Elaboré en 2 ans, entre Marseille, Avignon et New-York, revoir un printemps est donc l’évènement rap français de la rentrée. Si Tous des K s’occupe toujours de la partie visuelle (pas franchement ce qu’ils ont fait de mieux, jetez plutôt un coup d’oeil au livre qu’ils ont sorti), la donne artistique a évolué, Freeman est désormais présent sur la quasi-totalité des titres, Imhotep est le grand absent, Akhenaton signe la majorité des sons et Bruno Coulais (souvenez vous de la BO de Comme un aimant) en personne s’est occupé de la finition. Le premier single dans les bacs depuis cet été a frappé un grand coup, de par la présence de Method Man et Redman sur Noble Art, single mainstream et puissant mais qui n’a pas réussi à convaincre les plus sceptiques tout comme le titre avec Beyoncé, surfant sur la vague du succès de son album solo. Pourtant, ces titres au casting aguicheur sont loin de refléter le contenu intégral de ce Lp.
La stratégie d’un pion ouvre dignement la porte aux 17 autres morceaux. L’agencement sonore a été particulièrement soigné, les morceaux ont été joué par des instrumentalistes puis resamplés. Tout au long de l’album, les échantillons utilisés sont très variés : les ambiances soul succèdent aux cordes orientales, le jazz fait place à des sonorités électronique. L’alchimie entre les trois mc’s s’opère naturellement, et kheops agrémente pas mal de morceaux de phases scratchées discrètes. Notons qu’il ne signe qu’une seule prod, second souffle. Textuellement, la maturité, crédo constant du groupe depuis ses débuts, continue à se fait sentir a chaque rime, les points de vue de chacun sont exprimés avec un certain recul, et c’est là justement que se trouve l’axe d’écoute principal de cet opus. Concocté entre les évènements du 11 septembre et la crise irakienne, en passant par les élections de mai 2002, l’actualité a dicté quelque peu la direction de l’album. Leur regard sur les évènements récents, sur leur propre histoire, sur les faits divers et sur leur place dans l’univers musical (notamment sur le morceau "Lâches" rompant avec les traditionnels clichés glorifiant la violence). Dans le même temps, un parallèle entre ces tristes faits divers et leur passé se tisse peu à peu.
Les instants de leurs vies sont évoqués avec beaucoup de nostalgie, et de façon très touchante, composante constante de leur discographie. Ils le prouvent avec Quand ils rentraient chez eux, flashback poignant sur une adolescence en demi teinte, entre moments de rigolade et tragédies pathétiques. Le début d’une longue aventure, (La tête dans les étoiles, mes écouteurs, crachaient l’son d’Marley Marl/ J’voulais m’faire la malle, sentiments posés sur un carnet sale), qui les voit désormais pères de famille. C’est justement aux enfants que sont dédiés Bienvenue et le titre éponyme, deux titres en forme de lueurs d’espoir. Les évenements poitiques marquent leur rimes comme sur Armes de distractions massives, 21/04, Fruits de la rage et ici ou ailleurs traitent successivement des guerres menées par les États-Unis, des dernières élections, des femmes battues et des jeunes filles victimes de viol… Comme à l’accoutumée, Iam négocie avec brio l’approche de tels thèmes, la plume est intelligente et responsable. Mais étrangement, ce ne sont pas les meilleurs morceaux de disque.
On appréciera d’avantage le titre-interlude second souffle, agencé de façon intéressante. Monté comme une petite histoire, qui commence avec l’écriture du m :orceau et qui se termine logiquement sur scène. On retiendra également les parties plus égotrip comme. Le guerrier "Mental de Viêt-cong", direct et efficace (Dangereux crew, formation pointe de diamant/D’la boue jusqu’aux genoux, furtif déplacement, regard perçant,/Cuirasse en peau de caïmans, immergés otalement) se pose comme un hymne déterminé et rentre-dedans à l’indépendance de leurs idéaux. Percutant à souhait, tout comme l’est Tiens et son piano ravageur, pour un titre vraiment énergique et incisif. Dans la même veine, Pause et son ambiance old school aux relents de funk fait preuve d’une redoutable efficacité. Mais la perle de l’album est sans doutes Murs. Un beat up tempo ponctué d’une légère voix douce donne une dimension impressionnante à cette ode originale aux cloisons de béton. A découvrir absolument !
L’évolution majeure par rapport à "L’école du micro d’argent" porte à la fois sur la couleure sonore et la prise de recul par rapport aux sujets traités. L’écriture est plus minutieuse, la maturité se fait sentir sans tomber dans les poncifs moralisateurs. Parallèlement, les sons qui jusqu’alors suivaient une certaine ligne thématique (ambiances africaines sur planète mars, égyptienne sur ombres et lumières et asiatique sur l’école) sont désormais plus homogènes, ce qui peut le priver paradoxalement d’un certain charme. Peut-être est-ce du au fait qu’Imhotep soit beaucoup plus en retrait qu’avant, Akh se taillant la part belle de l’architecture sonore avec 12 productions signées. Tous les morceaux sont néanmoins savamment dosés, et hormis Freeman qui apparaît légèrement moins que ses deux frères d’armes, la prise de micro est relativement équitable. Les featurings sont rares, Kayna Samet et Syleena Johnson pour des refrains assez plaisant, ainsi que les pointures américaines Method Man, Redman et Beyonce sur des morceaux assez anecdotiques.
Si ce disque tient relativement bien la route, on regrettera que les concepts antiques omniprésents sur leurs précédents albums aient été laissés à l’abandon et que leur humour ne soit plus au rendez-vous. Alors que le travail de mix de Bruno Coulais donne à "Revoir un printemps" un grain intéressant on peut regretter que l’évolution du groupe ait écartéImhotep des machines. Avec ce 4é album trés attendu au tournant, IAM entame une nouvelle décennie sans passer à aucun moment pour des grabataires du rap français. Quand on voit l’évolution de certains vétérans français comme les deux rappeurs de NTM, on ne peut que saluer la longévité et la fraîcheur du groupe marseillais.
* Notons que l’album sera disponible en édition limitée avec 3 inédits et deux plages instrumentales. Alors que La violence (avec Soprano) est largement dispensable, les deux autres morceaux sont vraiment intéressants. "Live de la base" reprend la boucle introductive de "Daisy lady" de 7th wonder pour un morceau freestyle où chaque couplet commence par une phase déjà utilisée dans des vieux morceaux. Une petite bombe. "40 ans de retour au ghetto" propose à l’inverse une ambiance très en vogue dans la sonorité (on sent l’influence de Timbaland). C’est également une réussite.