Chiens de paille / Tribute

Un an seulement après la sortie de leur deuxième album, les Chiens de Paille repartent au front avec Tribute, un Street-Album réalisé en totale autarcie ou presque par le duo sudiste. Pas de maison de disque derrière, juste l’amour de la musique, la détermination et beaucoup de bonnes initiatives. Car, et c’est quasiment une première, en plus d’être disponible dans les réseaux traditionnels à prix réduit (avec boîtier crystal), ce nouveau projet est également trouvable en kiosque et chez tous les buralistes de France pour une somme encore plus modique. Bel effort de la part de Hal et Sako, qui n’ont pas chômé depuis « Sincèrement ».

Enregistrés uniquement sur le huit pistes de Sako, les 24 titres présents ne sont pas tous inédits, puisqu’on retrouve quelques classiques du groupe et des morceaux « rares » sortis discrètement ci et là. Mixé par Dj Kheops (Iam), les invités sont pour la plus part les mêmes que sur les autres sorties du groupe. Akhenaton et ses comparses d’IAM, Faf La Rage, Veust, Mazar et les Gestionnaires, les Psy 4 de la Rime…

Pourtant après l’insertion du disque, l’auditeur est pris à contre prie par l’inédit qui ouvre le bal. Plutôt mal enregistré,  J’ai plus le temps  est néanmoins un titre essentiel qui fait la jonction entre le passé et le futur du groupe. Pas étonnant qu’il se retrouve en tête de gondole. Sur une boucle de piano signée Akh, Sako reprend sa plume sombre qui lui a valu tant d’éloges, mais avec un style beaucoup plus digeste qu’avant. Flow clair et phrases plus concises, Sako semble avoir trouvé son bon rhtyme de croisière, et saura se réconcilier avec les auditeurs déçus par le deuxième album, pas assez introspectifs selon eux.

Les afficionados des textes denses seront ravis de (re) découvrir le titre Seul, reprise originale du même titre de Jacques Brel, considéré comme l’un des titres les plus marquants du duo azuréen. Véritable bijou d’écriture, les 6 années qui le séparent de sa conception n’ont aucunement écorné ce joyau, enfin disponible officiellement et en bonne qualité. Et le plaisir se poursuit avec LE chef d’œuvre du groupe, Comme un Aimant sorti sur la BOF du film d’Akhenaton. Porté par un air mélancolique inoubliable, les mots de Sako ont gardé leur impact, et des phrases comme « on stagne là où des petites filles déjà petites femmes charment des hommes encore mômes fans de Jackie Chan/ pendant que des femmes encore petites filles élèvent des mômes déjà durs comme des hommes » sont toujours aussi marquantes.

Et si certains des vieux morceaux ont quelque peu perdu de leur superbe, on se ne lasse pas d’écouter certains passages dont la qualité d’écriture force l’admiration. De la noirceur effroyable de Faux Coupable ( mon passé n’est ni le pire ni le meilleur, juste celui d’un môme avec sa mère/ entre ces heures à maigre salaire qu’elle supplie à perdre haleine et ces pâtes au beurre à peine salées / reste un enfant sans enfance, muet les soirs où elle pleure ses belles années.) à l’originalité du Chant des Sirènes, où l’auteur, s’adressant à un malade, se met dans la peau du VIH (Brûle tes dernières forces à te rappeler garçon, de toutes façons, t’as plus que ça / ta vue baisse comme l’espoir en le vaccin, mais c’était du luxe ça / ton traitement aussi (…) Si le sol s’ouvrait sous vos pieds, vous ne sombreriez pas moins, juste, les sans soucis n’auraient pas le temps de faire de rubans rouge, sans succès au Sidaction), le talent de Sako impressionne et fait mouche à tous les coups.

Avec les années, ce dernier s’ests bonifié. Preuve en est, ce sublime morceau qu’est 18/12/97, narrant avec précisions l’évènement qui a changé le sort du groupe, à savoir leur rencontre avec Akhenaton. Excellent exercice de story-telling, l’aventure contée captive, et à chaque rime on vit les péripéties des deux comparses, de leur discussion furtive avec Chill un soir de Festival à Cannes au soir d’un concert d’Iam en 1997, qui sera le début d’une histoire, où l’amitié prévaut sur les relations professionnelles. Cerise sur le gâteau, ce morceau est suivi par l’inoubliable Maudits soient les yeux fermés qui ouvrait le BOF de Taxi.

