My world
must be yours ! Voilà ce qu’en substance nous avons à comprendre de l’album de Lee Fields. Tout le reste n’est que littérature… ou informations qui pourraient mieux vous renseigner sur les auteurs de ce bijou funk-soul, paru sur le label Truth & Soul qui surpasse même ici son objectif principal, à savoir recréer le son Soul de la grande époque. Car si le respect de l’héritage est ici parfait (on pense à O.V Wright ou Otis Redding), l’émotion, la puissance, les rythmes présents sur ce chef d’œuvre en font plus qu’un album adressé aux nostalgiques du son des 60’s et 70’s qui saura sans conteste séduire les fans de nu-soul façon Raphael Saadiq ou D’Angelo.A l’écoute de My World, nous aurions tendance à devenir lyriques : Ô Lee Fields ! Mais comme nous avons affaire à un poids lourd, avec un punch tonitruant, nous craignons que cette exclamation n’entraîne une confusion avec Evander (Holyfield… oui, bon, c’est la rentrée). Le natif de Caroline du Nord, Lee Fields, lui, a débuté sa carrière en 1969. Sans avoir eu la chance d’être signé par Motown ou Stax (et d’atteindre le niveau de reconnaissance qu’il méritait), ses seuls 45 tours, signés sur des labels indépendants – dont entre autres, « Everybody Gonna Give Away Their Love To Somebody » ou « The Bull Is Coming » – lui ont assuré des dates régulières qui n’ont fait que confirmer, par sa présence scénique, sa réputation sans faille auprès de l’underground qui lui a attribué le sobriquet, bien compréhensible à l’écoute de son timbre éraillé et de son intensité vocale, de « Little J.B. ». Et, en effet, jusqu’à son physique (avec un petit air en plus de Muhammad Ali jeune), Lee Fields ne souffre pas de la comparaison avec le Godfather of Soul. D’ailleurs, même son premier single « Bewildered » (1969) a été produit dans le même studio où « Papa's Got A Brand New Bag » est né. Toutefois, ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas d’un ersatz de James Brown, mais bien d’un artiste qui a su fonder sa voie entre sons vintage tendant vers le deep-funk old-school et modernes, voire nu-soul, avec même une légère touche de hip-hop. Une telle dextérité est le fruit d’une quarantaine d’années de carrière ininterrompue, hormis une période creuse au moment du disco, et au cours de laquelle ses collaborations et sa discographie se sont étoffées : Let's Talk It Over (1979), Enough Is Enough (1992), Let's Get A Groove On (1999), Problems (2002)… qui montrent une régularité certaine.
Sans égo mal placé, avec même un brin d’humilité, Lee Fields certifie que « La clé de l’album (enregistré sur une période de deux à trois ans dans une ambiance d’amicalité créative), c’est la musique et la production.». Même si ceci n’enlève rien à son talent, il est vrai que le backing-band new-yorkais The Expressions (ayant déjà collaboré avec Sharon Jones (et pour cause, puisque certains sont membres de The Dap Kings), Amy Winehouse ou TV On The Radio) offre le plus bel écrin qui soit à ce joyau vocal. Très influencés par la scène de Philadelphie, leur son contient d’égales doses de soul orchestrale et scintillante à la MFSB, de choeurs chatoyants à la Delfonics et d’éléments plus actuels, notamment des rythmiques proches du hip-hop : Claviers vintage, cuivres chaleureux, cordes frémissantes (basse moelleuse et guitare au son clair), du sur-mesure qui sonne brut et authentique autant qu’intense et délicat. Quant à la production, nous y retrouvons Leon Michels, co-fondateur avec Jeff Silverman (DJs El Michels et Jeff Dynamite) de Truth & Soul, et à qui l’on doit le récent Enter The 37th Chamber basé sur les reprises à la sauce soul-funk du premier album du Wu-Tang Clan.
Nous ne rentrerons pas dans le détail (superfétatoire devant un ensemble aussi égal) du tracklisting, mais préciserons que trois titres, orientés deep-funk, sont des plages purement instrumentales, dont « Expressions Theme » que nous mettons en lumière pour le solo du trompettiste, tandis que parmi ces créations originales se place une reprise ahurissante de fraîcheur et de douceur, avec sa guitare teintée de bossa-nova et la voix brûlante et désespérée de Lee, du “My World Is Empty Without You” composé par la dream team Holland-Dozier-Holland et interprété par les Supremes. Quant à la pointe hip-hop que nous évoquions, vous la trouverez sur le conte d’ouverture, un brin cynique, d’un cœur brisé : « Do You Love Me (Like You Say You Do) » et nous la prouverons par le remix (en version digitale) de « My World », au beat sec et lourd assorti de cordes et de vibraphone, sur lequel Aloe Blacc pose son flow. Ballades enivrantes et brûlots funky, romance et dénonciation sociale – sur le titre uptempo « Money I$ King » prenant pour thème la tristesse d’un monde régi par l’argent –, les quarante minutes d’écoute que vous y consacrerez (et irrémédiablement allongées par l’écoute en boucle incontournable) seront assurément bien employées. Il y aussi « Honey Dove », « Love Comes And Goes » et… bref, vous l’aurez compris, que du bon ! Mais s’il fallait choisir, personnellement, je craquerais pour le funky « Ladies » et ses riffs acoustiques irrésistibles.
S’il n’était Naomi Shelton & the Gospel Queens, il s’agirait du meilleur album soul entendu depuis des années. Il vous fera inévitablement penser aux plus grands, de Marvin Gaye et Otis Redding à Curtis Mayfield. 2009, n’est pas fini mais est d’ores et déjà une année faste !
Arnaud Sorel pour 90bpm.com
Tracklisting:
[01] Do You Love Me (Like You Say You Do)
[01] Do You Love Me (Like You Say You Do)
[02] Love Comes And Goes
[03] Honey Dove
[04] Monkey I$ King
[05] My World Is Empty
[06] Expressions Theme
[07] My World
[08] Ladies
[09] These Moments
[10] The Only One Loving You
[11] Last Ride