Tortoise / Beacons Of Ancestorship

Beacons Of Ancestorship est un peu l’album de Tortoise qu’on aimerait faire écouter à des indies-rockers comme à des fervents de l’électronique la plus pointue, histoire de les réconcilier à travers un chemin lumineux qu’ils n’auraient pu imaginer. Oui, on aimerait leur faire écouter ce disque audacieux et tentaculaire. Tortoise a toujours englouti les frontières spatiales et sonores depuis belle lurette, et ce Beacons…, carbonique et fractal, géométrique et torrentiel de structuralisme, à l’image de sa pochette minimale, nous tend la perche d’un magma musical tétanisant, mécanique quantique et tellurique, élan cyclopéen d’un rock postindustriel quasi-électronique sans électronique (quasiment).

Tortoise fait de la musique comme Hans Van der Laan pensait l’architecture, avec force, passion et volonté divine. Et il s’agit bien de cela : la recomposition du rythme, du break et du beat à travers un quintet soudé comme jamais. Des moulages retro progressifs qui font que tous les morceaux avancent ici quasiment en roue libre, pré carré d’une techno-Pere-Ubu préhistorique mais belle et bien made in Chicago. Un Tortoise rapprochant l’algorithme musical tout en mécanique de Can, Faust et Neu! de la chaire sinusoïdale glitchienne et toute contemporaine (hype?) de beatmakers comme Prefuse 73, Nobody ou Flying Lotus (Monument Six One Thousand s'en veut la preuve…). Tortoise fait tout cela en un album : percuter le jazz-rock en enneigeant les syncopes guitares-basse qui ont fait sa tradition populaire, tout en jouant du kick rocambolesque au service du puzzle constructif sur lequel repose son alchimie : soit le baromètre d’un groupe qui fait du rock biomécanique émotif un pied de nez concept plein de jazz et de peintures expérimentales made in Chi-town, ville du building d’acier et de béton. De la musique comme on fait du cinéma, en sorte.

Tortoise a donc fait cela en 2009 : visualisé les pyramides du Kraut teuton le plus architectonique, allumé les mèches du foutraque carnavalesque (Northern Something) l’a rapproché des orchestrations bellâtres d’Ennio Morricone (The Fall Of Seven Diamonds Plus One) pour gerber de la plus classieuse des manières son post-rock lunaire et tellement prenant. Un must.

Lucas Blaya pour 90bpm