Première sortie du label de Kanye West, G.O.O.D. (Getting Out Our Dreams) MUSIC, G.O.O.D MORNING, G.O.O.D. NIGHT se veut double: Deux noms, Kanye West et Malik Yusef, deux CDs (et non un double album), deux versants de la journée (Dawn et Dusk) et apparemment deux objectifs : promotionnel et démonstratif. Mais la démonstration étant en demi-teinte, cette « sortie à risque » divise et fait pencher la balance vers la déception.
Kanye West est passé de l’ombre (en tant que producteur du label de Jay-Z, Roc-A-Fella Records) aux spots des tapis rouges en trois albums aet de nombreuses reconnaissances médiatiques, commerciales et artistiques. Présenté comme dandy du rap U.S., avec son imagerie « fashion » et son ourson en peluche, il en incarne une des figures incontournables, quelle que soit l’opinion que l’on en a. Pour ma part, j’ai apprécié The Late Registration puis ne l’ai plus supporté que sur ses mixtapes (Freshmen Adjustement). Pourtant, pas de reproche à faire en particulier : un sens aiguisé de la boucle et du sample, des productions efficaces (même si elles sont parfois un peu faciles), un flow calé… Il s’agit plutôt des directions artistiques prises par ce dernier : électro et r’n’bisante, et à vrai dire dans tous les genres de musique urbaine avec plus ou moins d’audience, au point que l’on se surprend à se demander s’il vise une expression artistique ou bien une puissance commerciale. Abordons donc cette question au travers de la pochette de l’album : Kanye West (producteur exécutif) & Malik Yusef (producteur exécutif également et MC). Certes, la typographie du moins connu des deux est plus grande mais le rôle tenu par Kanye West justifiait-il l’apposition de ce nom sur la pochette, si ce n’était à des fins de ventes ? Ils auraient pu mettre un ourson à la place d’un des oiseaux avec un panneau « need money to go on »… Ainsi, aurait-on mieux compris la décision de sortir deux CDs à un prix élevé chacun plutôt qu’un double à un prix raisonnable. Toutefois, pour revenir au fond et sur le rôle de Kanye West, ne dénigrons pas la « patte » du producteur. Si vous aimez Kanye West, vous apprécierez sans doute ces albums.
En revanche, puisque j’aborde le fond, et donc le concept de base, force est de reconnaître que l’originalité n’est pas au rendez-vous pour la raison susmentionnée autant que pour l’image binaire, si commune, qu’est censé exprimer G.O.O.D. MORNING, G.O.O.D. NIGHT. « Censé », disais-je, car hormis graphiquement (et encore, les mêmes éléments sont employés : montre… pour le temps, colombes qui volent haut ou bas… pour la paix bien sur et textes s’enchevêtrant, pour la poésie bien entendu) ses deux facettes ne sont pas aisément distinguables l’une de l’autre… Quant à l’originalité : jouer sur la binarité du sombre et de la lumière, de l’aube et du crépuscule, on pourrait y adjoindre une fallacieuse traduction de la lutte interne due a la dualité du poète pour tenter de la sauver, mais son absence résonnera d’autant mieux à l’écoute des trente titres qui composent ce projet. Je ne suis même pas assuré que les couleurs attribuées à ces moments de la journée soient cohérentes avec le moment invoqué: le crépuscule n’est-il pas plus teinté de la rougeur du soleil couchant, et l’aube d’une nappe grisâtre se dissipant à mesure que les premiers rais de soleil la percent ? Aussi, s’il n’y aucune raison d’attribuer à l’une ou l’autre de ces périodes journalières des sentiments précis, nous aurions aimé, pour y croire un peu, qu’une ambiance propre et dominante se dégage sur chacune des deux pièces. En l’espèce, les annonces du jour et de la nuit sont peu discernables, à croire que les journées s’écoulent sans que nous accomplissions quoi que ce soit et sans qu’elles ne changent rien… ce qui légitimerait l’ennui ressenti.
