« By Any Beats Necessary » vient de sortir dans les bacs et représente le 5ème album de Wax Tailor. Encore une fois, on retrouve l’identité musicale du beatmaker Français qui a su transporter au fil du temps son art sur les grandes scènes avec de temps à autre l’ajout d’ensembles symphoniques.
Cette fois-ci, l’inspiration est venue d’une addition d’événements qui l’a amené à construire un projet presque imaginaire, quasi parallèle, résolument onirique. Le résultat dévoile ainsi le récit d’un road trip à travers les grands paysages de l’Amérique avec comme toile de fond le surréalisme d’un Jack Kerouac. Sur le chemin, Wax Tailor incorpore la présence d’une batterie d’invités d’horizons différents (Ghostface Killah, A-F-R-O, R.A. The Rugged Man, IDIL, Lee Fields, Tricky etc.) et utilise un panel de styles large pour atteindre son but : nous embarquer dans son voyage, par tous les sons nécessaires.
Juste avant de repartir pour une énorme tournée, il répond à nos questions.
L’INTERVIEW
Il y a une sorte de triptyque à l’origine de ce nouveau disque : les États-Unis où tu es allé en tournée en 2015, le livre « Sur la route » de Kerouac et le discours de Malcom X « By Any Means Necessary ». Es-tu d’accord pour dire que les US représentent le décor, Kerouac le chemin et Malcom X le moyen : la musique ?
C’est pas mal. Pour Malcom X, mon choix n’est pas directement lié à l’idéologie même si je ne la rejette pas non plus. J’ai ce titre en tête depuis un moment. Je pensais même nommer mon deuxième album comme cela. Le choix n’est surtout pas anecdotique. Venant du hip hop, Malcom X était une de mes portes d’entrée par l’intermédiaire de Public Enemy. Et Public Enemy m’a amené à m’intéresser à l’œuvre « Les Mains Sales » de Jean Paul Sartre. Je me suis retrouvé au croisement de ces idées qui n’étaient pas liées entre elles mais qui avaient du sens dans mon esprit. C’était intéressant d’y trouver des corrélations.
Mais tu avais déjà commencé à travailler sur l’album avant d’avoir ces nouvelles inspirations.
Oui j’avais déjà commencé. L’inspiration m’est venue de la proposition qu’on m’avait faite pour tourner aux États-Unis. Je ne voulais pas tourner cette année – là. Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai accepté. Je me suis dit : « t’es un grand malade, pourquoi tu repars ?! » J’ai définitivement la bougeotte. Des fois, tu ne sais pas, tu as juste envie de prendre ton sac et partir.
Je me suis aussi rendu compte que j’avais un rapport particulier avec les US. Je les connais bien, j’y vais souvent, je suis très lucide sur ce pays. Mais j’ai entretenu ce fantasme de gamin que j’associe au grand ouest. J’y trouve même une passerelle avec le western spaghettis. Il y a un coté Ennio Morricone assumé dans ma musique.
Tu t’es façonné ton pays idéal.
Je ne sais pas. Les États-Unis sont la terre des contrastes et des symboliques. J’ai essayé d’exprimer tout cela sur la pochette de l’album.
Il y a sûrement plusieurs niveaux de lecture mais nous on y voit une sorte de libération.
C’est à cause des barbelés certainement. Ils n’étaient pas sur la première version. Je tenais cette idée de road trip avec ce personnage de dos qui prenait la route. Mais il manquait un degré de lecture supplémentaire. On a donc rajouté les barbelés.
J’ai conscience que cela peut aussi interloqué. Un de mes potes m’a dit que c’était limite vu tout ce qui se passe là bas en ce moment. Mais c’est juste la réalité. Cela soulève de vraies questions en Amérique. J’en discutais avec Mattic qui est originaire de Charlotte. Lui même à du mal à comprendre les mutations de son pays. Je me suis fait rattrapé par les événements aussi. Cela n’est pas plus mal car cela multiplie les portes d’entrée. On ne doit pas être ultra caricaturaux en France.
Cela t’a été difficile d’intégrer tous ces éléments en cours de route ?
Non pas du tout. Cela a été naturel car j’avais les idées claires.
Et techniquement, tu travailles toujours de la même façon ?
Un peu avant Noël 2014, je me suis posé la question de savoir comment j’allais faire au moment d’attaquer la prod. J’ai fini par acheter une machine d’aujourd’hui. Mais rapidement l’aspect « pré-fabriqué » de ces appareils développés avec plein d’options pour obtenir du « prémâché ». J’ai eu comme un sentiment de rejet et je suis reparti sur une signature rythmique plus classique.
Tu parlais de portes d’entrée. Celle que tu as choisi pour annoncer ton album était le titre « I Had A Woman » qui sonne blues. Un choix pas forcément évident niveau teasing.
Si on considère que c’est un road trip, normal de commencer par du blues. Je ne voulais pas que ça sonne electro – blues mais vraiment blues. En règle générale, je ne rentre pas dans les formats des grands médias. Les rares fois qu’ils se sont intéressés à moi, ils m’ont demandé de modifier des morceaux. Il en était hors de question. Du coup, je m’en fout de tout ça. Je choisis ce que je veux diffuser au feeling.
Par contre, tu a enchainé avec du lourd avec le featuring de Ghostface Killah.
