Pour leur troisième album, le duo Hipster de Chicago, Kidz in the Hall, a planché sur le concept de « succès commercial » dans l’industrie musicale, but ultime de tout artiste. A l’image des chercheurs prêts à s’injecter leur propre solution pour en vérifier l’efficacité, ils se sont appliqués les principes actifs dégagés. Leurs conclusions n’étant pas erronées, l’ensemble devient très radiophonique… mais les effets secondaires, allant jusqu’à une modification de leur ADN, ne sont pas négligeables, comme le prouve cette couleur électro-pop prédominante dans ce Land Of Make Believe [sorte de terre du milieu emplie de désillusions que le wannabe devra traverser pour parvenir à ses fins, à moins de s’y perdre]. C’est malheureusement ce qui se produit ici : inégalités et manque de cohérence, au point que même si l’on accepte l’idée peu ragoûtante d’une créativité soumise aux règles du marketing (comme bien d’autres projets qui n’ont pas la même honnêteté) et l’efficacité de quelques rares titres, l’identité même du groupe s’affadit. Espérons qu’à l’heure du projet solo de Michael "Double-O" Aguilar (qui, ici, s’est rendu responsable de 100% des productions, l’exception de la co-production avec Just Blaze et Picnic Tyme pour un « Take over the world » blindé d’autotune, avec Colin Munroe pour le refrain), la corruption de sa complémentarité avec Jabari "Naledge" Evans n’induise pas une rupture plus définitive. En l’état, dans la tendance eighties à la mode (à mon grand désarroi), avec des beats et des basses old-school bien lourds en guise de compensation – pour ne pas rendre l’ensemble insupportable –, les synthétiseurs aigus et le vocoder [les singles « Traffic » et « Flickin’ », « Simple Life» avec Amanda Diva] dominent et ne laissent que peu d’espace au flow du MC, qui du coup y perd le plus souvent de sa verve. Et lorsque l’insipidité s’estompe, ce n’est que par certains guests et des vibes très classiques non-exceptionnelles [Tim William sur « Running » à la Outkast, le chanteur Russoul sur « Bougie Girls », le funky « L_O_V_E»] ou par de solides bases forgées dans le passé et tout de même pas oubliées [l’intelligente suite « Do It All Again (I Am) » – « I Am (Reprise) »].
Ma conclusion à l’écoute de ce compte-rendu d’expérimentation : le succès est comme la Substance M(ort) de Philip K. Dick – cette drogue qui mine peu à peu l’identité pour finir par faire des utilisateurs des larves – et que Richard Linklater a mis en images (rotoscopées) en 2006, dans A scanner darkly. La référence cinématographique n’est d’ailleurs pas innocente puisque le photocollage de la pochette fait indéniablement penser à la combinaison du membre de la brigade des stupéfiants, infiltré dans le milieu des toxicomanes : Bob Arctor/Fred (Keanu Reeves). Mais avait-on besoin de s’adonner à cette substance pour y accoler l’avertissement : "A consommer avec modération" ?
[01] Intro (2:33)
[02] Traffic (3:59)
[03] Flickin (4:06)
[04] Out To Lunch feat. The Kid Daytona (3:39)
[05] Bougie Girls feat. Russoul (4:41)
[06] Jukebox feat. MC Lyte (3:53)
[07] L_O_V_E (2:57)
[08] Will II Win feat. Marsha Ambrosius (4:15)
[09] Take Over The World feat. Just Blaze & Colin Munroe (4:34)
[10] Fresh Academy feat. Chip Tha Ripper & Donnis (3:42)
[11] Simple Life feat. Amanda Diva (4:39)
[12] Running feat. Tim William (3:25)
[13] Do It All Again (I Am) (3:23)
[14] I Am (Reprise) (2:29)
[15] Rise & Shine feat. Russoul (4:47)