oléron avec mon piano et mes synthés…Le 19 décembre, je me marie et mon producteur arrive avec quatre Disque d’Or. Le disque, Delivrance, ne sort que le lendemain et on est déjà à 400.000 de pré-commandes ! Pour ce 2ème album, la pochette avait été réalisée par Hipgnosis qui faisait les pochettes de Pink Floyd, Peter Gabriel… Je trouvais leur travail tellement créatif !

 

Sur le premier album, le morceau de fin, Carry On, Turn Me On n’a rien à voir avec le reste. On est plus proche de l’électro disco avec une belle voix, comme ce que pouvait faire Cerrone par exemple.

Oui. Parce que, en faisant le disque, je prends conscience que ça va peut-être être un peu dur de faire un album entier orchestral, du coup, on décide de prendre une super voix avec Madeline Bell, qui à l’époque était quand même choriste d’Elton John. Et ce morceau devient numéro un des boites au Etats-Unis !

 

Tout ça sans pression ?

J’avais l’impression de pouvoir composer sans aucun problème ! Fallait surtout pas lâcher le fer à ce moment là d’autant que j’avais le producteur et la maison de disques sur le dos. Mais ça va, ça se passait bien.

 

On a une impression de spirale qui ne s’arrête plus !

En 1978-79, je rencontre les Bogdanoff, on sympathise très vite, et je compose la musique de Temps X. Tout se passe bien, mais, à ce moment là, je vais voir mon producteur pour lui dire que j’ai envie de faire de la scène. On n’en avait pas fait une seule, juste des télés. Je me débrouille pour avoir l’autorisation de faire un concert sous la Tour Eiffel, Europe 1 suit le coup, la presse aussi et, finalement, mon producteur décide de tout annuler. Et là je lui dis “je me casse”, parce qu’un groupe qui ne fait pas de scène est voué à mourir à un moment ou un autre. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il avait déposé le nom Space et qu’il lui appartenait. Je n’ai pu le récupérer qu’après six ans de procès. Il a d’ailleurs sorti ensuite un quatrième album de Space complètement bidon, je n’y ai même pas participé. Du coup, moi, je resigne avec la même maison de disques de l’époque, et je créé Paris France Transit, un nouveau groupe dans la continuité de Space. Tout ça arrive juste avant la demande des Russes pour faire une tournée…

 

On écoutait Space de l’autre côté du Rideau de Fer ?

Oui ! Ce qui s’est passé, c’est que l’attaché culturel Russe en France adorait Space et avait demandé une dizaine d’albums à la maison de disques pour les envoyer à Moscou et ensuite les donner à la chaîne de radio et à la chaîne de télé. Et là, c’est devenu la folie ! Space habillait toutes les images de l’espace qu’ils diffusaient. De là, en 1982, je suis invité à l’ambassade où on me présente au Ministre de la Culture Russe qui me regarde comme si j’étais McCartney ! “Oh, on adore votre musique !”. Nous, on savait que c’était sorti là-bas, mais on n’était pas du tout au courant de l’engouement sur place ! “Il faut que vous veniez jouer chez nous, vous être en train de devenir un phénomène auprès des jeunes ! “. Moi, évidemment, je lui réponds : “Bien sûr, avec plaisir !”. Sauf que le groupe n’existe plus, que je ne fais plus partie de Space et que je ne suis même pas propriétaire du nom… La seule chose que je lui demande, c’est de pouvoir jouer pour le peuple et non pas pour la nomenclature Soviétique, un concert gratuit, pour tous, sur la Place Rouge. Bon, évidemment… (rires). Il me répond non, mais me propose de m’ouvrir les plus grandes salles, notamment la Salle Olympique construite pour les J.O. de 1980 qui pouvait contenir 40.000 personnes. Il me propose également des salles à Kiev etc, mais pour la Place Rouge, il me prend pour un barjot…

Finalement, la tournée se fait : 21 concerts ! Le problème, c’est que je n’étais en fait jamais monté sur scène avec Space, pas de musiciens, rien ! Et que de leur côté, les Russes n’avait jamais organisé ce genre de choses ! Ils n’avaient pas une lampe, pas un laser, rien ! J’en parle à Jacques Rouveyrollis (éclairagiste de renom – NDR) qui répond tout de suite présent et je passe 6 mois à monter cette tournée, avec mon groupe d’alors, Paris France Transit. Tout le matériel est parti de Paris par camion, on a monté une équipe de 40 personnes et on s’est retrouvé à jouer huit soirs de suite à Moscou, puis Kiev, puis Saint-Petersbourg, qui s’appelait encore Léningrad à l’époque. On a fait la tournée sous l’étiquette Didier Marouani-Space-Paris France Transit parce que mon producteur étant propriétaire du nom, j’avais un peu peur qu’il m’arrive des bricoles.

 

A quoi ça ressemble une tournée en URSS ?

On se rend compte qu’en plus du phénomène musical, on est aussi un phénomène social. Les salles sont bourrées de jeunes mais en même temps, c’est encadré par des militaires présents dans toutes les travées pour empêcher les gens de se lever ! J’étais logé dans des appartements de 300m² avec deux pianos à queue, infestés de micros, les interprètes qui étaient avec nous étaient des membres du KGB. Quand on était dans des hôtels, c’était déjà impossible d’emmener du monde avec nous mais, en plus, il fallait un premier badge, puis un second que tu remettais à une babouchka qui te donnait la clé de ta chambre… Mais bon, ils se sont bien arrosés aussi au passage ! Au bout de deux jours à nous encadrer, la babouchka était pétée à la vodka et au champagne ! Pour eux et pour les gens du pouvoir, on passait vraiment pour des malades ! Si aujourd’hui tu interviewes Rouveyrollis et que tu lui demandes ses meilleurs souvenirs de tournée, Space sort dans les trois premiers !