Autres moments forts, les deux morceaux sur l’Irak que sont Hier Matin et Ce Matin. Evitant tout cliché mille fois exploité, Akhenaton et Sako se placent respectivement dans la peau d’un père de famille Irkien en deuil et dans celle d’un GI dépassé par les évènements que lui imposent son devoir. Pas de rimes faciles ou de diatribes anti-bush prévisibles, ici l’angle d’approche est à échelle humaine ; le résultat, posé sur un son soulful de Hal, est à la hauteur de ce qu’on peut espérer d’un tandem comme celui là.

Petite curiosité, Pour la vie un morceau Crunk concocté avec Masar et les Gestionnaires, fonctionne à merveille. Si l’exercice était plutôt périlleux, on se laisse vite entraîné par cet ovni, dont la couleur atypique fait finalement beaucoup de bien à l’ensemble. Et pour clore l’ensemble avec brio, les Chiens de Paille ont eu la bonne idée d’insérer un track réunissant Veust, Akh et Oxmo Puccino. Une perle, avec une mention spéciale pour Akhenaton dont la prestation est exceptionnelle, et conclut en plus par une touche d’humour dans la plus pure tradition du Iam des années 90. Espérons que son prochain album solo à sortir à la fin de l’année soit du même acabit.

Le reste est globalement de bonne facture, sans marquer plus que ça les esprits. Au final, Tribute est LA bonne surprise en rap français de ce début d’année. Quel plaisir d’écouter tous ces excellents morceaux que le groupe a pu faire hier ou plus récemment, et ce malgré un enregistrement un peu douteux par moment et un mixage décevant. De plus on regrette que quelques vieux morceaux aient pris des rides, et que les solos des invités ne soient pas tous au niveau de ce que propose à côté Sako, qui s’impose de plus en plus comme l’une des valeurs sûres du rap français. Cet opus à prix réduit tombe donc à point nommé, puisque sa distribution à grande échelle et son faible coût devrait élargir largement le cercle d’un des groupes les plus sous-estimés de France. Comme la pochette l’indique, « tout le monde connaît, mais personne en parle »… Espérons qu’enfin, grâce à Tribute, le public finisse par suivre et estimer le groupe à sa juste valeur. Tracklisting :
01. J’ai plus le temps (Sako / Akhenaton) Inédit
02. Un d’ces jours (2001) (Sako / Hal)
03. Sous pression (part 1) (Sako, K-Rhyme Le Roi, Soprano & Segnor Alonzo / Hal) Inédit
04. Seul (featuring Akhenaton) (2000) (Sako, Akhenaton / Hal)
05. Comme un aimant (1999) (Sako / Akhenaton et Bruno Coulais)
06. Hier matin (Akhenaton / Akhenaton) Inédit
07. Faux coupable (2000) (Sako / Hal)
08. Qu’est-ce qu’on fout du flow (featuring Faf Larage) (Sako, Faf Larage / Hal) Inédit
09. Talking therapy (1999) (Sako / Hal)
10. 18 / 12 / 1997 (featuring Akhenaton) (Sako, Akhenaton / Hal) Inédit
11. Maudits soit les yeux fermés (1998) (Sako / Hal)
12. Jeunes anciens (Lyricist / Hal) Inédit
13. La khemia (Akhenaton / Hal) Inédit
14. Combien de temps ? (featuring Masar) (Sako, Masar / Hal) Inédit
15. Sous pression (part 2) (featuring Bakar) (Sako, Bakar / Hal) Inédit
16. Prison (remix) (Sako / Tefa & Masta) Inédit
17. La porte des larmes (Freeman / Hal) Inédit
18. Un bout de route (featuring Akhenaton) (2001) (Sako, Akhenaton / Hal)
19. C’est ton jour (featuring Bakar) (Sako, Bakar / Hal)
20. Ce matin (Sako / Hal) Inédit
21. Le chant des sirènes (1999) (Sako / Hal)
22. Pour la vie (Gestione Imobiliare featuring Sako) Inédit
23. L’encre de ma plume (2001) (Sako / Hal)
24. L’encre de nos plumes (featuring Oxmo Puccino, Lyricist et Akhenaton) / Hal) Inédit