Wu-Tang Clan / Wu-Tang Meets Indie Culture

 

Le titre de cette compilation, sans être usurpé, est quelque peu trompeur. Du côté de l’  « Indie Culture », on n’a pas pris trop de risques, la majorité des artistes étant plus que confirmés. Côté Wu Tang, les forces en présence sont légèrement décevantes. Dreddy Kruger a aligné l’équipe B avec quelques titulaires (RZA, GZA sur deux titres et U-God, mais ce dernier compte seulement pour un demi) : pas de Ghostface, de Raekwon ni de Masta Killa. Cela étant, les rappeurs affiliés Wu ne sont pas les moins talentueux, et la présence des trop rares Timbo King et LA the Darkman ne peut être que réjouissante.
Premier titre, premier duo entre deux excellents rappeurs. Accompagné de Ras Kass, GZA pourfend les wack mc’s à coups d’épées, cette fois ci lyriques et non liquides (« It’s a shame when a sixteen bars is just a waste/ and every line and every word is bad placed »). Ras Kass se montre tout aussi efficace. Cette entrée en matière est réussie, et GZA confirme ses bonnes dispositions en cette année 2005, après son album commun avec DJ Muggs. « Slow Blues » permet à la moitié de l’ex-ancien duo Cannibal Ox, Vast Aire, de poser sur une production digne de ce nom, quelques mois après une collaboration avec le douteux Mighty Mi. L’autre moitié de Can Ox, Vordul, est présent aux côtés de Casual, Rock Marciano et Tragedy Kadhafi sur « Think Differently », combinaison de MC’s pour le moins exotique mais réussie.
Malgré la bonne qualité des premiers titres (dont « Still Grimey » vaut surtout pour la prestation de Sean Price) et la fluidité de l’ensemble, il n’y a vraiment pas de quoi s’extasier outre mesure. Les rappeurs invités ne sont pas à mettre en cause, tous ayant apparemment joué le jeu et fait un léger effort pour livrer un couplet de qualité (même U-God a essayé). Le « problème » a en fait pour origine l’aspect instrumental de ce début de disque. Les beats ne sont pas à proprement parler mauvais, ils sont même relativement réussis ou, du moins, propres, mais l’atmosphère générale est vraiment trop commune pour être réellement enthousiasmante. Quiconque a exploré assidûment le catalogue du Wu-Tang et de ses affiliés aura l’impression d’avoir entendu ce type d’instrus des dizaines de fois. Elles sont, dans leur écrasante majorité, l’œuvre de Bronze Nazareth. Techniquement parlant, l’homme est talentueux, ses beats sont, dans la forme, réussis. Son principal défaut est d’être arrivé après les RZA, Allah Mathematics, True Master et autres 4th Disciple, et surtout de faire exactement le même type de productions qu’eux. Ses instrus à base de boucles de Soul et de voix souffrent d’un manque d’originalité flagrant. De plus, comme beaucoup (trop) de producteurs, Bronze Nazareth a jugé nécessaire de rapper, ce qui n’était pas forcément la meilleure idée. Ses deux apparitions (« Street Corners » avec Byata et Solomon Childs, « Black Dawn », seul) sont effectivement anecdotiques.
Au delà de l’incroyable casting de MC’s, l’intérêt du disque reposait a priori sur la rencontre entre deux géants qu’il contenait. « Biochemichal Equation », ou l’espoir d’une symbiose entre deux monuments. Si les talents respectifs de RZA et MF Doom avaient pu s’additionner, purement et simplement, ce titre aurait été l’un des meilleurs de ces dernières années. Hélas, si « Biochemichal Equation » est bien un bon morceau, il n’a rien de grandiose. La boucle utilisée par RZA est belle, mais l’idée de ne pas mettre de beat pendant les couplets, présentée comme révolutionnaire par Dreddy Kruger dans le très soigné livret, est plutôt agaçante. Le titre sonne trop comme ce qu’il est en réalité, c’est à dire une collaboration à distance : RZA envoie son beat à Doom qui lui renvoie un couplet, et rien d’autre. Il n’y a équation chimique que si les composés y participant sont mis en présence l’un de l’autre…Avec un peu plus d’interaction, ce morceau aurait sans doute eu une toute autre dimension.
La deuxième moitié du disque donne à Del the Funky Homosapiens deux occasions de nous laisser entendre son atypique et génial flow. C’est seul qu’il rattrape l’instru faible de « Fragments », et avec Aesop Rock qu’il réalise l’excellent « Preservation ». Sur « Listen », Planet Asia donne un exemple concret de la différence entre les rappeurs au talent inné, et ceux qui doivent donner le meilleur d’eux mêmes pour rapper correctement (Littles). GZA et Ras Kass sont de nouveau réunis sur « Verses », aux côtés de Scaramanga et LA The Darkman. La prod sympathique et peu envahissante de DJ Noize met en valeur les rappeurs, tous excellents. Certains pourront prendre pour eux cette rime de Ras Kass : « Brother say Ras Kass don’t spit fire, he a lier/ like your favorite rap star claimin’ he’s gonna retire ».
Le morceau le plus marquant de l’album reste malgré tout le plus improbable. Il est difficile de trouver deux MC’s plus antithétiques : d’un côté, le crasseux et joyeusement infâme R.A. the Rugged Man, de l’autre le calme et intellectuel J-Live. Les deux protagonistes sont bien conscients de l’opposition de style que propose « Give it Up », et en jouent magistralement. « On the record with J-Live, I can hardly believe it/I never thought i’ll be rappin on a record with school teachers »…les auditeurs auront aussi du mal à y croire, d’autant que l’association est fructueuse. R.A. passe en premier, et lâche un excellent couplet, fidèle à sa réputation : « All that stuff you heard about me is probably true/heard I got the AIDS virus, I probably do ». J-Live, quant à lui, pose de façon très laid-back un couplet interminable. Il se permet quelques allusions au Rugged Man : l’interaction entre les rappeurs ajoutée à leur talent fait que les MC’s s’approprient complètement le morceau, dont l’instru est juste agréable.
Dreddy Kruger a réussi un gros travail en réunissant tout ce beau monde sur le même disque. Mais, malheureusement, le résultat effectif n’est pas à la hauteur des attentes suscitées par un tel rassemblement de talent. Le disque souffre du côté compilation, qu’il était toutefois difficile d’éviter, mais est surtout affaibli par le style entendu et réentendu des instrus. Certains morceaux et invités étaient dispensables (le « Cars on the interstate » de la CCF Division notamment). La mainmise de Bronze Nazareth sur l’aspect musical du disque est préjudiciable, car ses créations manquent grandement d’originalité et de personnalité. L’album y gagne par contre en homogénéité, ce qui a aussi son inconvénient : ce qui aurait du être le morceau phare du disque (« Biochemichal Equation ») semble s’être greffé sans trop de cohérence au contenu de la compilation. La force du disque vient des rappeurs présents (GZA, Del, RA the Rugged Man et J-Live notamment). S’il n’est pas exceptionnel, « Wu Tang meets the Indie Culture » est un disque réussi, qui ouvre de belle manière le catalogue de Think Differently Music.