Plus que jamais à son aise dans son costume d’incontestable numéro 1, Jay-Z ne revient toutefois pas dans les meilleures circonstances possibles. Critiqué par plusieurs artistes de son label et régulièrement attaqué par une partie de la scène new-yorkaise, il doit aussi dealer avec un marché en constante mutation, exagérément dominé par le Sud. En outre, après être parti au sommet de son art, son retour se doit d’être parfait. Pari épineux et osé, mais à la mesure du bonhomme, pour qui « difficult takes a day, impossible takes a week ». Show Me What You Got, le premier tube, nous a mis l’eau à la bouche avec ses trompettes grandiloquentes, son beat survolté et son clip éblouissant. Le sample éponyme de la BO du film « Shaft in Africa » aidant, Jay-Z joue à fond la carte de la frime, entre caricature arrogante et charisme absolu.
Si la recette reste la même pour les singles, il en va de même pour l’album. Ainsi, à la manière de ses meilleurs prédécesseurs, le format de Kingdom Come est raisonnable, le nombre d’invités est plutôt limité et le tout est mis en musique par la crème des producteurs du moment. Le but avoué étant de sauver New York, voir de sauver tout le Hip-Hop. Et cette campagne messianique fonctionne très bien ; sur le titre éponyme par exemple, Hova endosse métaphoriquement les costumes de tous les super héros mythiques de la grande pomme : « Flash Gordon when recording, spark the light in the dark / Peter Park, Spiderman, all I do is climb the charts » « The Bruce Wayne of the game have no fear / When you need me just throw your ROC signs in the air ». Du grand Jay-Z, sur de lui et maître de son art sur cette boucle de Super Freak, grand tube Motown des années 80 interprété par Rick James. Tout bonnement génial.
Après cet étalage d’effets spectaculaires, le discret mais entêtant piano de « Lost Ones » aurait pu passer inaperçu si son concepteur n’avait pas été … Dr Dre himself. Et bien que la patte d’Andre Young ne saute pas aux oreilles au premier abord, la façon dont les notes s’incrustent petit à petit dans nos têtes ne fait pas de doutes quand au génie du Docteur. Très mélodieuse, la boucle permet à Jay-z de sortir (enfin) le grand jeu côté plume. Délaissant strass, paillettes et autres bouteilles dorées, Hova aborde ici les blessures relatives à la fin de son amitié avec Dame Dash, à ses relations affectives et au triste décès de son neveu. Entre regrets et amertumes, les mises au point semblent libérer Hov’. Le texte est de toute beauté, à échelle humaine et s’impose comme indispensable pour étoffer un peu plus la mythologie du personnage.
Invité surprise, Dr Dre prend tout le monde à contre-pied avec une panoplie de sons plutôt dépouillés, loin de ses habituelles compositions dansantes. Moins synthétiques qu’à l’accoutumée, les beats du Doc’ se révèleront être de précieux supports pour Jay-Z, jusqu’à en voler la vedette aux traditionnels beatmakers d’Hovito. Si "30 Something" se veut plus décontracté que « Lost Ones », il n’en demeure pas moins intéressant, surtout grâce à ses nombreuses lines (« Y'all respect the one who got shot, I respect the shooter ») et aux multiples pics adressés à ses détracteurs (Jim Jones, pour ne citer que lui). Jay-z assume sans complexe son âge, puisque désormais avoir 30 ans, c’est avoir la fraîcheur de la vingtaine ; mais les privilèges de la sagesse et du recul en plus… Sacré Jay-Z va! A l’opposé de cet excellent moment de légèreté, on savoure avec grand plaisir l’engagement du bonhomme sur "Minority Report", morceau traitant de la catastrophe causée par l’ouragan Katrina. Le long de ce grand moment de dévotion à sa communauté, Hov regrette de ne pas avoir suffisamment donné de son temps et fustige l’immobilisme des pouvoirs publics et leur mauvaise gestion (quasi ségrégationniste) de cette crise. Démago et prévisible ? Peut-être. Excellent track et bonne initiative malgré tout ? Sûrement, d’autant plus que les plages engagées et purement altruistes se font assez rare chez le ‘‘Président” Carter…
Malheureusement, l’euphorie est de courte durée, car après le triple festival de Just Blaze et entre les coups de génie de Dre cités plus haut, l’album cherche en vain un titre clé susceptible de lui trouver un second souffle et d’exalter l’ensemble. Ce moment là n’arrivera que trop tard, à la toute fin de l’album, après une flopée de titres…ennuyeux. Pour preuve, même Kanye West et Pharell semblent vraiment à court d’inspiration, livrant chacun une copie insipide et anecdotique. Très loin de leur meilleur niveau, ceux qui avaient contribué à rendre classiques les précédents opus de Jay-Z sont à la limite de plomber l’ambiance ! Ironie du sort, le grand absent de la partie semble lui au sommet de son art cette année… Dieu sait quel aurait été ce disque avec Timbaland aux manettes de deux ou trois morceaux, et sans les participations superflues de Beyoncé, Usher et John Legend. Au lieu de ça, Swizz Beats et Dj Khaled n’arrivent pas à galvaniser la deuxième partie du disque, et il faut encore un coup de Dre, «Trouble», pour redonner un simili coup de fouet à Kingdom Come.
Le salut viendra donc en bout de course, là où l’on ne l’attendait plus. Biscornue au premier abord, la collaboration avec Chris Martin (Coldplay) devient rapidement envoûtante, et l’onirisme particulier qui s’en dégage nous laisse sur une note extrêmement positive. Beach Chair, ode au rêve et à l’inespéré, conclut donc brillement un Kingdom Come aux deux visages, présentant tantôt un artiste étincelant, tantôt un rappeur anodin qui peine à sortir du lot. Et c’et bien là tout le problème, car venant de Shawn Carter l’anecdotique est impardonnable. Sans être trop exigeants, nous étions en droit d’espérer mieux que ce retour en demi-teinte. N’exagérons rien, cet album est quand même très bon et mérite largement qu’on s’y attarde longuement… D’autant que le livret contient l’intégralité des textes, chose hautement appréciable. Mais il n’a pas les épaules assez larges pour être à la hauteur de l’évènement. Espérons donc que Kingdom Come ne soit qu’une remise en jambe, et que dans les prochains mois Jay-Z revienne avec un album digne de ce nom, dans la lignée de ses meilleurs opus.
Tracklisting:
01. Prelude (prod. Ghettobot)
02. Oh My God (prod. Just Blaze)
03. Kingdom Come (prod. Just Blaze)
04. Show Me What You Got (prod. Just Blaze)
05. Lost One ft. Chrissette Michelle (prod. Dr. Dre)
06. Do You Wanna Ride ft. John Legend (prod. Kanye West)
07. 30 Something (prod. Dr. Dre)
08. I Made It (prod. Dr. Dre)
09. Anything ft. Usher & Pharrell (prod. The Neptunes)
10. Hollywood ft. Beyonce (prod. Scyience)
11. Trouble (prod. Dr. Dre)
12. Dig A Hole ft. Sterling Simms (prod. Swizz Beatz)
13. Minority Report ft. Ne-Yo (prod. Dr. Dre)
14. Beach Chair ft. Chris Martin (prod. Chris Martin of Coldplay)
Tracks Préférés:
Kingdom Come (prod. Just Blaze)
Beach Chair ft. Chris Martin (prod. Chris Martin of Coldplay)
Lost One ft. Chrissette Michelle (prod. Dr. Dre)