Oui mais ce n’était pas une démarche marketing ou de « name dropping ». J’étais comme un enfant quand j’ai su que j’allais pouvoir faire quelque chose avec Ghostface Killah, qui est pour moi le gardien du temple.
Quelque soit le style, tu attaches une grande importance à la qualité des clips. La preuve sur ces deux morceaux dans lesquels les équipes de réalisation ont dû se prendre la tête.
En partant du principe que ces clips ne sont pas diffusés en télé, on a une certaine liberté dans la scène indépendante. J’ai toujours eu la volonté de sortir des formats. Je respecte même davantage les films fait à la maison. Pour « Worldwide », il fallait voir Matthieu Le Proux avec ses ciseaux et ses papiers pendant deux mois et demi pour réaliser trois images par seconde. À l’ère du fake, c’est pas mal qu’on revienne à de l’humain.
Niveau featurings. Tu t’es encore entouré de plusieurs artistes dont les fidèles comme Charlotte Savary ou encore Sara Genn. Après tout ce temps, c’est comme si tu composais pour elles ?
Non je garde en tête que l’acteur principal est celui qui fait la musique. J’aime garder le contrôle de ce que je fais. Finalement, quand tu ne fais qu’envoyer des instrus à des artistes, ils te renvoient ce qu’ils veulent te renvoyer. Je pense qu’il faut éviter ce système d’échanges à distance de beats où tu ne fais qu’attendre le résultat. J’ai conscience que ce n’est pas facile mais si on peut le faire…
Je sais de quoi je parle car j’ai aussi fait des demandes de featuring et j’ai eu des refus. C’est paradoxal mais bien que je fasse des albums de featurings, je suis le mec le plus suspicieux de la planète. J’ai toujours un bout de moi qui ne veut pas y aller en matière de collaborations. Surtout avec des gros artistes ou avec des américains où le business rentre en jeux d’une manière culturelle. J’essaye de travailler avec des gens avec qui je peux parler artistique et humain. C’est le cas de gens comme Charlotte et Sara qui comprennent ma démarche.
Tu aimes aussi lancer de jeunes artistes. C’est le cas de IDIL qui t’a elle même solliciter en t’envoyant des sons.
Elle m’avait envoyé trois titres et j’avais détesté les deux premiers. Mais le troisième m’avait complètement scotché. J’étais fasciné par cette jeune chanteuse (ndlr : elle avait 18 ans en 2014). Je me demandais qui elle pouvait être, d’où elle venait. J’ai vu en elle des perspectives excitantes et stimulantes. Pour moi, c’est une artiste avec un fort potentiel mais qui n’a pas encore fait le tour du propriétaire.
Tu vas produire son premier album. Où ça en est ?
On avait commencé à travailler dessus mais on a pris beaucoup de retard. On a dû mettre tout en stand by à cause de mon album. Elle est patiente et on s’y remettra au plus vite. En attendant elle part avec nous en tournée. J’aime bien ce mélange entre artistes expérimentés comme Charlotte Savary et jeunes talents comme elle qui nous donnera un peu de fraicheur.
Vous allez faire une tournée d’environ 60 dates ensemble, dont un Zénith à Paris. C’est impressionnant.
Oui et il y en aura encore d’autres à partir d’avril. On va notamment partir en Amérique Latine. On va bien s’amuser.
En parlant d’artistes que tu as « lancé ». Le groupe A State Of Mind, que tu avais invité sur tes deux premiers albums, fête ses 10 ans cette année. Tu les suis toujours ?
Bien sûr. Ce sont mes potes. Je ne les avais pas invité sur mon troisième album car il fallait qu’ils prennent leur envol. J’aime en eux cet amour qu’ils ont pour le hip hop. Ils le pratiquent avec toujours autant d’enthousiasme en respectant les fondations de la culture. C’est ce que je retrouve chez A-F-R-O. Je trouve ça dommage qu’on vive dans une époque où il y a une culture de l’oubli à outrance. Certains jeunes n’en ont rien à faire des origines. Tu as le droit de ne pas aimer mais tu ne peux pas l’ignorer. Ces jeunes ne se posent pas la question de savoir d’où ils viennent. Pour moi, ça relève du négationnisme.
Ça fait longtemps que je fais de la musique et les journalistes me demandent ce que je pense de PNL. Je ne peux pas leur répondre car ce n’est pas comparable. On ne parle pas de la même chose.
Un grand merci pour nous avoir accorder cet entretien.
Merci à vous et à bientôt.
L’album « By Any Beats Necessary » est disponible sur toutes les plateformes de téléchargement légal et sur le site de Wax Tailor.
TRACKLISTING :
01. Hit The Road (intro)
02. I Had A Woman
03. For The Worst (feat. IDIL)
04. Back On Wax (feat. Token, A-F-R-O & R.A. The Rugged Man)
05. My Burn (feat. Sara Genn)
06. Ectasy
07. The Chase (feat. Raashan Ahmad & Mattic)
08. Clock Tick
09. The Road Is Ruff (feat. Lee Fields)
10. Bleed Away (feat. Charlotte Savary & Tricky)
11. Diggin Saloon
12. Buckwild (feat. IDIL)
13. Worldwide (feat. Ghostface Killah)
14. The Phonograph
La Plan Music – Octobre 2016
Retrouvez également Wax Tailor en tournée :