Toro Y Moi / Anything In Return

 Manger 5 fruits et légumes par jour, c´est bien. Déguster le troisième album de Toro Y Moi, c´est mieux. Concentré de joie et de bonne humeur, le disque que nous propose l´originaire de Columbia se dévore avec un grand plaisir. Très déséquilibré,  il reste cependant à consommer avec modération. Certifié sans OGM.
Créateur de saveurs hors pair, Toro Y Moi n´a que vingt-six ans mais est considéré comme le père fondateur de la chillwave, genre fraichement débarqué il y a quelques années avec les musiques d´artistes comme Washed Out ou encore Neon Indian. Si les musiciens cités n´ont eu que peu de difficultés pour s´imposer dans le large paysage de la musique actuelle, Toro Y Moi, lui, a dû batailler pour se faire un nom. C´est notamment en collaborant avec des types comme Tyler, the creator et en multipliant les morceaux que l´homme est parvenu à imposer sa pop mélodique à grands coups de synthé et de clips plastifiés. Son second LP, Underneath the Pine, fut un tel succès que le voilà désigné comme le pape de la chillwave.

Rien d´étonnant alors que de retrouver dans Anything in return les ingrédients qui ont fait la réussite de ses précédentes recettes, à savoir une avalanche de sonorités psychées, le tout saupoudré par des vocals douces et lointaines. Mais si le menu reste classique dans son ensemble, Toro Y Moi ose étonner notre palais en prolongeant le virage pop de sa précédente composition. L´album démarre très fort, avec les quatre premiers titres que sont Harm in Change, Say That, So Many Details et Rose Quartz. Les enchainements sont édifiants. Les mélodies, délicieuses, resteront longtemps ancrées dans les mémoires. Quant à la cuisson, rien à dire, elle est parfaite : planants et cadencés, les premiers morceaux du disque sont des moments de bravoure new-wave comme on les adore. Rose Quartz, le bijou du disque, est en ce sens une véritable merveille de pop électronique, sorte de drogue de synthèse que l´on se plait à abuser et à chantonner à tue-tête : un classique instantané. La bouche pleine (gardez votre mauvais esprit pour vous), nous nous rinçons le palais avec Touch et Cola, balades atmosphériques qui font retomber l´adrénaline et nous permettent d´appréhender la suite dans les meilleures conditions. Succulent.

Enfilant son tablier des grands soirs, Chaz Bundick semble avoir malheureusement tout misé sur l´apéro et les entrées, en oubliant que les desserts font également un grand repas. En effet, aussi succulente soit-elle, la première partie de l´album ne peut en rien nous faire oublier le goût amer de sa suite. Loin d´être mauvais, les morceaux que sont High Living et Grown Up Calls manquent peut-être d´assaisonnements, pour ne pas dire de folie, et finissent rapidement par lasser. Heureusement, le Cake sucré qui ouvre le bal des desserts ravira les plus gourmands d´entre nous, tant la richesse de ses arômes est évidente – un refrain enjoué accrocheur, des sonorités aimantées, parfaites pour faire de la piste la compagne heureuse du quotidien. Las, la fin du disque, elle, est si calorique qu´elle pourra devenir écoeurante pour ceux qui ont la malchance d´avoir le foie fragile : How´s It Wrong fatigue alors que Never Matter, bourré de matières grasses végétales hydrogénées, paraît superficiel, tant ses beats faussement groovy accouchent d´un vacarme anxiogène.

Nous sortons donc de table avec ce désagréable sentiment d´être passé à côté de l´exploit, du chef d´oeuvre. Le plus grand défaut d´Anything in return ? Avoir marié l´exceptionnel avec le banal. Nous payons l´addition avec joie, mais demeurons sur notre faim tant l´album aurait pu, et aurait dû, être sensationnel.

Par Bruno Rit