Grand Corps Malade / Midi 20

Rien ne prédestinait Fabien Marsaud a devenir Grand Corps Malade, pourtant son album est une des révélations musicales de l’année, tous genres confondus.Rien ne  prédestinait Midi 20, un disque de slam, à faire un tabac, pourtant le 1er album de Grand Corps Malade est un succès commercial.Rien ne prédestinait le slam à n’être autre chose qu’un hobbie un peu marginal réservé à un petit groupe d’initiés, pourtant même Nikos de TF1 (sic) clame  son envie de promouvoir ce style musical au milieu des paillettes académiques réservées d’habitude aux stars éphémères préfabriquées pour et par le petit écran.

Bien loin des publicités aux grandes heures d’écoutes, des plateaux  télévisés et des concerts à guichets fermés, Midi 20 est avant tout l’aboutissement d’une belle aventure humaine. C’est celle de Fabien, jeune homme sportif dont l’allant est stoppé net par un déplacement des vertèbres qui le privera de l’usage de ses jambes.  En 2003, 6 ans après cet accident, Fabien met toute son énergie dans le slam, ce cousin “a capella” du rap qui commence petit à petit à rassembler les rares amateurs du genre dans les café-théâtres parisiens.  Rapidement remarqué pour sa plume touchante et son charisme inné, le jeune homme se fait un nom, un pseudo auto dérisoire que l’on oublie pas, directement emprunté de sa triste mésaventure.  Un alias qui attirera l’oreille d'Edouard Baer, puis celle de Thierry Ardisson alors que son premier album, mis en musique par son acolyte de toujours S Petit Nico, est sur le point de voir le jour. Un coup de pub inespéré, grâce auquel Grand Corps Malade va pouvoir sortir son projet sur une major.

Prenant racine dans une chanson synthétisant la vie de Fabien à l’échelle d’une (demi) journée ; Midi 20 étant l’heure présumée à laquelle il sortirait son disque, le titre de l’album n’aurait pu être autre chose que ce morceau aussi personnel, slamé sur un piano mélancolique à mesure qu’avancent les aiguilles de l’horloge vitale de GCM.

Avec “ comme renaissance l’écriture”, comme il le dit de sa voix grave en ouverture de l’album, GCM compte exploiter pleinement ses qualités de poète pour délivrer des messages fortement imagés, qui brillent par leur universalité. Et leur pertinence, tel ce portrait si humain et si juste de la banlieue dépeint à travers la chanson réservée à sa ville, Saint-Denis. Décrite ici comme une “une grande-dame” pleine de vie, métissée et multiculturelle, à laquelle GCM  (dionysien de naissance) est profondément attachée, Saint-Denis n’avait connu si bel hommage depuis  longtemps.

Les clichés, Fabien les évite tout comme il esquive la facilité même en abordant des thèmes “récurrents”.  Grâce à son maniement hors-pair de la métaphore filée, GCM réinvente, le temps d’un morceau mémorable, la chanson traitant des relations amoureuses. Les voyages en train brille un nouvelle fois par la justesse du propos, GCM arrivant en moins de trois minutes à décrire avec précision une multitude de situations, mêlant clins d’œil de la vie sentimentale au champ lexical ferroviaire… tout en gardant intacte la comparaison avec le voyage. Grandiose, tout simplement.

Grand Corps Malade reste avant tout Fabien, ce jeune homme battant avec ses forces et ses faiblesses. Il met d’ailleurs ses dernières  en avant dans un morceau, l’excellent  J’ai oublié, toujours aussi fort en images… et qui permet de mieux cerner l’auteur.

Morceau choisi : 

 “J'ai oublié de mettre des baggys et des ensembles en peau de pêche / J'ai oublié d'avoir du style et c'est comme ça depuis la crèche / J'ai oublié de chialer depuis un sacré bout de temps /  Une sorte de sécheresse ophtalmique, s'en est presque inquiétant / Je sais pas si c'est normal mais c'est vrai que pour être franc / La dernière fois que j'ai versé une larme, on achetait le pain avec des francs”

Bien que les mots restent la pierre angulaire du Slam, Midi 20 ne serait pas aussi intéressant sans la musique qui accompagne les textes de GCM.  Composée aux trois-quarts par son ami S Petit Nico, elle sait être suffisamment discrète et minimaliste pour ne pas empiéter sur la poésie en elle-même. Point de beats et de basse, juste quelques nappes de violons, de saxophone ou de piano.  Saluons donc le travail de l’ombre des musiciens, qui ont su s’adapter à merveille à la voix si particulière de Grand Corps Malade.
 
Evidemment, tout n’est pas toujours parfait et certains passages peuvent s’avérer lassant à la longue. Si le timbre volontairement monotone de GCM s’accorde la plupart du temps à merveille avec les mélodies minimalistes de S Petit Nico, le manque de variations dans l’album a tendance à plomber légèrement l’ambiance générale. Légèrement répétitif techniquement, on sent que la formule du duo aux manettes atteint ses limites, et il leur faudra se renouveler si ils veulent maintenir ce cap d’excellence sur le prochain opus.  Heureusement, cette légère lassitude s’estompe avec le dernier morceau de l’album, Toucher l’instant, autre joyau de Midi 20 concluant à merveille le travail de Grand Corps Malade.  Hommage à son art, ode à l’écriture et à la magie de se sentir poète, Toucher l’instant donne une dernière touche d’intensité à l’album en s’appuyant sur des notes de piano énergiques.

Malgré les quelques couacs sans importance, Midi 20 est un disque très dense, d’une rare beauté et qui, finalement, mérite toute cette agitation médiatique. Pour une fois que qualité et succès vont de paire, autant franchir le pas de la curiosité et se laisser bercer par la poésie raffinée de Grand Corps Malade.

Est-ce vraiment une hérésie,
De se dire qu'on assume et qu'on écoute de la poésie ?

Les 3 titres coups de coeur:
– Les voyages en train
– Toucher l'instant
– J'ai oublié