Voguant sur le succès et la notoriété conférée par leur album Clin d’Oeil (©Kif Records, 2008), les Jazz Liberatorz (les meldois DJ Damage, DJ Dusty et Madhi dont on ne fait déjà plus la présentation – et si besoin était, je vous renverrais simplement aux divers articles déjà publiés sur ce site) nous proposent un opus bien nommé, Fruit Of The Past,qui nous permet de mieux cerner leur parcours et donc l’évolution de leur art et de leurs mélodies.
J’ai cru lire, ici ou là, que les Jazz Lib. auraient la volonté de démocratiser un hip hop emprunt de jazz et de soul, mais ce hip hop possède une longue tradition et s’est déjà démocratisé via le Jazzmatazz de G.U.R.U. (1993) et les multiples expériences classées alors dans l’acid jazz : les Urban Species, les US3 (dont le célèbre « Cantaloop (Flip Fantasia) ») ou encore Buckshot LeFonque et son « Music Evolution » exprimant la formule du hip hop jazzy : « Sometimes the common makes it sounds strange. Add a little this, take out a little that, then you’ll come up with that jazz called rap ». Ce format hip hop, souvent attribué aux artistes East Coast (The Roots, Common, De La Soul,…), s’est répandu, aussi bien du côté de la West Coast (avec entre autres Madlib, les surdoués SoundProviders et les méconnus Jazz Addixx) que vers d’autres territoires, comme en France, avec DJ Cam, Oxmo Puccino, Rocé ou même grâce à l’électro-jazz (Erik Truffaz, accompagné du MC suisse Nya, Wise avec Wolf, Electro Deluxe qui accompagne Beat Assailant sur scène,…). Pourquoi ce rappel, loin d’être exhaustif ? Simplement pour remettre en perspective les Jazz Lib. par rapport à l’ensemble des expressions de ce courant musical et constater qu’à défaut d’une originalité évidente, ils ont su explorer la diversité du genre et affiner leurs productions.
Aussi, outre que l’essentiel de titres est déjà sorti en 45 tours ou sur des compilations, l’impression de « déjà entendu » que l’on ressent parfois à l’écoute de cet opus, en dépit de son exécution impeccable, provient en partie du fait que les MCs invités sont sur leur registre classique, que l’on s’attend donc à entendre. Et pourtant quels MCs ! Fat Lip de The Pharcyde (sur les boom bap « My Style is Fly » et très pharcydélique « Back Packers »), Mos Def (fidèle à lui-même sur « Mountain Sunlight »), T-Love (toujours aussi efficace que ce soit sur « Force be with you » ou sur « What’s Next »), Declaime (servi, sur un « Music Makes the World Go » que l’on pourrait attribuer aux Jigmastas), Wildchild des Lootpack (sur le remix péchu de « After Party », à l’ancienne) ou Aloe Blacc (sur « What’s real », dont le refrain R&B casse, de mon point de vue, l’ambiance du disque). Mais, ici, l’originalité n’est pas le point de mire. Il s’agirait plus d’exprimer leur savoir-faire par un renouvellement sachant s’adapter aux styles de chacun des MCs invités. Et, de ce point de vue, le pari est réussi. Rendant ainsi hommage à cette exploration de styles et au beatmaking, les « Music In My Minds », part 1 & part 2, enchainant les boucles ayant fait la réputation de nombreux groupes et producteurs de hip-hop, en constituent l’illustration la plus évidente.
D’ailleurs, le réel « plus » de cette rétrospective (des six dernières années), ce sont les instrumentaux inédits, en formats skit ou track, qui la parsèment, parfois anecdotiquement (« What’s next on the Menu », « Diggin Sound », « That’s Right », « That’ Reality », « Loop Prisoner ») mais le plus souvent richement : de l’ambiance crooner de « It was only a song » amusante qui plus est, au « Slow Down » hypnotique, ou d’un « Always Something » qui fait penser aux productions de Oddisee, sur un fond funky que l’on retrouve aussi dans le jazz de « Capture your Mind », aux flûtés « Breathing Pleasure » (avec Eric “Rico” Gautier), très St-Germain, et « Blue Avenue », parfait. Restent la pépite « A Paris » et « Dark Keys », avec Olivier M’Selem aux claviers, qui nous offre une mélodie jazz digne des clubs spécialisés. Puis un dernier volet doit être énoncé: celui des remixes – effectués par 20Syl des Hocus Pocus bien sur (très reconnaissable), par d’autres nantais, signés aussi chez Kif Records, Drums Brothers (qui ralentissent le tempo de « Force Be With You » et l’agrémentent de scratchs bien placés) et par Dela – qui viennent compléter les 74 minutes… et semblent nous indiquer que la machine est désormais en marche.
En résumé, pas indispensable, ce fruit du passé permet néanmoins un beau rattrapage sur l’univers musical jazz et paisible (presque ambiant, puisque l’ensemble offre un arrière-fond remarquable) que le trio sait développer avec savoir-faire mais aussi sans prise de risque, ce qui a peut-être été le prix à payer pour un accès plus aisé vers la diversité que le hip-hop jazz recouvre.
Tracklisting
[01] Music Is My Mind Pt. 1 (00’50)
[02] Loop Prisoner (01’20)
[03] What’s Real feat. Aloe Blacc (05’17)
[04] Dark Keys feat. M’Selem (04’49)
[05] What’s Next On The Menu (01’44)
[06] Music Makes the World Go Round feat. Declaime (20SYL Remix) (04’06)
[07] Force Be With You feat. T-Love (03’16)
[08] Diggin Sound (00’34)
[09] It Was Only A Song (01’49)
[10] Always Something (04’16)
[11] My Style Is Fly feat. Fat Lip (03’20)
[12] Capture Your Mind (01’36)
[13] A Paris (01’56)
[14] After Party feat. Wildchild (Jazz Lib Remix) (03’56)
[15] That’s Right (00’32)
[16] Mountain Sunlight feat. Mos Def (03’20)
[17] Breathing Pleasure feat. Rico (04’07)
[18] Music In My Mind Part 2 (03’06)
[19] That’s Reality (01’50)
[20] Blue Avenue (03’10)
[21] Back Packers feat. Fat Lip (03’50)
[22] Slow Down (01’36)
[23] Force Be With You (Drum Brothers Remix) (03:43)
[24] My Style Is Fly (Dela Remix) (03:32)
[25] Music Makes The World Go Round feat. Declaime (04:40)
[26] What’s Next feat. T-Love (02:42)