A la première écoute on les donnerait californiens. Leur deal avec le label angelno Epitaph renforcerait cette latence cérébrale. Une simple impression, puisque eux viennent d’un peu partout sauf de l’ouest : Chicago et Pennsylvanie comme case départ et une (ré)union à Orlando, Floride en guise d’épilogue. Soit comme point de chute le doux cocon de l’hédonisme carton-pâte US, joyeux royaume pour souriceaux, j’ai nommé DisneyWorld. La Floride en pôle unificateur d’un activisme déclaré hip-hop, pour sûr, et résolument réactionnaire parce qu’il le fallait bien. Les participants à cette assemblée sudiste, à 20 000 lieux des joutes prépubères du 2 Live Crew d’antan, répondent au doux nom de Solillaquists of sound. Ou « Soul il e kwists uv’ saund » selon les dires de DiViNCi, membre fondateur et chef d’orchestre de ce conglomérat artistico-polyphonique. Trois membres actifs ou cinq participants plus ou moins impliqués, au choix. DiViNCi, Swamburger et Alexandra(h) pour le noyau dur. Tonya Combs et Charles Wilson III pour les électrons libres. Dans l’ordre producteur et beatmaker pour ViNCi, MC transformiste pour Swam et chanteuse (chanteuse ? un rien réducteur considérant la palette nasale de la dame) pour Alexandra(h). Puis poétesse touche-à-tout pour Tonya et arrangeur multi-instrumentiste pour Charles.
Tous dans une même embarcation fleurie et colorée -la pochette toute en aquarelles est à l’image de l’album, un patchwork d’idées, de couleurs, de sonorités au final, de personnalités. Et tout ce beau monde signé chez Epitaph.
Epitaph c’est la maison mère de Pennywise, Bad Religion (ah ! Greg Graffin…), Rancid ou encore Millencolin. Plutôt du brutal donc. Loin des convulsions électro-boogaloo d’un Crazy Legs ou d’un Bomb the Suburbs de William Upski, plus no future que peace & Unity donc. Sauf que le label californien au dos rond a (semble-t-il plutôt bien) engagé un branle-bas le combat artistique vers un hip-hop indé jusqu’à prendre sous son aile Slug et Atmosphere, The Coup, Busdriver, Doom et une souris à la SP (pour DangerDoom) ou encore Sage Francis. Et au final nos éloquents floridiens Solillaquists ov Sound, qui ont eu le plaisir de grimper dans l’autobus de ce même Sage Francis lors de son Healthy Distrust Tour en guise de tremplin national de premier choix. N’oublions pas au passage que ce long format n’est pas le premier monologue du groupe à apparaître sur wax bien que ce soit le premier à connaître une diffusion digne de ce nom (ah, franchir les barbewires de l’underground, un doux rêve…). En effet 4 Student Coun*Sol (2002) Tour de SoliLLa (live, 2005) et N Btween Worlds (best 2000-2004) avaient précédé cet album, mais n’avaient connu qu’un très faible retentissement médiatique malgré les efforts de Nonsense Records, leur label d’alors (qui a notamment sorti cette année la très bonne compilation Community Service) .
DiViNCi et Swamburger ne sont pourtant pas des inconnus. Ils ont tous deux produit pour la suite du Vaudeville Villain de Viktor Vaughn en 2004, bossé avec le très funky Beef Wellington, et y sont tous deux allés de leur effort solo. Alex s’est elle contentée de quelques apparitions à droite et à gauche.
L’heure était donc venue pour une expression commune. C’est chose faite, et plutôt bien faite. Oscillant entre gros programming matador (« Black Guy Peace »), boom-bap 90s relifté, pitché et saccadé à la sauce millénariste nouvelle (« Property & Malt Liquor ») et new-jazz taillé pour une présence – rimshot – toute féminine (« All Too Common »), les douze titres de cet album jouent tous de leur propre personnalité et vivent sur leurs lignes sonores, plutôt éclatées (« Ur Turn », exemplaire à ce propos, ou « Mark It Placed » et ses renvois drum’n bass en bout de course). Les titres se parent d’un rendu sonique très « live » sans aucun doute grâce aux couches et ré-instrumentations bien senties de Charles Wilson III, basse et piano, Laura Escudé, violoncelle, Kris Gruda, guitare, notamment. Et quand on sait que les influences sonores de DiViNCi oscillent entre le Project Blowed, Sly Stone, Square Pusher, Eric Satie ou Hendrix, on comprend d’autant mieux cette livraison.
Côté emceeing la doublette rappelle que la formule homme/femme fonctionne souvent à merveille (ah regrété Translator Crew) et peut même réserver de nombreuses et bonnes surprises (« Our 2 Cents » et ses côtés 1,2 pass it on).
