Si notre rôle est de sélectionner le meilleur du son pour vous, on n’est pas peu fiers de vous parler de CM Jones, qui vient de sortir son deuxième album « Motions » et qu’on n’aurait pas remarqué si notre ami Mars Blackmn (du Hangtime Radio Show sur Radio Grenouille) ne nous avait pas fait quelques appels de phares.
Avec son émission de radio, Mars Blackmn est aussi un filtre pour ses auditeurs. Pour CM Jones, il est vrai qu’il n’est pas allé bien loin car la moitié du groupe (oui c’est un duo, on en reparle plus bas) est originaire et vit à Marseille comme lui. Mais encore faut-il y prêter attention parmi la tonne de sons qu’un medium doit ingurgiter chaque semaine. Et on doit dire que là, Mars ne s’est pas trompé, comme d’habitude.
Pourtant, le duo composé du producteur Creestal (le Marseillais) et du rappeur MoShadee (l’Américain) n’est pas à son premier coup d’éclat. Il était en effet à l’origine d’un premier album en 2013 intitulé « Perfect Hand Off ». Mais c’est sans compter sur les méandres de la scène indépendante qui laisse dans la discrétion bon nombre d’artistes, aussi talentueux soient-ils. Les deux artistes en sont conscients et avancent pas à pas, avec conviction et passion, forts d’une qualité de production rare et de textes réalistes dénués de toute étincellement factice.
A l’occasion de la sortie du nouvel album, nous nous devions de ne pas rater le coche et de vous faire découvrir cet excellent duo, par la voix de Creestal que nous avons questionné.
L’INTERVIEW
C’est la première fois qu’on se rencontre. Du coup, on est tenté de te demander comment vous vous êtes rencontrés avec MoShadee ?
C’est très simple : sur Myspace en 2006 à l’époque où cela marchait encore. MoShadee avait 17 ans à l’époque et il publiait des freestyles et des mixtapes aux États-Unis. Il est tombé sur ma page et mes prods. Je préparais mon album solo avec le site Just Like Hip Hop. De fil en aiguille, il m’a contacté et ça s’est fait comme ça.
Et l’idée de collaborer ensemble s’est présentée tout de suite ?
On est restés en contact jusqu’à 2011 et on est devenus potes du web. Ça m’est arrivé de mixer quelques uns de ses titres. Parfois je lui envoyais des instrus, parfois il m’envoyait des à cappella, parfois je faisais des remixes etc. J’ai vu qu’il progressait, qu’il était sérieux et qu’il en voulait. Et à un moment donné, je me suis dit qu’on pouvait envisager de faire quelque chose ensemble. Cela a prit 4 à 5 ans.
À tout âge, les américains ont l’air plus carrés.
Effectivement. Au delà de nos affinités humaines, j’ai senti en lui un potentiel. Quand on s’est connu, il n’avait que 17 ans et il n’était « qu’un MC parmi d’autres » avec quand même du potentiel. Je ne voulais pas le lancer dans quelque chose de sérieux avec lui et j’ai attendu quelques années pour voir s’il allait confirmer.
Votre premier album « Perfect Hand Off » s’était construit à distance du coup ?
L’album avait été réalisé à distance à 50%. Mais on s’est dit qu’il fallait qu’on se voit pour le finaliser. Il est donc venu trois semaines à Marseille pour enregistrer et faire de la création en général. On en avait aussi profité pour faire quelques showcases. C’était en 2011.
Et vous avez pareil pour le nouvel album ?
Oui et cette fois-ci il est resté trois mois durant l’été 2015. Notre volonté était de partir de zéro car on avait des idées bien précises. Il fallait qu’on s’enferme dans une bulle pour en ressortir le meilleur. On voulait quelque chose de plus fort qu’une simple suite du premier album. On a passé deux mois pour l’écriture et la prod, puis un mois pour enregistrer.
Le mot « sacrifice » est revenu souvent dans la communication pour le disque. Pourquoi avez-vous appuyé dessus ?
