Ariel Pink / Mature Themes

Ex-artisan reclus de la pop pas terminée ou finie à la bouche (les joues sont des djumbés comme les autres), micro-pape malgré lui du soft-rock d’antichambre, Ariel Pink a quitté le monde du refrain emballé au scotch et de la cassette bousillée en 2010, avec Before Today. Parce qu’avoir un groupe (le Haunted Graffiti) et cesser de considérer sa baignoire comme une cabine de chant, pour un type comme Rose, c’est un peu fauter avec le mainstream. Mais la consécration a des principes, voyez-vous, et il faut parfois passer par Abbey Road pour satisfaire madame. Standard oblige. Alors que se passe t-il quand on est enfin arrivé au niveau de sa réputation ? On prend de la hauteur, ou la porte de derrière.

Mature Themes donc…à moins qu’il ait confondu la cover de son nouvel album et le moteur de recherche Youporn, l’autre Mr Pink cherche évidemment à couper l’herbe sous le sabot des poncifs exigeant d’un artiste qu’il gagne vingt ans d’âge mental entre deux livraisons. Du reste, Ariel a déjà abordé le sujet dans Before Today, et démontré de grosses lacunes en SVT (Menopause Man). S’il ne serait donc pas contre le braquage d’une pharmacie d’hospice, l’animal se garde bien de confondre son LP avec la première couche sénior venue, et nous confie ici et là qu’il mange énormément de schnitzels (Schnitzel Boogie), que les chèvres qui louchent ont mauvaise haleine (Driftwood), et qu’il est l’heureux propriétaire d’un portail temporel (Is this the best spot ?).



Pire, alors même qu’on attend de lui sentences d’airain, contes sur la désillusion amoureuse et conseils d’épargne, il nous demande quarante fois de suite qui a coulé son cuirassé (Kinski Assassin) tout en s’accusant lui-même, ce qui pourrait effectivement trahir une sénilité précoce. Mais puisque Pink a heureusement égaré sa maturité au détour d’un couloir, et que les presque-quadras ne sont plus ce qu’ils étaient, voyons un peu ce qui ne pourrit pas au royaume de la pop semi-amateur et du lo-fi de tourisme.



Force est de constater que le californien écoute et fait toujours de la musique aussi vieille que lui (il a 35 ans). Aux Amériques, on appelle ça de la soul aux yeux bleus (quand il reprend Baby,de Donnie & Joe Emerson), ou, pour le reste, du yatch-rock , c'est-à-dire de la mélasse horizontale et muselée, que Pink – en bon enfant du mash-up culturel – allonge avec des riffs pompés chez Big Star (Kinski Assassin) ou des phrasés de boogie surréaliste fringués comme ceux de(s) Sparks. C’est idiot mais joli, surtout quand Ariel fouille dans ses plus vieux bacs pour agrafer des mélodies pré-Watergate à son petit herbier (Only in my dreams). Evidemment, lorsqu’il tente de faire le tour des presets eighties de ses claviers, et intime à ses musiciens de se limiter à deux plans pour une chanson de quatre minutes, l’ensemble finit par sentir la chillwave forcée et la départementale rectiligne. D’ailleurs il nous semble bien que la D148 est même plus authentiquement psychédélique que Nostradamus & Me, sachant que Mad P en a oublié l’ambiance et la mélodie sous son lit, haut-lieu de ses premières compositions.


L’autre problème, mon cher Rose, et permets nous de te le dire personnellement, c’est que les trous d’air de ta production – tout en étant un fabuleux hommage aux maquettes sur CD-R que tu envoyais autrefois chez Paw Tracks – sont un piège à loup dans lequel tu vas finir par te prendre les ambitions. Tu seras alors aussi partiel que tes mixes, et aussi approximatif que tes chœurs (l’idée même d’entendre une de tes mauvaises prises nous fout l’échine en vrac). Oui, on aime que tes chansons ressemblent parfois à des jouets cassés, on sent mieux toutes tes petites pathologies et ça empêche les bâcleurs d’associer systématiquement les mots pop et sunshine, mais s’il te plaît, la prochaine fois, donne nous toutes les pistes de chaque morceau, ou ne mange plus de schnitzels au peyotl en les finissant. Sinon, c’est tout nu sous la blouse et sieste forcée à la pension des magnolias. Là-bas, tu y verras des hommes à qui on a vraiment coulé le cuirassé.

François Blet