Ce qui frappe en premier lieu, c’est que Chill semble enfin avoir fait le deuil d’une écriture quasi-indéchiffrable, chose qui avait freiné l’entrain de beaucoup d’auditeurs à l’écoute de Sol Invictus. Le fait de n’avoir aucune pression, de ne pas avoir trop calculé la sotie de ce LP et d’être totalement libre de ses mouvements doit sûrement y être pour beaucoup. Et tant mieux ! Car c’est avec grand plaisir qu’on trouve un Akhenaton plus clair dans son propos, et décomplexé face à un trop plein de technique qui handicapait sérieusement ses couplets ces dernières années. Moins hermétique donc, mais toujours aussi fin dans son écriture et soucieux de ne jamais tomber dans la facilité. Tout un programme, orchestré de bout en bout par ses soins (hormis une production de Hal des Chiens de Paille) et soutenu en featuring que par les seuls membres de sa famille rapologique habituelle : Sako, IAM, Veust Lyricist, les Psy 4 de la Rime, Saïd, Faf la Rage…
Toutefois, ces nouvelles dispositions n’empêchent pas le charismatique leader marseillais d’utiliser ses bonnes vieilles recettes, celles qui ont fait sa renommée depuis ses débuts il y a 20 ans déjà. Des traditionnelles fresques épiques aux superbes morceaux intimistes, en passant par les déclarations d’amour aux siens ou par les tracks légèrement dance-floors vantant les mérites du "vrai hip-hop ", Chill a pris soin de faire évoluer son armement… tout en gardant une stratégie ayant fait maintes fois ses preuves sur les champs de bataille.
Malheureusement, Akh a également perpétué quelques uns de ses pires faits d’armes, comme le maladroit Cosca Crew Party ou l’immonde pamphlet anti-wack Comode le déguelasse. Ce dernier, pétard mouillé faussement drôle et ennuyeux, est bien moins intéressant qu’un " Crêverie Haut De Gamme" qui lui a le mérite d’être vraiment amusant, mieux écrit –bien qu’abordant un autre thème, la pingrerie, plus original donc- et renouant (enfin) avec le traditionnel humour satyrique des marseillais. Autre bémol, la surabondance de sons synthétiques, certainement à cause des problèmes récurrents provoqués par les droits d’auteur à verser aux artistes échantillonnés. Alors qu’Akhenaton a toujours été très bon pour sampler de la soul, ici il s’aventure trop souvent dans un registre électronique qui n’a jamais été le meilleur moyen pour mettre en avant son travail. Ainsi, les morceaux les moins marquants se repèrent aisément aux sonorités froides de leurs instrus, et aux thèmes plus lights qu’Akhenaton se force à aborder pour coller à ce type de son. Cosca Crew Party, Do It, Do It et One Lu" font parti de ceux-là, bien que sur scène ces morceaux pourront peut-être trouver un second souffle et révéler leur potentiel.
Toutefois, Akhenaton n’est pas systématiquement mal à l’aise dans les ambiances électroniques, bien au contraire. Aussi, Livedsladskt" se révèle être très bon, survitaminé par une basse ronflante des plus attractives, et l’apport des Psy 4 sur "Vue De La Cage"se révèle être très approprié, avec une mention spéciale pour la fin du morceau réservé à Sya Styles, cutant à merveille un chant polyphonique sur l’excellent beat du track. Le genre de petit détail qui transforme un morceau quelconque en une petite perle bien sympathique. Autre belle réussite, l’inattendu Ecole de Samba , mêlant habilement des couplets boostés et un refrain fredonné reprenant avec brio l’air très connu d’"Essa moça ta differente" de Chico Buarque. Veust, Chill et Shurik’n nous emmènent le temps d’un morceau dans une ambiance brésilienne, entre Carnaval, Cité de Dieu et Beach Soccer… très risqué, mais imparable !
Les omniprésents refrains chantés sont, eux, une composante plutôt inédite qui ont le mérite de faire parler d’eux. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Alors qu’il ensoleille celui de l’Ecole de Samba Shurik’n avec sa vocalise maladroite sabote à lui tout seul Bien Paraître , à la thématique pourtant très intéressante et bien abordée par Sako et Akhenaton (la mentalité des italiens émigrés). Tant pis. Quand à Toko et Saïd, les deux chanteurs "de métier" qui interviennent sur Soldats de Fortune (outre les choristes qui appuient et soutiennent discrètement certains passages chantés) ils s’en tirent plutôt bien, sans marquer outre mesure les esprits. Chill himself tente à plusieurs reprises de pousser la chansonnette pour agrémenter ses morceaux, et dans l’ensemble il s’en tire plutôt bien, comme sur Mots Blessés ou Canzone Di malavita . On regrettera par contre qu’il en abuse sur « Du mauvais côté des rails », qui sans l’omniprésence de chant aurait sans doute été incontournable vu la teneur des couplets rappés. Dommage, car peu de rappeurs ont la sincérité d’avouer qu’ils ont toujours fui la violence et les mauvais actes, quitte à se couper d’un entourage peu fréquentable. Et ici, Akh l’explique très bien, avec un recul et une objectivité admirable, le tout porté par une plume toujours aussi fine.
