Qwel & Meaty Ogre / Freezerburner

« The freezerburner sent me, let me introduce myself / The speaking furnace verses eartquakes, typhoons I qwelled […] the ice will burn em like the crews that I felled ». Messianique dès l’introduction. Qwel revient donc plus de deux ans après le magique et élégiaque The Harvest, association passée et bienheureuse avec Maker, prodigieux beat-fabriquant de la forge G4 et membre en heures creuses du sous-estimé combo Glue. Familiers des sorties régulières en provenance du roster de l’Illinois, grands crus le plus souvent, nous assistons avec Freezerburner à la quarantième parution du label (déjà) et au cinquième plaisir solitaire de Qwel. Rappelons que le Nacrobat spitter possède une discographie fleuve, cd-r par ci, tour cd par là -le récent Caffeine dream avec Mike Gao confirme l’ubiquité de l’homme- et fanfaronnades phonographiques de jeunesse avec ses Typical Cats. Voilà pour les présentations. Sauf qu’au générique on note que Freezerburner voit défiler Qwel ET Meaty Ogre. Rajoutons donc une couche au who’s who du label chicagoan : comme pour tous ses autres solos, le MC prolixe, graffer assagi et battler-emcee de talent (Eyedea doit s’en souvenir assurément), a décidé de rejouer la carte de la cohérence sonore en travaillant avec un seul et unique producteur. Après Maker, Jackson Jones et Mike Gao, Meaty Ogre est le nouvel élu. Autre signature du label, et beat-artisan pour toute l’écurie G4, Meaty Ogre a déjà fait acte d’orfèvreries instrumentales pour (entre autres) Robust, Offwhyte, Mestizo, Rift Napalm ou Sage Francis, sur Galapagos 4, Memphix ou Heardrums (pour une série de 7 inches instrumentaux). Une alliance entre les deux hommes qui fait long feu et arrive donc à maturité, puisque déjà consumée à plusieurs reprises par le passé notamment sur les titres «Manhattan Project » (Typical Cats) et « Orion’s Right Shoulder » (Leo Vs Pisces, premier LP solo de Meaty Ogre). Voilà pour le casting flamboyant.

Avant de rentrer dans le vif du sujet et voir ce que cet album a dans le ventre, une petite explication s’impose quant au projet conceptuel sur lequel Qwel se penche depuis plusieurs années maintenant. Lecteur zélote de récits canonico-bibliques, ayant décortiqué en particulier l’Apocalypse selon Saint-Jean et sa symbolique quaternaire  [4 cavaliers de couleurs différentes, symbolisant chacun un « stade » (respectivement : blanc/conquête, rouge/guerre, noir/famine et jaune/bestiaire], Qwel a mûrement réfléchi à la construction d’une symbolique discographique. Reprenant ainsi ces ritournelles bibliques à son compte, et les calquant de surcroît sur le rythme des saisons (histoire de rendre les choses plus simples), le MC devient démiurge de son propre livre prophétique, une version moderne de l’Apocalypse si vous préférez. Quatre saisons/quatre cavaliers comme symboles correspondant à quatre albums de la discographie de notre ami. Et FreezerBurner d’être la deuxième partie de cette pièce en quatre actes. Ainsi, si sur The Harvest Maker déroulait un tapis de compositions automnales et originales scénarisant les élans du cavalier blanc, Meaty Ogre a ici la rude tâche d’enfiler son écharpe, ses moufles et d’aller ambiancer du côté des effluves hivernales actuelles. Le blizzard quoi, créant son microcosme morainique au cavalier rouge et donc à un Qwel plus que fervent. Voilà pour les amphigouris apocryphes, pseudo-bibliques et salvateurs (ouf !).

Venons en au fait : l’album est bon et bien parsemé de ce que nous attendions, à la fois la pâte (si musicale) de Meaty Ogre et le lyrisme haché-menu d’un Qwel qui s’en donne à cœur joie dans son rôle phare (et habituel) de pourfendeur de misérabilisme culturel made in USA et de « rites païens » post-modernes. Soit, entre autres, luxure cathodique (« future drama / futurama shoot your mama sue your father on a tv show, I know the truth your honor / but peep the proof just ain’t so easy, quote », « High Tithe »), affres des impositions et d’un système économique régi par une soif de l’or non camouflée (« The Fourth Reich of the Rich », inspiré de l’ouvrage poubelle de Des Griffith, proxénète du mauvais blockbuster littéraire ?) ou plus trivialement disparition d’un hip-hop mainstream de qualité (« Saved », incrustée de jeux de mots liés au hip-hop : « Since before I peeped the theory from the low end / water deep three feet high and risin […] and Krs just made us listen / we had it made and paid in full »).