Mais pour être moins partial ou catégorique : si nous enlevons les tracks r’n’bubble-gum, les vocalises doucereuses qui écrèment les titres et les incursions électro-popisantes clairement destinées aux dancefloors ou aux programmations audiovisuelles, il reste quelques éléments intéressants. D’abord Malik Yusef, le « street poet » largement inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique même si sa présence a pu être remarquée sur le « My City » de One Day It'll All Make Sense de Common. Si sa scansion est bien appliquée, et le flow maîtrisé, il n’établit, sur ces productions, aucun éclaircissement sur la spécificité du spoken-word par rapport au rap, alors qu’il y aurait à dire. Cela n’empêche pas d’apprécier ses textes plutôt bien tournés et ses quelques envolées. Ensuite, il y a les titres forts (sur une trentaine, et avec le savoir-faire de chacun, le contraire aurait été surprenant tout de même) : (1) « My People » grâce au flow de KRS-1, (2) « Promise Land » grâce à son histoire (par sa position pro-Obama), (3) « V.E.R.S.E. » pour l’originalité d’utilisation de la cantatrice Anna Maria Cardinalli, le (4) « Chicago » très Tragedy Khadafi teinté de refrains raggaïsés, avec GLC, qu’on retrouvait déjà sur les précédents opus de Kanye West, Maxamillion que je n’apprécie pas d’habitude, J.V. & Really Doe, (5) « Know God ? » grâce notamment à la vibes Kindred & Family Soul qu’insuffle Fatin Dantzler et (6) « Magic Man » grâce au trio Kanye West, Common et John Legend. Un cinquième du projet apprécié sur 2h30 (en cumulé) d’écoute : c’est un taux de radio honorable… moins pour un album. Là où le bas blesse en réalité, c’est donc au niveau de la promotion du label et des réseaux dans lesquels il s’insère. La direction proposée ne m’incite pas à surveiller ses prochaines sorties, car même s’il constitue un joli tremplin pour les artistes chicagoans, dit-on, je dois avouer que ceux en présence et surtout leur performance respective ne me donnent pas envie de m’appesantir sur leur cas.
Ainsi, la liste des featurings prestigieux (Adam Levine des Maroon 5, Michelle Williams des Destiny’s Child, Twista, Jennifer Hudson, Tony Williams, Raheem DeVaughn, Bun B,…) ne changera rien à la formule formatée à la sauce West et tout au plus ne prouve qu’une chose : les réseaux relationnels et la notoriété sont une chose, le mérite artistique (qui comprend une part de risque et de renouvellement) en est une autre. D’où cette morale : A trop jouer la duplicité, on perd la confiance des autres.
Arnaud Sorel pour 90bpm.com
Tracklisting:
DAWN DISC
[01] G.O.O.D. Morning Luv (ft. Opal Staples & Amanda Porshe)
[02] My People (ft. KRS-1 & Mreld)
[03] Leader – The Jesus Peace (ft. Maxamillion, J.V. & Cheryl Lynn Toblin)
[04] V.E.R.S.E. – Very Entertaining Recitals Spit Effortlessly (ft. Big Sean & Anna Maria Cardinalli)
[05] By Your Side (ft. Michelle Williams & Brando)
[06] U-N-I Verses Mine (ft. Twista and Chip Znuff)
[07] Promised Land – extended version (ft. Kanye West & Adam Levine of Maroon5)
[08] Not Love (ft. J.V. & Mica)
[09] Thug Angel (ft. Christopher Denson & Uneq’ka)
[10] G.E.M. – G.O.O.D. Enuff Me (ft. Tony Williams & Phenom)
[11] Freshcooldopefly (ft. Shorty-K and Tassho Pearce)
[12] Just Like Forever (ft. Erika Shevon)
[13] Elevated – So High (ft. J.V. & Benda)
[14]Breathe Taking (ft. Uneq’ka)
[15] Sexuality (ft. Fast Eddie & Lidell Townsend)
DUSK DISC
[01] Too Knight – The Underworld (ft. Zzaje & Jennifer Hudson)
[01] Too Knight – The Underworld (ft. Zzaje & Jennifer Hudson)
[02] Chicago (ft. Maxamillion, J.V., Really Doe & GLC)
[03] Hit It Again (ft. Siren)
[04] Know God ? ft. J. Ivy, Red Storm & Fatin Dantzler of Kindred & Family Soul)
[05] Magic Man (ft. Kanye West, Common & John Legend)
[06] YUGO (ft. Brando, Big Nastee & K-Love)
[07] My My (ft. Paul Wall & J.V.)
[08] Waited (ft. Chairman Fred Hampton, Jr., J.V. & Nia)
[09] The Return – Here She Comes Again (ft. Yaw & Mr. Hudson)
[10] Da Slumz (ft. Raheem DeVaughn, Kumasi & Bun B)
[11] Mean to Say (ft. Vaughn Anthony)
[12] Addicted (ft. J.V.)
[13] Warpath (ft. Trixie Fender & Queen YoNasDa)
[14]So Pop U Layer (ft. Violet Nine)
[15] Stop (ft. Spike Rebel, J.V., Slique & Brando Gordon)
Autres versions de pochettes, surement plus pertinentes (et plus délicates à assembler):