D'ici, Baltimore c'est la ville de Stringer Bell, la zone où le crack circule plus facilement que l'eau courante. Et pourtant, entre les Animal Collective, les Dave Sitek ou les Future Islands (les seuls à ne pas avoir déménagé) on distingue dans la zone sensible un terreau fertile pour la création risquée. A moins que ce soit le crack. Peu importe, toujours aussi peu réputés que le génie derrière le fil à couper le beurre, Future Islands a été, en deux albums, un groupe sur lequel on aurait volontiers parié ses fonds de poche. Résultat du tiercé, avec le troisième LP "On The Water", dans ces quelques lignes.

Bachar Mar-Khalifé / Oil Slick

Alternant chaud et froid au cours de compositions à la fois simples et complexes, accessibles et intellectualisables à satiété, lumineuses et éprouvantes, introspectif et revendicatif, Bachar Mar-Khalifé désoriente pour mieux nous amener à ce qu’il semble avoir en tête (d’après mon ressenti) : une évocation interprétative – et appréhendable à différents niveaux – autour des flux et reflux de la conscience de l’être humain. Peu ordinaire et splendide !

 

Bachar Mar-Khalifé : un prénom qui m’était inconnu avant l’écoute de son projet, un nom qui n’aurait pas du l’être si j’en crois le palmarès de son père, Marcel Khalifé (nommé en 2005 artiste de l’UNESCO pour la paix en « reconnaissance de son engagement fervent et généreux en faveur du patrimoine musical ») et la dextérité admise de son frère aîné, Rami, au piano (siège qu’il tient tant sur Oil Slick qu’au sein du trio électro-classique de Fransesco Tristano, Aufgang). Bref, tout un pan de la production musicale contemporaine que j’avoue humblement ne pas connaître pour ne pas vous tartiner de culture-confiture. D’ailleurs, au gré de mon apprentissage, et sans vouloir me faire commentateur des commentaires, permettez-moi ce premier constat : Que de glose dense, souvent dithyrambique, parfois nuancée mais toujours lyrique inspire l’écoute du premier album de Bachar Mar-Khalifé chez (ou en) mes confrères ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que Oil Slick ne laisse pas indifférent et fait tache d’huile… si ce n’est dans une symbolique que l’auditeur éduqué à la musique de conservatoires ou de l'Ensemble Intercomporain de Pierre Boulez décryptera avec plaisir, au moins dans les tripes du novice que je suis :

 

Happé en ouverture par un « Progeria » auquel le piano de Rami confère une énergie jazz-rock que la basse d’Alexander Angelov et les rythmes d’Aymeric Westrich (Cassius) soutiennent admirablement, sans savoir comment, une électro minimaliste, sombre et expérimentale, nous cueille (à froid) sur les deux dernières minutes… tandis que « Distance » nous apaisera dans la foulée d’une mélodie piano-vibraphone tout en lenteur et délicatesse qui ouvre une voie presque pop à la douceur du chant de Bachar et la chaleur croissante de la ballade, comme une éruption d’espoir dont la lave se dissoudra dans un souffle confident, un murmure intimiste avec la chanteuse palestinienne Lita Jana sur un « Around the Lamp » épuré et invitant à la méditation. Alors, à présent que l’auditeur s’est confiné dans une atmosphère confiante, en quelques notes de piano en boucle, la menace reprend corps. Peut-être est-ce une référence à la catastrophe pétrolière survenue en 2006 à Beyrouth (où il est né), mais cette « Marée Noire », traduction littérale du titre de l’album, n’en reste pas moins primairement intro- et rétrospective : un monologue épistolaire critique et sévère avec soi-même qui devient le mea culpa de la légèreté de l’être, adressé à son fils (et aux générations futures). Pour la première et dernière fois de l’opus, Bachar bascule de sa langue natale, libanaise, à celle de Molière, qu’il manipule depuis sa venue en France, à l’âge de 6 ans. Les premiers mots : « Tu me dégoûtes… », et le texte torturé et torturant se poursuit avec une voix distordue entre violence, amertume et insultes sur fonds rythmiques lourds ou silencieux de repentance (trop) tardive et d’impuissance, malgré la prise de conscience due à la paternité. Pas étonnant que d’aucuns y voient la pièce centrale de l’album, puisque ce titre est d’une rare et fascinante intensité. Toutefois, et sûrement en raison de son caractère politico-social (puisque y est énumérée une liste de prisonniers politiques) mais aussi de la basse grondante et des fantômes de geôles qui le hantent, l’oriental « Democratia » conserve ma préférence : la claustrophobie ressentie sur le titre précédent trouve ici, à mon modeste goût, son paroxysme… et sa libération tout à la fois. Le dernier titre, « NTFntf’ », commençant par ce qui semble être une fuite de gaz/dégazage (à moins que ce soit le bruit sourd qu’entend le passager d’un avion gros porteur), un échappement pris dans un tumulte de sirènes et des hélices d´hélicoptère et reprenant la suite des sons électro du premier titre, pourrait s’assimiler à la fin de la méditation qui nous a été livrée pour achever l’ensemble sur une démonstration percutante de percussions (instrument de prédilection de Bachar) nous invitant à « never to forget », ce que je fais derechef en retournant à une énième écoute.

 

Tracklist :

[01] Progeria (5:55)

[02] Distance (9:34)

[03] Around The Lamp (4:23)

[04] Marée Noire (10:58)

[05] Democratia (6:37)

[06] NTFntf' (10:57)

http://www.myspace.com/bacharmarkhalife

www.bacharkhalife.com/