Du minimalisme et des scratchs de « la sueur a coulé » jusqu’à la douceur de la guitare de « Toi & Moi », en passant par le synthétique « Habitués » (qui arracherait des mouvements de tête à n’importe quelle personne normalement constituée), Ol’Tenz est à l’aise dans tous les registres, mettant réellement en musique les mots de ses deux potes. Mais là où il se distingue fortement du commun des beatmakers français, c’est dans l’importance accordée à la rhytmique. En effet, l’album bénéficie d’une de ces ambiances énergiques, « dope », qu’on ne retrouve habituellement que dans le rap us, tandis que les productions françaises sont souvent plus axées sur la mélodie, quitte à perdre le moindre relief.
Au niveau du emceeing, comme c’était le cas pour le premier album, Tant qu’il en est temps est à diviser en deux parties : celle de Jeap et celle de Vasquez. L’alchimie entre les deux n’est atteinte que sur de rares morceaux comme « Toi & Moi », « Pas l’printemps », ou « Autant en apporte le temps ». Partout ailleurs, les deux comparses sont loin d’être au même niveau, et ce autant pour ce qui est du flow que de l’écriture, et semblent parfois rapper deux thèmes différents sur une même instru. Là ou Vasquez distille avec un flow posé et grave des réflexions la plupart du temps extrêmement pertinentes, Jeap bafouille un flow qui se veut technique et part souvent dans des digressions imprécises. Ce dernier lâche pourtant quelques bons couplets entre deux lieux communs, et est plutôt à l’aise sur les morceaux un peu plus festifs comme « A nos excès », contrairement à Vasquez qui y semble hors-ambiance. Si le très beau « Toi & Moi » témoigne joliment de leur complicité de longue date dans la vie, elle ne va pas de soi sur disque.
Néanmoins, et aussi bizarre que cela puisse paraître ces différentes flagrantes entre les deux rappeurs ne plombent pas tant que ça l’écoute du CD. En effet, tous les morceaux sont bons, certains de par leur manière originale d’aborder un sujet (« La latte du shérif »), d’autres pour l’originalité même du sujet (« Déserteur, ce combat »), ou encore pour l’énergie qu’ils dégagent (« Habitués »). On a surtout à faire avec Less du Neuf à un groupe qui réussit le tour de force de faire passer des messages très profonds avec des mots et formulations simples, ce qui donne des morceaux aussi forts que « Le chant du coq », très courte a capella dans laquelle Vasquez dit avec justesse sur la France ce que beaucoup de rappeurs s’échinent maladroitement à rapper depuis des années. Ou encore « Autant en apporte le temps », beau manifeste pour la maturité et l’humanité. Il se dégage de tout cela un excellent album, grave et frais à la fois, avec autant d’ambiances que de morceaux.
« J’suis un ex-clando, poto, pas un ex-caillera. J’suis pas dans la course à qui expose le mieux sa souffance, cachée par la haine et qui chiera le plus fort sur la France. Pour ceux qui ont peu, qui prennent la vie avec le sourire. Pour ceux qui ont plus, mais ne veulent plus rien si ce n’est mourir. En réalité, qui sommes-nous pour juger ? Conserve humanité, humilité, fils d’immigré… »
Vasquez et Jeap font toujours du « rap de fils d’immigrés », mais semblent s’être éloignés de celui qu’ils ont défendu pendant des années aux cotés, entre autres, de La Rumeur et Casey. A n’en pas douter, les quatre ans qui ont séparé les deux opus sont autant de moments de réflexion sur leur propre démarche, sur sa consistance et ses aboutissements.
Certains restent fidèles à leurs convictions le temps d’une vie entière, et considèrent que suivre rigoureusement une ligne de conduite initiale est un gage d’intégrité, voire même de qualité ou de force. D’autres observent, cogitent, et finissent par changer, tant qu’il en est temps.