Je ne t’apprend rien en te disant que c’est compliqué de vivre grâce à la musique, surtout en indé comme nous. Nous avons neuf ans d’écart et chacun de notre coté, nous avons dû faire des sacrifices pour exercer notre passion. Nous sommes tous les deux des pères et c’est toujours compliqué de s’absenter plusieurs mois et devoir quitter nos familles ainsi que nos jobs pour payer nos factures. Sans parler de l’argent que cela coute pour réaliser nos projets. On est donc obligés de faire des concessions personnelles et professionnelles en permanence. Mais ces sacrifices sont tout de même contrebalancés par le plaisir de faire notre musique. On s’accroche et ça en vaut la peine.
C’est l’essence même de vos textes.
Exactement même si cela lui a servit plus qu’à moi puisque je ne fournis que les tapis pour lui permettre de lui inspirer des thématiques. Et moi je me retrouve dans ses textes.
Financièrement, pourquoi n’avoir pas choisi la voie du crowdfunding ?
Je n’y voyais pas l’intérêt. Soyons lucides, nous n’avons pas assez de fans pour nous soutenir financièrement. Personne n’attend un Creestal, un MoShadee ou un CM Jones. J’étais toujours été indépendant et j’ai toujours fait les choses par moi même. Ce n’est pas cohérent par rapport à notre démarche.
« Pour l’album, j’ai vraiment dépassé le stade de beatmaker pour devenir un vrai producteur. »
On y voit là votre approche très humaine de votre musique. Tu as la même approche au niveau de la production pour laquelle tu as fait appel à des musiciens.
Je tenais à faire intervenir des musiciens pour tout d’abord enrichir les compositions. Ensuite c’était aussi pour remercier des musiciens locaux qui sont talentueux et que j’apprécie humainement. Il y a Cyril Benhamou, qui est un flûtiste et un pianiste très connu à Marseille et en France, le saxophoniste Fabien Genais qui est un super gars, le guitariste et clavier Labo Clandestino qui est un proche de La Méthode et qui tourne avec DJ Djel, et un ami de longue date qui fait les subs avec un clavier. Je voulais les remercier mais leur présence était justifiée et ce n’était pas de la camaraderie. Pour l’album, j’ai vraiment dépassé le stade de beatmaker pour devenir un vrai producteur. Dés le départ, je savais qui j’allais faire jouer et pour quoi j’allais les faire jouer.
Ce n’est pourtant pas la première fois que tu fais ça.
Je fais cela depuis longtemps mais c’est la première fois que le public le découvre. Le travail avec toutes ces personnes m’a fait progresser. Ce que je fais aujourd’hui est cependant une simple évolution de ma musique. Je ne fais pas ce que je faisais il y a quelques années et il se peut que mon prochain album sonne autrement, je pourrais faire de la trap ou de l’électro, qui sait. Ma prod à la base est comme un croquis à partir duquel je vais décider si je vas faire de la peinture à l’huile, de l’acrylique ou du collage. Sur les trois mois avec MoShadee, on en a consacré deux à la production, j’ai fait 40 beats et on en a retenu dix. Comme on n’avait pas beaucoup de temps, je ne passais pas plus d’une heure sur un beat. Le fait de courir après la montre était difficile mais c’est ça qui nous a donné de l’énergie. Et sur ce point précis, c’était la première fois pour moi.
Un architecte comme toi a dû trouver de nouvelles façons de bosser ou trouver de nouveaux outils pour travailler en flux tendu ?
Je me suis beaucoup remis en question l’année de la préparation de l’album. Pour « Motions », on avait décidé de prendre le contre – pied du timing d’Internet qui veut qu’on disparaisse vite quand on n’occupe pas le terrain. Et pendant cette année de réflexion pour l’album, j’ai beaucoup réfléchis pour savoir comment trouver de la motivation, comment être créatif, comment trouver de nouveaux outils pour progresser.
« Motions » a une teinte jazz très assumée. On a l’impression qu’avec cet album, tu as cassé des barrières et élargit ton champs des possibles.
