Le format album, bien employé, n’est pas à enterrer ! Telle est la preuve apportée par cet opéra folk qu’Anaïs Mitchell, son auteur, prend soin de définir : une œuvre dramatique mise en musique pour des chanteurs et des instrumentistes (opéra) qui véhiculent les culture, croyance et opinions des gens ordinaires (folk)… même s’il leur faudra quelque réminiscence de mythologie grecque pour le comprendre. Hadestown, littéralement, la ville du souverain des Enfers, s’inspire du mythe d’Eurydice, incarnée par la douce voix d’Anaïs Mitchell, et Orphée, ici Bon Iver a.k.a. Justin Vernon.
Pour l’histoire, variant selon les versions : l’une des trois dryades (divinités féminines des arbres), Eurydice, poursuivie par un prétendant amoureux, Aristée, lors de son mariage avec Orphée, est alors mortellement mordue par un serpent. Son époux, grand poète et musicien qui savait par les accents de sa lyre charmer les animaux sauvages et parvenait à émouvoir les êtres inanimés, décida alors de descendre aux Enfers chercher son amour perdu, endormit grâce à ses dons le chien à trois têtes, gardien des Enfers (Cerbère) et combattit les muses infernales pour oser se présenter devant Hadès et sa femme Perséphone qui, impressionnée par son courage et son amour, pria Hadès de rendre Eurydice à son mari. Celui-ci accepta à condition qu’Orphée devança sa femme jusqu’au monde des vivants sans se retourner ni lui parler, ce que ce dernier, trop impatient de revoir sa femme et inquiet de son silence, ne sut faire… la perdant ainsi définitivement par sa faute, inconsolable.
Hermès, qui n’intervient pas explicitement dans ce mythe mais dans le casting, est une divinité de l’Olympe, messager des dieux et conducteur des âmes aux Enfers.
Adaptant ce mythe païen (goût hérité de son père) et au symbolisme divers à la période de l’après grande dépression américaine des années 30, la « montpeliéraine » (du Vermont, avec un seul « L ») Anaïs Mitchell a rôdé son opéra sur les routes de la Nouvelle Angleterre avant de « caster » à la perfection ses acteurs : Justin Vernon au chant mélancolique et aux harmonies vocales (du baryton au falsetto) aussi charmeurs qu’Orphée devait l’être ; Greg Brown, avec sa voix caverneuse au phrasé Cash (Jonnhy, bien sur), interprétant un Hadès sobre et inquiétant ; la discrétion de Ben Knox Miller (du groupe Low Anthem) tout en retenue et en Hermès sentencieux et commentateur, tout comme l’effet triplette très ‘30’s des Haden, en chorus de muses infernales, sont tout aussi bien sentis. Et comment ne pas évoquer Ani DiFranco, figure moderne de la protest-song et propriétaire du label Righteous Babe Records (sur lequel est signée Anaïs Mitchell depuis 2007, avec The Brightness), en Perséphone idéale ? Leurs chants sont de véritables jeux d’acteur et leur interprétation sans défaut.
L’ensemble des contrastes vocaux judicieux, porté sur un substrat baroque classique somptueusement arrangé (cordes, piano, guitares) par Michael Chorney, donne à cet opéra folk intelligent une dimension véritablement captivante et pas seulement pour les amateurs de folk. Les autres pourront y redécouvrir la musique traditionnelle américaine sous l’angle de sa diversité : du flower-power à l’americana,… Suite successive d’émotions brillamment orchestrées, Hadestown sera marqué par des moments forts, irrésistibles (« Way down Hadestown », « When the chips are down », « Our Lady of the Underground ») ou simplement beaux de justesse (« How Long? », « Doubt comes in »). Intelligent et réussi!
Tracklisting:
[01] Wedding Song
[02] Epic (Part I)
[03] Way Down Hadestown
[04] Songbird Intro
[05] Hey, Little Songbird
[06] Gone, I’m Gone
[07] When The Chips Are Down
[08] Wait For Me
[09] Why We Build the Wall
[10] Our Lady Of The Underground
[11] Flowers (Eurydice’s Song)
[12] Nothing Changes
[13] If It’s True
[14] Papers (Hades Finds Out)
[15] How Long?
[16] Epic (Part II)
[17] Lover’s Desire
[18] His Kiss The Riot
[19] Doubt Comes In
[20] I Raise My Cup To Him