« Let the Children Die » est un projet qui n’atteindra certainement jamais une grande notoriété et sera surement d’autant plus vite oublié. Nous lui dédicaçons malgré tout cette chronique en hommage aux bonnes intentions qui le pavent et en guise d’illustration des (nombreux) projets bien réalisés et loin d’être désagréables qui, pour des motifs divers, ne parviennent malgré tout pas à emporter l’adhésion et produisent une gêne mettant à mal l’enthousiasme que l’on aurait pu ressentir.
D-Sisive, de son vrai nom, Derek Christoff, est un natif torontois de la génération de ceux qui ont eu 20 ans en l’an 2000. Pour résumer brièvement son passif, voici quelques précisions : remarqué dès le début des années 90 (donc très jeune) et suite à de multiples productions scéniques, il sortira en 1997 son premier EP, J.A.C., qui a marqué son époque à Toronto grâce au single « Lost Sight », featuring MC Abdominal. Pourtant, malgré sa popularité sur la scène hip-hop canadienne, nous ne retrouvons de trace discographique qu’en 2008, avec le EP The Book (©Urbnet Records) pour lequel, d’ailleurs, il a été encensé par la critique et nommé au Juno Awards (les Music Awards du Canada). Cette absence prolongée et prématurée s’explique notamment par le décès de son père, en 2001, dont il était très proche, mais également par ses difficultés à accepter les règles imposées par l’industrie musicale. En fait, ces événements se sont traduits par un profond état dépressif par rapport auquel The Book, brutal d’intimité, fut une véritable catharsis. Un an plus tard, il réitère sa tentative d’émo-rap à travers « Let The Children Die », nommé – entre autres face à K'naan – pour un Polaris Music Prize (dont la cérémonie aura lieu le 21 septembre, au Masonic Temple), réalisé avec la même équipe que sur son EP précédent (sans doute par besoin de repères et par loyauté également pour un entourage artistique de longue date qui ne l’a jamais abandonné, comme Orin Isaacs, ou Muneshine à la production).
Cette courte esquisse du parcours de D-Sisive nous permet donc de mieux appréhender son dernier projet, dont le titre, « peu vendeur », il en a conscience, est laissé à l’interprétation du public… De notre point de vue, et en se basant sur le titre éponyme, « Let the Children Die » signifie certes la fin inéluctable de l’insouciance mais, surtout, incidemment de la joie et de leurs manifestations spontanées. Ainsi, l’ambiance de l’album est sombre, nostalgique même (« My Daydream ») à l’image de sa cover, qui met en scène un homme dans ses habits de deuil jouant justement sur un piano d’enfant, sur lequel est posée la photo de cet homme alors enfant dans les bras de son père, symbolisant ce qui inspire sa musique… Le masque d’autruche qu’il porte, hormis devenir son logo, incarne une certaine « poker face » qui camoufle donc ses émotions, dont l’affliction, et fait primer l’expression musicale (après tout, il se définit comme étant « Nobody with a Notepad », un titre nommé au 4th annual ECHO Songwriting Prize (SOCAN) soit dit en passant). Or cette expression est riche, notmmanet en raison des multiples influences artistiques de D-Sisive : du funk des Beach Boys sur leur album Pet Sounds à David Bowie qu’il vénère, du cinéaste Paul Thomas Anderson qui, dit-il, lui a fait comprendre ce qu’est l’art au très grand écrivain Charles Bukowski… Plus concrètement, par exemple, « Switzerland » est directement lié à son admiration pour Charlie Chaplin (qui y a passé ses dernières années) ou bien « The Introduction » est une reprise de Death Take Your Fiddle du groupe rock anglais Spiritualized (même si rien ne nous l’indique explicitement… malheureusement) ou encore l’influence rock justement se fait sentir sur « Song to Sing », qui est une exhortation à être soi et à se méfier du rap commercial, creux et cliché made in industrie – thème que l’on retrouve sur l’entrainant « I See » en compagnie de Muneshine, 9th Uno & Little Vic. Concernant d’ailleurs les featurings, nous y trouvons l’élite du hip-hop canadien et quelques participations américaines : outre ceux déjà cités, Classified, Buck 65, Sweatshop Union (via Conscience et Kyprios), DJ Grouch et Guilty Simpson (sur le bonus old school « Like This »). Il n’y a, affirme-t-il aucune logique marketing derrière… Au constat de l’apport très relatif que cela engendre pour le projet, nous lui ferons crédit ! Par contre, nous aurons la dent plus dure contre son flow métronomique souvent trop prévisible car trop peu variable au long de cet opus et globalement mono-tonal. Dommage ! Car les textes intimes et sensés, les compositions diverses qui, sans être forcément exceptionnelles, sont de très bonne facture et l’état d’esprit peu conventionnel qu’il véhicule sont plutôt agréables. Aussi, s’il nous prouve son indéniable potentiel sur l’émouvant « Father » ou sur le pianesque « Die in Amsterdam », l’impression générale reste en demi-teinte.
Arnaud Sorel pour 90bpm.com
Tracklisting:
[01] The Introduction
[02] Switzerland
[03] Let The Children Die
[04] Nobody With a Notepad
[05] Father
[06] Back Then
[07] Song To Sing
[08] Riot I Caused (feat. Classified)
[09] I See (feat. Muneshine, 9th Uno & Little Vic)
[10] Questions
[11] Glorious
[12] Beeswithyou
[13] Mr. Daydream
[14] High School Cool (feat. Conscience & Kyprios)
[15] The Stars
[16] Die In Amsterdam
[17] The Superbowl Is Over (feat. Buck 65)
[18] Like This (feat. Guilty Simpson & Dj Grouch)
[19] Wonderful World