Chance The Rapper / ACID RAP

 

Son titre ne ment pas : Acid Rap, la mixtape super attendue de Chance The Rapper, est un trip halluciné et ultra-créatif dans l’esprit du rookie de Chicago. Mais c’est aussi un bijou de lucidité et de maturité artistique. Ah, et non, ça n’est pas du cloud rap.


De l’éclosion de Twista, Kanye West et Lupe Fiasco à l’avènement des sauvageons de la « drill music » comme Chief Keef, la scène rap de Chicago est devenue à l'image de sa ville : délétère. La faute à une criminalité en totale explosion dans la Ville du Vent. En tout cas il y a une constante : Chi-Town reste un vivier de nouveaux talents pour le hip-hop. Un fait que vient confirmer Chance The Rapper, talentueux newcomer au buzz national grandissant depuis sa première mixtape 10 Days et dont la nouvelle livraison bardée d’invités prestigieux brosse un univers musical à mille lieues des autres rappeurs de sa ville.


Si tant de critiques présentent Acid Rap comme une alternative aux bangers menaçants des Lil Durk et consorts, c’est parce que Chance a choisi d’observer la violence de son environnement plutôt que d’y prendre part (ce qui ne l’empêche pas de balancer une dédicace à Chief Keef sur « Juice »). Les treize morceaux de ce projet constituent une sorte de plongée dans le crâne de ce post-ado, ni gangsta, ni conscient, entre drogue, meufs et douilles. Une sorte de Kendrick Lamar du Midwest, finalement.



Le rap de Chance est à l’image des instrus de Acid Rap : un bric-à-brac d’influences qui réussissent à cohabiter avec succès. Réputé (comme Childish Gambino qui participe à la tape) pour ses jeux de mots, reconnaissable par sa voix nasillarde et son flow technique aux mille flows, Chance module et étire les syllabes d’une manière presque comique (« Juice ») pouvant rappeler un lointain cousin d’E-40. Ses flows chantonnés et ses refrains proche de la pop ou de la soul (« Cocoa Butter Kisses ») lui confèrent de faux airs de Lil Wayne pré-Carter 3 le Sud sale  en moins.



Acid Rap est une mixtape variée, tant dans la forme que dans le fond. Qu’il fume avec Ab-Soul (« Smoke Again ») ou qu’il échange des rimes clownesques avec Action Bronson (« Na Na »), Chance passe d’un registre à un autre avec une facilité déconcertante. C’est un looney toon sous acide qui se déforme à l’envi, un toon à l’élasticité rapologique mais aussi émotionnelle. Il fait parfois preuve d’un positivisme presque naïf mais toujours doublé d'un fond de street knowledge qui met cette naïveté à distance et offre à tout un chacun l'opportunité d'être un témoin de la street life


Sur “Acid Rain”, on finit par tomber sur la partie la plus sombre de Chance, lui et le souvenir obsédant d’un fantôme : « My big homie died young, just turned older than him / He still be screaming I see his demon in empty hallways”.  La tentation de la violence, omniprésente, et la peur de perdre un autre proche : “If you touch my brother / all the antiviolent shit goes out the window along wit you and the rest of your team”. L’abandon de Dieu, lorsqu’il renie Jésus tout en reprenant la mélodie de « The World’s Greatest » de R. Kelly. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la vision d’un gamin aux yeux écarquillés, dont les rêves pourraient se réaliser, ou trébucher sur une arme à feu.


 

Finalement, zéro piste à jeter sur ce projet qui révèle un artiste jeune, frais, vif et portant l'ADN de sa ville dans ses titres.  Au même titre que Chief Keef, Chance est habité par la violence et la cruauté de Chicago. Sauf que lorsque le premier souhaite en être un acteur et rêve de ballin, le second en fait des peintures aux couleurs acides dont le coup de pinceau varie à chaque titre… Chance est un individu à part dans le game actuel et si ce genre de position en a perdu plus d'un (coucou l'abstract hip hop), chez lui, ça pourrait être gage de longévité.


Par François Oulac