Le 14 juillet dernier, jour de fête nationale, Kery James avait choisi de diffuser le clip de « Racailles », premier extrait de son nouvel album « Mouhammad Alix » qui sort aujourd’hui (30 septembre). Une entrée en matière puissante et foudroyante envers le corps politique. D’emblée, on voyait tout de suite que le ton du rappeur était toujours aussi vindicatif à l’aube de ses 40 ans. Mais pourquoi se calmer après tout quand les raisons de ses combats sont toujours aussi présentes comme les injustices, l’hégémonie des puissants ou encore toutes les formes de discrimination. Plus que jamais, l’artiste est dans l’action et nous propose sa lecture des événements pour éclairer les consciences.
Il nous en parle dans cette interview que vous pouvez lire ci-dessous mais que vous pouvez aussi écouter en audio grâce à la participation de Freeworker du Future Basics Radio Show.
L’INTERVIEW
L’album arrive à point nommé à l’orée de la campagne Présidentielle Française, avec notamment le premier extrait « Racailles » dont le titre est sans équivoque. Quelle serait ton message adressé à tes fans qui sont en âge de voter ?
Je refuse de prendre la responsabilité d’indiquer aux gens ce qu’ils doivent faire par rapport à cette question. Moi même je suis en pleine réflexion. Ma réponse aujourd’hui est une réponse par l’action associative notamment avec mon association ACES dont les principes sont « Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir ». Mais même moi je suis dans une interrogation complète. Ce que je souhaite c’est que les gens ne soient pas manipulés. J’essaye de faire en sorte qu’ils puissent avoir les éléments pour ne pas l’être.
Comme je l’ai dit dans le morceau « Racailles », je ne crois plus vraiment aux politiciens mais je crois encore au réveil citoyen. Je crois à l’action des gens qui sont réellement sur le terrain, qui sont proche de la réalité des Français, qui sont proches des difficultés. C’est difficile d’apprendre quelque chose de personnes qui ne connaissent pas nos réalités. On nous demande de voter et de choisir parmi des gens qui en général viennent tous du milieu social, qui ont fréquenté les mêmes écoles et qui ne connaissent pas nos difficultés. C’est compliqué d’attendre des solutions à nos problèmes de la part de ces personnes qui ne considèrent même pas que ce sont des problèmes.
Et du coup, que penses-tu de gens comme Olivier Besancenot qui est lui un travailleur au départ ?
Sur ce point là, j’ai toujours dit que je ne considérais pas la politique comme un métier. Je ne conçois pas qu’on nous dise qu’on gagne sa vie en faisant de la politique, d’autant plus qu’il ne la gagne pas modestement. Je pense qu’être au service d’un pays, ça demande le sens du sacrifice. Et sur ce point là, quelqu’un qui gagne sa vie par lui-même, je trouve cela honorable.
Parlons du titre « Musique Nègre » qui est une réponse à des propos de Henry De Lesquen qui est connu pour ses opinions dignes du moyen-âge. Penses-tu qu’un type comme lui soit dangereux pour les jeunes qui se posent des questions ?
On pourrait se poser la même question à propos de Eric Zemmour. Est-ce que Eric Zemmour et Henry De Lesquen sont dangereux par eux-même ? Finalement, ce qui est dangereux c’est qu’ils permettent de repousser les limites encore plus loin. Et plus eux vont loin, plus les gens qui se disent républicains vont pourvoir aller plus loin. On sait très bien que Henry De Lesquen ne sera jamais Président de la République mais lui et Zemmour sont là pour repousser les limites. De Lesquen n’arrivera même pas à être candidat et c’est dans ce sens que je pense qu’il n’est pas dangereux. Mais il participe à faire monter une ambiance xénophobe autant que Zemmour une ambiance islamophobe en France. Finalement, c’est cet écho collectif qui est dangereux.
Parlons du titre de l’album « Mouhammad Alix » qui avait été choisi avant la mort du boxeur. Peux tu nous expliquer ce choix plutôt qu’un autre qui pourrait être « Malcom aliX » ?
En réalité, je me sens plus proche de Malcom X que de Muhammad Ali. Ma mère m’a donné le prénom d’Alix mais quelqu’un un jour dans un studio m’a appelé « Muhammad Alix ». J’ai trouvé ça intéressant. C’est quand même quelqu’un qui avait dit non à la guerre du Vietnam et qui est rentré dans l’histoire avec son nom de musulman.
Concernant ton prénom que tu mets clairement en avant. Est-ce que ce n’est pas pour toi et indirectement une implication encore plus personnel, au delà de ton nom d’artiste Kery James ?