Freezerburner est à l’image du Qwel de 2006 : froid, pointu, plein d’idées, revendicateur et torturé. Et donc Qwel de revêtir les traits de l’éternel délégué syndical démocrate chrétien d’une ère glaciaire au sein de laquelle Chicago, l’Illinois comme tous les Etats-Unis plongent en apnée dans un Würm climatique dramatique. Hell on Earth : war goin on outside. Rien de nouveau sous la glace du grand nord. Comme à son habitude Qwel rebondit de vers en vers, de prose en prose, toujours habité par une maîtrise littéraire hors du commun (pléthore de jeux de mots et de destructurations déclamatives, du grand art) et par un flow toujours aussi caractéristique, certes pour cette fois (volontairement) ralenti par les compositions de son Ogre d’acolyte.

En guerre intellectuelle comme spirituelle, Qwel dénonce l’ultra-fanatisme qui mène à la déraison (« some claimin’ christian on the surface while they churches is prisons / shits some prisons are churches compared to the love that they are given », « High Tithe ») et vient s’essayer au chant sur deux titres, assez peu convaincant dans ce registre sur « Fallen Rome ». Si malgré quelques égarements sanctionnables quant aux positions ultra de Qwel, (sa verve créationniste dans « Machinegun Monkey » ne peut que faire sourire hors contexte, mais peut aussi faire peur; le zèle de « High Tithe » est fiévreux, tout simplement), le MC se place toujours en constat critique d’une perte du sens global de l’humanité, d’une dénonciation des courroux Babyloniens, du néant du tout matériel et d’une nécessaire rédemption à provoquer (« The Cyclops », entre autres). Freezerburner est finalement un long prêche passionné, documenté et triturant plutôt qu’essayant de convaincre. Plus un constat bien parachevé qu’une émulation béate d’un rappin’ Reverend Dr. C Dexter Wise III. Ce qui n’est pas plus mal. « They got ears but don’t hear / it’s ain’t like it’s new, can I get a amen / Standin scared and ensnared by their fear / can I get a amen » charcute ainsi Qwel sur « High Tithe », significatif à plus d’un titre, par ses handclaps incisifs et la grandiloquence toute-gospel et hiératique de la chanson.

Néanmoins il y a un mais, et non des moindres. L’album est dense, c’est une qualité souvent, mais qui sur ce projet se mute en léger handicap. Trop dense, brumeux, voire « brouillardeux » cet album ? Non que l’architecte sonore ait fait un mauvais travail, loin de là. Meaty Ogre à la barre du brise-glace FreezerBurner ne déçoit pas. Juste que son linceul rythmique souvent tissé sur un « rock sixties à la découverte de l’électrification » est souvent très bon, mais semble parfois se répéter, enfermant l’auditeur dans des thématiques sonores similaires. Vous me direz, ceci était voulu : créer une mouture glaciaire (spectrale ?), un brin funèbre et forcément carcérale du fait de la cristallisation d’un sentiment tout-puissant d’éternité et d’inaltération relayé par les lyrics d’Apocalyse Qwel. Si cela fonctionne sur « Id Glue » ou « The Fourth… » par exemple, plusieurs titres ne parlent pas de ce fait (Elijah), et ce sont dès lors les prod les plus évolutives de Meaty Ogre qui sortent du lot (« Cabin Fever » et ses flyin’ symbals, ses soli de guitare en avalanches, sculptures sur glace pour l’héroïsme d’un Qwel rappelant dans ses râles le Prince Rakeem d’époque). La recherche des samples et boucles de batterie est encore une fois scotchante (« Winterlude », « Cabin Fever ») et, en bon épicier de l’instrumentale mélo, M. Ogre sait à quel moment faire poindre ces enluminures et tremolos crasseux qui font la différence (les ondoiements cristallins de flûte de « Practice For Hope » en sont un exemple, tout comme la panoplie harmonica, guitares distordues, chœurs enfarinés et scratchs/transforms lointains…). Le beatmaker est encore aller digger ses ambiances du côté des grands du jazz rock dada (King Crimson, Robert Wyatt) en ressuscitant fiévreusement de ses caisses à disques des breaks enivrants, de funk-rock déchirés aussi sombres que la toile climatique qu’il arrive à tirer tout au long de l’album, et au final tendre avec beauté (« The Fourth Reich Of The Rich » en est symptomatique, tout comme « Practice For Hope », qui finit par enivrer et donner cette impression de vie instrumentale auto-alimentée, créant l’émotion).

Finalement, Freezerburner est à The Harvest ce que Leo vs Pisces pourrait être à Honestly. Difficilement comparable, mais un cran en dessous, s’il l’on effectue tout de même la démarche. Néanmoins, Qwel reste un MC incomparable et couteau-Suisse qui, même si ici brille peut être de moindres feux qu’à l’habitude, est capable de retourner une création sonore de sa seule aura. Surtout quand ces mêmes créations savent lui damer la piste, chose entreprise ici de façon erratique et inégale. Freezerburner aurait pu être magnifique, il n’est que bon, trop prisonnier d’une certaine conventionalité commune aux deux protagonistes. Espérons que l’acte trois, épisode printanier de cette toute puissante « liturgie qwellienne » mettra un terme à ces légers doutes.

Morceaux Coups de cœur:

– "Cabin Fever"
– "High Tithe"
– "Practice For Hope"