Et si la crise d’identité ou la schizophrénie était un atout ? l’alter égo a souvent démontré le bénéfice créatif qu’il peut apporter. Revenons par exemple sur certains patients dénommés Quasimoto ou Dr Octagon : ces deux ovnis révèlent la preuve formelle que les dédoublements de personnalités de Madlib ou Kool Keith furent tout simplement des vecteurs de créativité et des élans de fraîcheur dans les discographies de ces deux grands maîtres. Mais la réussite n’est pas à la portée de tout le monde, et même les plus gros ne sont pas épargnés. Notre clinique à récemment dû interner deux vieilles connaissances qui décidèrent de former First Serves et de s’inventer deux personnages stupides. Mais après réflexion et parce qu’ils nous ont tout de même fait passer de très bons moments ces 20 dernières années, nous avons épargné la camisole à Plug One et Plug Two du mythique groupe de De La Soul. Mais nous les surveillons de près. Nous pardonnerons l’écart de route une fois, mais pas deux!
Récemment, en plein comité de direction du deuxième semestre 2012 de notre chère clinique, nous recevions ce nouveau patient : Captain Murphy. Aucune fiche sur lui, pas d’identité… Nous retrouvons seulement dans sa poche une mixtape pleine d’infos sur ses relations extérieurs : il semblerait qu’il soit proche de plusieurs sectes de Los Angeles comme Brainfeeder, Stones Throw et Odd Future.
Puis début décembre une vidéo nous dévoile sa véritable identité. Ce dégénéré n’était autre que Flying Lotus en mode emcee! Un pur produit imaginaire de Steven Ellison qui prouve une fois de plus la grande richesse artistique du Monsieur.
Duality, nom de sa mixtape, résume très bien le génie schizophrène qui sommeille dans la tête du grand Fly Lo. Les titres sont soigneusement travaillés, une ambiance lugubre, dérangée et inquiétante qui nous rappelle inévitablement les albums de Madvillain ou Lord Quas voir même Deltron 3030. Mais FlyLo avait préparé solidement son coup en s’entourant des meilleurs producteurs de son label (Jeremiah Jae, Samiyam…) ainsi que d’autres pointures comme Madlib et Just Blaze.
Et donc le Lotus qui rappe, c’est comment? Flow pesant et voix profonde, le tout patché d’effets énigmatique, Captain Murphy est tel un dictateur d’une civilisation proche de notre système solaire qui viendrait nous imposer ses règles sur notre vieille planète bleue. On s’attardera sur des titres comme Between Friends avec un Earl Sweatshirt d’Odd Future tout aussi intriguant que Captain Murphy, et on ne pourra s’empêcher d’avoir une pensée pour J Dilla (si cher à FlyLo) sur Children of the Atom avec ce doux sample soulful comme Madlib sait si bien les faire. Et pour notre plus grand étonnement, Samiyam laisse de cotés ses puissants beats enroulés de grosses basses pour délivrer une production plus claire mais tout aussi ambiguë qu’à ses habitudes sur Drive Thru.
Ne cherchez pas de remède pour sortir indemne de la tracklist, Captain Murphy à déjà absorbé tous les médocs! Vous serez donc contraint à vous laissez endoctriner par les ensorcelants morceaux de Duality.
Flying Lotus n’a jamais caché son addiction pour le rap et il ne manquait pas grand chose pour qu’il enclenche le pas. Et forcément, on s’en réjouit! En plus d’un magnifique coup de bluff bien monté, Captain Murphy injecte une bonne dose de morphine dans les veines du hip hop 2012, histoire de calmer tout le monde et de s’affirmer comme un des projets les plus habiles et ambitieux de ces dernier mois.
Benoit Filliat