Sortie: 13.09.2010
Label: Supow Music / Because Music
Qui aime bien châtie bien ? Parce que nous savons et entendons sur One ce que Patrice peut faire, nous ne pouvons empêcher la sévérité que nous appliquons à certains titres de ce pourtant très bel opus qui parvient sans conteste à renouer notre lien affectif avec cet artiste inventif. Explication un peu longue (Désolé ! Mais la précision des nuances vaut bien ça.)
ONE DECADE WITH PATRICE
Quand on connaît le travail musical de Patrice (Bart-Williams) depuis dix ans – étant passé à côté de son EP de 1999, Lions dont certains titres ont été réinsérés dans l’excellent premier album Ancient Spirit (2000) – et que son dernier album, Free-Patri-Ation (2008) n’a présenté qu’un intérêt réduit tendant à confirmer une déviance que How do you call it? (2002) et Nile (2005) comportaient déjà en filigrane – même si ce dernier semble avoir été l’album révélation auprès du grand public –, on est à la fois curieux et prudent à la vue du sixième album (Raw And Uncut, de 2006, qui a personnellement marqué l’arrêt de mes achats pour ses projets, étant considéré comme un live). Alors, on analyse la « chose ». D’abord par la pochette signée par le photographe parisien J.R. (pour lequel Patrice a composé une bonne part de la bande-son du film Women are Heroes,en sélection officielle au derniers Festival de Cannes) : l’artwork est engageant à première vue puisqu’il semble réinscrire Babatunde – un surnom qu’il doit à la concordance de son jour de naissance avec celui du décès de son grand-père et qui signifie « le retour du vieux » – aux sources originelles (la Nature, la forêt). Puis le monticule de baffles de sound-system sur lesquelles est reproduit son visage (belle idée créative) rappelle les collages et on vient à craindre qu’il ne soit enlisé à nouveau dans une recherche de mélanges musicaux qui ne ressortent qu’en son « im-pop-sonnelle ». Pour nous rasséréner, One nous est présenté officiellement comme un des albums les plus homogènes et cohérents de la carrière de l’Allemand aux origines « Sierra léonines ». Le titre de l’album servirait à symboliser l’unité d’interdépendance de tous les éléments qui composent la Musique, comme la vie sur Terre, en même temps qu’il viendrait entériner une sorte de bilan de la décennie passée… Laissons ici les discours pour nous intéresser aux faits : on glisse donc le CD dans le lecteur et sommes, lors de la première écoute, rassurés par ce que nous entendons. Quelques réserves seront émises par la suite, mais la couleur générale est très plaisante : teintée du jaune, vert et rouge de la chaleur afro jamaïcaine et des bleus de l’âme comme seule la soul music peut les révéler. Pour les pointer du doigt directement, disons que sans « Walkin’ Alone », « New Day », « Situation », « Don't Cry » et « Visions », l’album serait tout bonnement une petite tuerie. Cela ferait 8 morceaux pour 8 années de carrière lumineuse (1999-2007).
ONE, DANS LE DETAIL
Mais ayant un peu taillé dans le vif et dans la masse, que reprochons-nous plus précisément aux titres cités ? Un poil dans la main, qui donne un goût de « déjà entendu » (« Situation », alors que les cuivres et tous les breaks musicaux qu’il contient sont bien plaisants, semble tout droit tirer du brouillon de How do you call it?) ou une insipidité qui peut se muer en ennui prononcé (le nostalgique « New Day » – dont la dernière minute peine à compenser un niveau bien en deçà de ce que peut faire un Patrice moins fainéant – fait penser à un slow radiophonique produit par un groupe de fusion américain en mal de reconnaissance ; tandis que « Don’t Cry », atteint du même syndrome, lasse de son R&B sirupeux avec ses chœurs « too much » en refrain). Quant à « Walking Alone », un poil trop émo-pop-rock en son refrain et ses envolées symphoniques, ou « Visions », le titre final lorgnant du côté d’un trip-hop psychédélique, ils souffrent simplement, sans avoir été désagréables, d’une part, d’un oubli immédiat et, d’autre part, de la comparaison avec l’introductif et downtempo « The Maker » qui est, au niveau des éléments constitutifs, leur synthèse : sur fond de sample de détonations de revolvers et des cordes de l’orchestre féminin Demon Strings (dirigé par Izzi Dunn (Gorillaz, Blur) qui avait déjà participé à Nile), le storytelling en présence est un rubis monté en pivot par le jeu de Patrice sur les rythmes et dans les octaves. Pour compléter la collection de bijoux qu’il pourra exposer avec fierté, il y a bien évidemment LA pépite : sa reprise funky-énergique de « Aint Got No (I Got Life) » (avec les cuivres des Skatalites) que Nina Simone (samplée en hommage à la fin du titre) avait déjà emprunté à la comédie musicale Hair. A cette écoute, le sourire à la fois narquois et béat vous fend les joues jusqu’aux oreilles… Vient ensuite une rivière de diamants (que « New Day » casse un peu… trop) : l’épuré et sound-sismique « Kingfish » avec ses percussions nya sur une basse bien lourde, l’ultra-efficace ska dubbé de « 10 Man Down » qui, en effet, vous descend 10 hommes à la seconde (surtout quand le flow ragga de Babatunde envoie ses balles) et le two-step « Wiggle & Rock » au riddim rock-steady et au flow survitaminés (conclue par un électro pas gênant mais pas nécessaire non plus) que Patrice a bien pris soin de ne pas envoyer en plein tympan sans un petit temps de respiration en compagnie de Sly & Robbie sur la charmante ballade soul-dub « Nobody Else's », dans la veine d’Ancient Spirit, à destination de son African Queen. Mais comme Patrice n’est pas homme à tomber dans le bling-bling vulgaire, vos mirettes prendront aussi pour objet des pièces simplement bien usinées comme les acoustiques « Knockin’ », critique de Babylone sur un rythme enjoué à l’ambiance folk-reggae comprenant un petit rap sans exagération, et « Nothing Better », le premier morceau révélé, sympathique et sifflant d’enthousiasme : Des formats risqués mais très bien maîtrisés qui, accolés aux autres, marquent un retour en grâce.
Ce qui a donc changé ? Pas son bon état d’esprit. Au contraire, c’est par une implication plus grande de Patrice, du recrutement de nouveaux et jeunes musiciens londoniens, The Supowers (pour la fraîcheur), au mix final (dans son propre studio à Cologne, “Supow Studio”, avec à ses côtés Tom Elmhirst – cf. Amy Winehouse) en passant par ses collaborations déjà éprouvées (pour la confiance et la constance) comme le saxophoniste Cedric « Im » Brooks, qu’il a retrouvé la « bonne direction », celle de l’émotion communiquée d’une personnalité affirmée. Pourvu que le "One Tour 2010" actuellement en cours et émaillé de concerts acoustiques improvisés dans des bars, dans chaque ville de la tournée (des « blitzgigs ») le fasse persévérer sur ce chemin : Implication, Fraîcheur et Constance! Keep it in your mind, Patrice, please! Et merci pour ce très beau retour plein de bonnes vibrations.
Par Arnaud Sorel pour 90bpm.com
[09] Nothing Better (4:02)
[13] Visions (3:41)
– Tracks qui ne sont pas en notre possession / en « édition limitée » ?-