Absolument. Avec le temps, j’ai su que je n’étais pas doué pour certaines choses, comme faire des morceaux dancefloor. Là où je me situe bien c’est dans la soul et dans le jazz car ce sont des musiques qui parlent au cœur. Le jazz qu’on aborde dans « Motions » n’est pas le jazz poussiéreux ou celui qu’on a déjà entendu dans du hip hop jazz comme sur Jazmatazz. On a voulu se rapprocher du future jazz de Los Angeles avec les Flying Lotus, les Kamasi Whashington, les Kendrick Lamar et tous les artistes qui gravitent autour.
Parlons des featurings. Tu parlais de collaborations avec des Marseillais. Parles-nous de King Krab.
Oui c’est des gars de Marseille, deux frères, l’ainé chante et joue de la guitare alors que le plus jeune joue de la bass. Ils font de la super soul. Je les ai rencontré il y a deux ou trois ans et le fait de collaborer avec eux sur le disque s’est fait naturellement.
Il y a aussi une artiste que tout le monde connait : Georgia Anne Muldrow. Il parait que c’est à cause d’elle que l’album avait pris du retard. C’est vrai ?
Oui. Elle avait accepté le featuring car elle avait kiffé le son. Elle nous avait même dit qu’elle nous renverrait ses prises de voix le lendemain. Et puis on a attendu longtemps. Mais finalement on l’a eu et on a pu boucler l’album. On ne regrette rien car artistiquement parlant il n’y a rien à redire. On savait que le résultat allait être super même si on a attendu quelques mois. On a reçu le morceau au mois de mai et c’était un peu tard pour sortir le disque avant l’été. On a donc attendu septembre.
Et puis il y a Blu qui est un artiste de la même verve que MoShadee.
Oui c’est un des artistes préférés de MoShadee. Moi je l’ai toujours kiffé depuis le « Welcome To Detroit » de Dilla. MoShadee connait bien les gars de New World Color avec qui Blu collabore pas mal. Il avait fait un remix d’un morceau de notre premier album. On s’était toujours dit qu’on collaborerait ensemble un jour. Quand on a produit l’instru de « Pay Dues », on a tout de suite pensé à Blu et ça s’est fait comme ça.
Il y a aussi l’artwork qui témoigne de l’évolution de CM Jones. Elle relève de l’art abstrait et de l’art contemporain. Tu peux nous en dire plus ?
On attache beaucoup d’importance à nos visuels. Je suis moi-même graphiste. Pour notre premier album, on voulait se présenter avec une photo de nous et montrer qu’on était deux. Pour « Motions », on ne voulait pas quelque chose de figuratif mais plutôt quelque chose d’abstrait. Moi j’aime bien l’abstrait mais je ne sais pas faire. Du coup, on a fait appel à Deuce qui est un artiste Nantais. L’idée était d’obtenir cette notion de mouvement pour faire écho au titre de l’album. Il est parti d’un croquis de moi et il a fait un super boulot. Cela reprend un peu les codes du jazz et il y a plusieurs niveaux de lecture. On l’a fait aussi en vue du vinyle. On pensait l’album en vinyle avant tout. On y a aussi mit les paroles dans un livret pour donner encore plus de valeur à l’objet et on trouvait que c’était utile que tout le monde comprenne les textes et s’en imprègne encore plus.
Ce sera encore une question de moyens mais prévoyez-vous de vous produire sur scène ?
On a des dates en novembre à New-York en quatuor. C’est un de nos objectifs de faire des concerts en live band et pas seulement en mode DJ – MC.
On a hâte de vous voir sur scène en France. Merci pour l’interview et encore bravo pour l’album.
Merci à vous pour le soutien.
L’album « Motions » est disponible sur le Bandcamp de Munchie Records.
TRACKLISTING :
01. Motions (intro)
02. Pay Dues (feat. Blu)
03. Remain (feat. King Krab)
04. Rays (feat. Georgia Anne Muldrow)
05. Old Souls
06. Cold Summer
07. Motions (theme)
08. Levels
09. All Well
10. Strive
11. Habits
12. Motions (outro)
Munchie Records – Octobre 2016