On en arrive à ce qui fait que chaque album d’Akhenaton mérite une attention toute particulière : la finesse de son écriture. Pour beaucoup, Chill surclasse tous ses compères quand il officie dans ses registres de prédilection : la narration, l’introspection, l’évocation de sa vie privée… Le bonhomme est à son zénith lorsqu’il fait dans la « chanson à texte », et s’applique à donner de la profondeur à ses morceaux. Sans surprises, cet essai-ci ne fait pas exception à la règle. Et même si Akhenaton a déjà exploité à maintes reprises le fond de ce genre de track, on ne se lasse pas d’écouter Chill faire un bilan optimiste de sa vie à ses différents stades, sur la boucle de « I Go Crazy », le morceau de Paul Davis utilisé majestueusement par Hal pour Mots Blessés. Dans un registre plus sombre, Déjà les Barbelés s’impose comme le track référence qui manquait au duo Sako/Akh. Taclant sévèrement un système français en panne, "l’élève et le maître" posent chacun un couplet puissant : technique et redondant pour Chill (avec une même sonorité qui guide toute sa partie), profond et rondement mené pour Sako. Ce dernier, très en jambe comme d’habitude, enchaîne les phases marquantes, avec la fin de son couplet pour apogée : « Et c’est ainsi depuis mes bleus, mes dents et mes couches./ A force de vieillir sous le feu, le sang et le joug,/On s’habitue à vivre de peu, de manque et de roustes / Et à ces barbelés faits de Bleu, de Blanc et de Rouge / Je sais que je ne changerai rien à rapper ces quelques rimes / Mais continuer à le croire, c’est la qu’on commet le crime. ». Autre chose intéressante dans ce morceau, la sonorité du sample n’est pas sans rappeler les échantillons utilisés par IAM dans leurs morceaux du milieu des années 90. Un régal donc, surtout que quelques discrets cuts viennent enjoliver de façon très efficace l’ensemble. Classieux !
En début d’album, Alamo séduit directement par le flow incisif que prend Chill pour crier au et fort son indépendance d’esprit, qu’il transpose dans la célèbre forteresse. Et comme pour illustrer de manière pratique son propos, Akh ne s’encombre pas d’un carcan classique, enchaînant un deuxième couplet deux fois plus long que le premier, quasiment sans temps mort. Là encore, la plume du bonhomme fait mouche, bien portée il est vrai par un instru envoûtant fait de flûtes, d’harmonica et de guitare qui comme sur Revoir Un Printemps, ont été rejoués de façon accoustique par de vrais musiciens pour l’occasion. Accrocheur grâce à son titre évocateur, Canzone de Malavita se place directement comme un moment incontournable de l’album. L’ambiance méditerranéenne du morceau lui donne un charme tout particulier, celui qui fait qu’Akhenaton reste si attractif. Calme et joyeux, le thème du morceau basé sur l’état d’esprit Napolitain est à l’image de ce que l’homme sait faire de mieux : chanter son bonheur d’être triste. S’adressant implicitement à sa tendre épouse, Akhenaton nous emmène dans une réalité où il redevient un citoyen ordinaire, vivant tranquillement sa vie en profitant des choses simples. Emouvant et merveilleusement bien écrit, Canzone de Malavita s’impose naturellement comme l’un des meilleurs morceaux de l’album.
Autre moment clé, le morceau sensé être la suite de… Demain C’est Loin. Présenté tel quel par Akhenaton, La Fin de Leur Monde reprend exactement le même schéma que son illustre ancêtre. Sauf que cette fois, les deux Shurik’n et Akhenaton ne s’arrêtent pas à un cadre strictement national, et posent leur triste constat en se basant sur les évènements touchant la planète entière. 10 minutes intenses et sévères, faisant de La Fin de Leur Monde un morceau tout bonnement magistral. Bien qu’il ne risque pas de marquer les esprits de la même manière que son grand frère, ce son a le mérite de signer définitivement le retour de la configuration la plus intéressante et la plus charismatique d’IAM.
Cette alchimie si particulière refait également surface lors d’Entre La Pierre et la Plume, morceau guerrier dont le beat est construit à base d’une marche militaire et de bruits de sabre. Mêlant habilement trompette et voix, la boucle porte à merveille les 8 mesures qu’alternent les deux mc’s, toujours aussi à l’aise sur ce genre de son épique. Au moins aussi bon que le mémorable Troie, morceau métaphorique sonnant comme un hymne mettant en parallèle le milieu musical et la célèbre légende hellène. Preuve que les vieux pots permettent toujours d’obtenir d’excellents mets !
En clair, Akhenaton a réussi le pari de concocter un album surprenant et spontané, chose qu’il n’avait jamais fait jusqu’à présent. Et si certains passages sont maladroits et regrettables, le reste s’écoute vraiment avec grand plaisir. Certains tracks sont même carrément indispensables, de par l’immense charisme que dégage le personnage lorsqu’il se contente ce qu’il sait faire de mieux. Peut-être qu’avec plus de samples, Soldats de Fortune aurait pu gagner en densité, mais finalement cette couleur musicale unique le rend très attachant au fil des écoutes. Et vu la qualité des duos avec Shurik’n, on ne peut que souhaiter que les deux compères continuent sur cette lancée pour le prochain IAM. En attendant, Soldats de Fortune est un très bon album qui mérite qu’on s’y plonge avec attention.