Delivrance et  Symphony sur  l’album Just Blue utilisaient déjà des choeurs puissants, ce côté vous parlait déjà ?

J’ai toujours aimé la voix, je trouve que c’est le plus bel instrument du monde. Ces choeurs, ont était allé les enregistrer à Londres.

 

Ce côté “Armée Rouge”, c’était une résonance avec de convictions politiques ?

Du tout. C’était plus une ode, une prière de la chanteuse pour qu’on vienne la délivrer, avec un côté grandiloquent et lyrique.

 

Est-ce que tu suivais l’évolution du matériel pour travailler sur des synthés plus élaborés ?

Complètement ! Je me souviens qu’on entendait: “ Les synthétiseurs ? Dans 2 ans c’est fini !” Mais nous, on avait des infos des constructeurs au Japon, de Korg, qui nous disaient que ça allait évoluer d’une manière extraordinaire, ce qui me permettait d’avancer dans mes interviews que le synthétiseur allait être l’instrument majeur de la fin du siècle. L’informatique est venu ensuite au secours de ça… Aujourd’hui, il n’y a pas un artiste de variété qui n’ait pas utilisé un synthé sur scène. En fait, dès le premier album, on s’est mis à travailler sur du matériel plus technique. A l’époque, les synthés n’avaient pas de mémoire, d’où le problème pour faire de la scène. En studio, on faisait les réglages pour trouver le son, on enregistrait, et quand on éteignait les synthés, c’était terminé. La mélodie de Magic Fly, ça a été trois jours de réglages et de mélanges pour arriver à ce qu’on voulait ! D’où le problème pour la scène où on aurait été obligé de faire du playback.. Et c’est pour ça qu’à partir de Just Blue, j’ai commencé à me battre pour pouvoir faire des concerts, parce que les synthés à mémoire étaient arrivés et que ça devenait possible.

On refait une deuxième tournée en 91 de 17 dates, avec une notoriété qui entre-temps avait grandi. Avant ça, j’y étais retourné en 1987 mais uniquement pour enregistrer le concept album Space Opera. A l’époque on était en pleine guerre froide, mais je voulais quand même avoir les Choeurs de l’Armée Rouge. Via l’ambassade où j’avais beaucoup de contacts, j’envoie un message à Gorbatchev où je lui explique que je vais créer le premier opéra spatial et que j’aimerais avoir la participation des Choeurs, vu que l’URSS fait partie des débuts de la conquête spatiale, mais que j’aimerais les faire chanter avec des américains. Et je reçois une réponse, où Gorbatchev me souhaite juste de la réussite et le succès. Bon… J’insiste un peu auprès de l’ambassade et je finis par avoir un rendez-vous avec un ministre. Je pars donc à Moscou lui exposer mon projet, mes motivations, et puis cette idée que j’avais d’embarquer un exemplaire du cd de Space Opera dans la station MIR pour qu’il soit en orbite avec deux enceintes et un lecteur. Je lui laisse le disque, parce qu’il fallait que tout soit étudié, ce qui est embarqué dans l’espace est calculé au gramme près et, un mois après, je reçois un telex à l’ambassade qui me donne rendez-vous à telle date pour la remise officielle du cd de Space Opera qui embarquera avec les cosmonautes ! Le rêve continue… Avec le recul, je me rends compte que, quand on a la chance d’avoir une notoriété, qu’on a des idées et surtout qu’on ne demande pas d’argent, tout devient simple.

Après la tournée, en 1992, je me retrouve enfin à faire un concert sur la Place Rouge. Six mois pour avoir les autorisations, et je me retrouve en haut d’une grue, je voulais faire une entrée en scène, sur une grue de 30m de haut, en train de regarder le public sur la place noire de monde. Irréel.

Beaucoup de groupes citent aujourd’hui Space comme une influence majeure, Daft Punk a même repris le concept des casques, c’est flatteur non ?

Bien sûr, même si je n’ai commencé à être cité il n’y a que cinq ou six ans. Mais je le prends très bien.

 

Et tu reçois des demandes de collaborations ?

J’en ai reçu, mais qui n’ont pas abouties. En fait, je suis quelqu’un d’assez solitaire pour ce qui est de la création, je ne me vois pas composer avec quelqu’un. Ensuite, pour ce qui est des arrangements et de l’enregistrement, aucun souci.

 

Space a aussi beaucoup été samplé par des beatmakers qui pensaient avoir une rareté alors qu’ils avaient un disque pressé à des millions d’exemplaires…

Ah oui ! Mon avocat s’est régalé. Il se régale encore d’ailleurs. Il y encore deux mois, on a réglé quelque chose qui durait depuis deux ans avec un groupe qui s’appelle Fonky Family. Un jour, un fan m’a envoyé leur album en me disant qu’ils avaient samplé Symphony. Pareil avec des groupes aux Etats-Unis : De La Soul ont repris Delivrance sans clearer. Je ne suis pas opposé au sampling, mais mettez au moins mon nom ! Ils n’oublient pas de prendre le morceau mais oublient de mettre mon nom (rires) !

 

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Propos recueillis en juin 2015, merci a Didier « Space » Marouani.