Dreyf / Son d’Automne

Sept titres composent Son d’Automne, sorti sur le label indépendant Utopie Musiq. Les productions, sans être révolutionnaires, ont en commun d’être mélodieuses, travaillées, et surtout très variées, du jazzy Son d’Automne, jusqu’à la guitare sèche de Lacérations. Evitant la bidouille électro tout comme les violons-qui-pleurent du rap français, elles sont très efficaces en ce qu’elles correspondent parfaitement à l’ambiance de chacun des titres tout en restant très agréables à l’écoute, et il est important de le souligner à l’heure où beaucoup semblent oublier qu’il s’agit du but premier d’une instru. Bref, tout ce qu’il faut du côté de la prod pour que Dreyf puisse bien poser ses mots et nous offrir un résultat probant.
Mettons ce pendant les choses au clair, Dreyf n’est pas le plus grand technicien qu’il nous ait été donné d’entendre. Le flow est imparfait, autant à cause de ses très longues phrases que de la volonté de faire systématiquement tomber la rime en fin de mesure. Il rappe donc souvent trop vite, et certains mots sont avalés. Cet écueil est particulièrement visible sur des morceaux comme Son d’Automne, ou encore Quand j’m’évade, tandis qu’il semble plutôt à l’aise dans un registre moins pressé, à l’exemple de Des Ménages.
Néanmoins, trop accabler le flow du MC parisien serait injuste tant le travail est bon du côté des textes. En effet, on a, avec Dreyf, affaire à un véritable « lyriciste », un de ceux dont les textes méritent souvent une lecture complémentaire de l’écoute. Si l’introspection et l’enfance sont en filigrane tout au long du EP, Dreyf reste avant tout un fin observateur des comportements humains et de la société en général, à la manière d?un Rocé. « Les horizons sont tellement différents, ça va des familles sédentaires jusqu’à la troupe de juifs errants… ». Cette phrase traduit parfaitement la démarche de Dreyf, qui à la manière d’un satellite ou d’une caméra suspendue plane au-dessus de la Terre le temps de quelques rimes sur les différentes situations qui font le monde, toujours en ce qu’elles ont de tragique ou de profondément vain ( « Zoom sur l’Occident, beaucoup naissent par accident… » ). Ainsi, tandis que Des Ménages passe d’une situation à une autre, l’excellent Lacérations scénarise les douleurs de trois individus, trois douleurs universelles.
De la même manière, que Dreyf montre de l’aisance à décrire la masse et ses mouvements, le thème de l’enfance (et plus particulièrement la sienne), semble lui tenir à coeur, au point qu’un titre entier lui soit consacré, Sous le chemin de l’Ecole, featuring Viny, mettant en lumière les difficultés d’adaptation de beaucoup d’enfants face à un système éducatif trop rigide. Un morceau qui brille par la justesse du propos, même si la voix de Viny est difficilement supportable.
Enfin, le mal-être du rappeur transparaît tout au long du EP, qu’il soit lié à une histoire personnelle douloureuse( « Déraciné de nature, trimbalé comme un bagage, j’fus cet enfant en bas âge suivant des cours de rattrapage, jamais dans les temps, toujours en décalage entre les kalashs et les tanks. Des hommes calcinés saturent, j’ai grandi en climat de guerre, si ce n’est pas en terre étrangère…), ou à l’inadaptation à un monde froid favorisant les égoïsmes et la misanthropie( « J’suis de cette lignée de bonhommes solides que le bonheur ne sollicite jamais, j’aime pas être seul mais bon les ombres sont vides, et autour de moi tout est sombre, les gens sont tous un peu racistes… » ). Toujours parfaitement mises en mots, la rancoeur et l’introspection sont plus analytiques que plaintives.
Son d’Automne est un mini-album homogène, où un seul titre dépare, Les gens, featuring Nga Fish, non pas parce que mauvais, mais parce qu’hors-contexte, bien qu’il soit agréable d’entendre Dreyf dans un autre registre. Espérons qu’un long format viendra confirmer cet excellent présage automnal, avec un Dreyf toujours aussi profond, mais plus affûté et donc encore meilleur.
« C’était Dreyf pour Son d’Automne, passage bref dans son parcours, c’qu’il déduit de cette expérience, c’est que l’espoir est partout… »