Swamburger, déjà remarqué sur pas mal de projets (dont un titre avec DJ BMF pour le Beat Suite de Spinna) éclaire l’album de sa langue pointue et acérée et n’hésite pas à descendre de nombreux acteurs de la culture noire nord américaine. Car les lyrics de cet album sont une petite mine, plus qu’une simple impression de conscient hip-hop comme une première écoute peut en souligner les traits. « Property & Malt Liquor », sur son fond de guitare latine à la Delinquent Habits (ce n’est pas une critique) apporte une réflexion engagée sur une misère éthylique au sein de la communauté noire, où les jeunes ont pour compagnons de zone quotidienne ces 40 ounces de malt, bières ravageuses à moins de 2 dollars le litre. Eazy panthéonisera ainsi la Olde English 800, EPMD, King Tee ou Ice Cube la St. Ides et l’acteur Billy Dee Williams (le Lando Calrissian de Star Wars) la Colt 45. Ravages dans les projects. « A city drinker meets malt liquor on the corner of black pride, grabs the bottle / Billy Dee advertises colt -another name for a gun- plus sound like a religious cult. Why ? » ou encore « Blacks were promised 40 acres but only got 40 ounces […] rappers advertise ST. IDES. Rearrange IDES to get DIES ». Beaucoup de jeux syllabiques et d’états d’âme poignants sur la consumérisme et le nécessaire retournement des symboles (« I heard that Chris Columbus discovered nothing but native’s living here / he killed them and you senselessly celebrated your thanksgiving here », dans Mark It Placed). Swamburger est au final très rebondissant, même si assez robotique, petit défaut du flow contrebalancé par la profondeur des envolées chantées / rappées de la libellule soul Alexandra(h).
Rappelant parfois le timbre d’une India.arie (le court mais intense « Beautiful Catastrophe »), Alexandra(h) replace de son côté le chant soul féminin au cœur d’une musique noire actuelle peu en forme et prouve que celui-ci peut être compatible avec un eemcing pointu (celui de Swamburger, mais aussi le sien !). Au final, le chemin tracé par la chanteuse, de son Chicago natal à sa Floride d’adoption, est à nos yeux le cordon ombilical tendu entre le jazz vocal de Lorez Alexandria et la southern soul de la sylphide Gwen McCrae. Une pélicule douce-amer de féminité sur des balancements chaloupés et radicalement modernes.
As If We Existed est donc un savant mélange entre un boom-bap digital conçu sur MPC, laissant peu de place aux samples (les parties instrumentales sont majoritairement (bien) rejouées) et une soul suave voire sucrée qui vient interagir avec des rimes dénonciatrices et annonciatrices de réflexions sur des maux bien contemporains, entre black proud et straight-age conscient (« Property & Malt Liquor », « Mark It Placed » ou « Choices »). Le tout savamment mixé et produit (un peu trop, certes) donnant à l’ensemble un souffle pop pas forcément malsain. Car oui, cet album plaira autant à un « popeux » (dans le sens non péjoratif de personne appréciant la musique des beatles, word) qu’à un « poppeur » (dans le sens non péjoratif d’une personne se trémoussant sur les sons de The Egyptian Lover, amen).
Et c’est toute la force de cet album polymorphe. Plusieurs carapaces, plusieurs entrées, plusieurs appréciations, et au final évidemment plusieurs écoutes. Un titre comme « Black Guy Peace », taillé boom-bap digital fera penser aux meilleurs productions d’un Eligh ou Grouch des Legends, pour son minimalisme rentre-dedans édulcoré et bien vitaminé. La chanson est exemplaire de ce qu’est ce disque : aussi évolutive que surprenante. A chaque apparition de notre chanteuse, le titre concernée change de couleur, se plastifie, sort de l’écorce boom-bap électro-mélodique qui lui a été forgé par ViNCi pour bourgeonner vers des cieux à la fois funk, soul, sucrés et scintillants.
Un soliloque est un monologue intérieur, parfois exprimé à voix haute. Souvent à la fois divulgateur d’états d’âmes évidents et astucieuse mise en abîme. Une définition qui correspondrait assez bien aux envolées lyriques papillonnantes qui cimentent ce nouvel album des Solillaquists, malgré ses petits défauts. En conclusion : les états d’âmes et bleuets d’un groupe hip-hop engagé et une musique plutôt revigorante et haute en couleurs.
Morceaux coups de cœur :
– "Property & Malt Liquor"
– "Black Guy Peace"
– "Beautiful Catastrophe"