J’ai pas vraiment réfléchi à la question. J’ai toujours assumé mon prénom. C’est mon père qui ne comprend toujours pas pourquoi je me suis fait appelé Kery James. Lui estime presque que c’est une trahison.
Tu as débuté des Facebook Live depuis le 27 septembre pour présenter toi-même ton album. Tu les as appelé « Planète Kery » en pied de nez au « Planète Rap » de Skyrock. Sans revenir sur cette polémique, on voit que tu es toujours dans le mode « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » et que tu utilises à fond les réseaux sociaux.
Je crois que le monde actuel nous donne les possibilité d’être indépendants. Les barrières ne sont que dans l’esprit des gens qui s’aliènent eux-mêmes. C’est le propre de la censure. Il y a des gens qui s’interdisent des choses et ils n’attendent même pas que la censure arrive à eux. Je pense qu’on a aujourd’hui les outils pour être totalement indépendant dans bien des domaines comme la musique. Internet me permet d’avoir 6 millions de vues pour un morceau comme « Racailles » qui ne serait jamais rentré dans la playlist d’une radio nationale. C’est important pour moi car j’ai un discours de dénonciation mais j’ai aussi un discours de responsabilisation et une incitation de prise en charge des gens par eux-mêmes.
Tes textes sont militants et ta tonalité est radicale. Ce qui crée une certaine tension. Avec les featurings de l’album, comment arrivez-vous à créer cette tension ensemble ?
Pour un morceau comme « Musique Nègre », dès le départ le mot d’ordre était de faire quelque chose de limite, voir même de polémique. D’ailleurs j’ai dû calmer Youssoupha et Lino, sinon ils seraient allés plus loin.
Même Youssoupha qui touche maintenant un public populaire ?
Justement. Quand je l’ai appelé pour « Musique Nègre », il s’est dit qu’il pouvait se lâcher. Et il a voulu se lâcher vraiment trop et j’ai même dû le freiner.
« … je me suis dit que si je restais à l’ancienne, je ne serais écouté que par des gens qui n’ont pas besoin de l’entendre (ndlr : mon message)… j’ai donc fait le choix de la trap pour être entendu du plus grand nombre. »
Côté instrumentation, il y a des soupçons de trap music. Pour toi c’est une évolution artistique normale ou c’est pour mieux toucher les plus jeunes de tes fans ?
Je considère que mon message est l’élément principal. Quand on parle de Kery James, on vient chercher un fond et un message. Je considère que la musique n’est qu’un emballage. Il est vrai que les jeunes écoutent beaucoup de trap aujourd’hui. Et je me suis posé la question si je restais « à l’ancienne ». Et en réponse à certains qui disent que le rap c’était mieux avant, je me suis dit que si je restais « à l’ancienne », je ne serais écouté que par des convaincus. Mon message finalement ne serait qu’entendu par des gens qui n’ont pas besoin de l’entendre. J’ai donc fait le choix de la trap pour être entendu du plus grand nombre. En m’y essayant, je me suis rendu compte que c’était moins facile. C’est beaucoup technique qu’on imagine.
50 centimes sur chaque vente du disque seront reversés à ton association ACES que tu as crée en 2008. Comment se porte – t’elle et de quoi aurait-elle encore besoin aujourd’hui ?
C’est une association qui fait du soutien scolaire et du financement d’études supérieures. L’année dernière j’avais organisé une tournée acoustique durant laquelle j’avais reversé une partie de mon cachet à un jeune de chaque ville où j’étais passé pour l’aider à financer ses études supérieures. Aujourd’hui on a encore besoin de bénévoles pour le soutien scolaire. Mais pour ce qui est du financement, je fais en sorte qu’il soit le plus indépendant possible. Cela ne veut pas dire que je refuse les subventions mais je ne vais pas les chercher. Les subventions on vous les donne un jour et puis le lendemain si vous avez un discours qui ne plait pas, on ne vous les donne plus. C’est pour cela que j’essaye de rester dans un truc indépendant et de financer par mon argent ou celui de donateurs qui comprennent mon message et mon combat.
Tu as écris la pièce de théâtre « A Vif » que tu vas joué en janvier au Théâtre du Rond Point. Tu peux nous en dire plus ?
A l’origine c’est un scénario de long métrage dont j’ai extrait la pièce. Elle met en scène deux élèves avocats qui arrivent en finale d’un concours d’éloquence appelé « La Petite Conférence ». Et ils doivent débattre sur la question « l’état est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ? ». Moi je jeune noir je dois répondre que non en remettant en cause les habitants de ces banlieues eux-mêmes. Je fais face à un jeune blanc, interprété par Yannick Landrein, qui doit fustiger l’état. C’est un peu « Banlieusard » et « Lettre à la République », qui sont deux de mes morceaux emblématiques, qui se rencontrent sur scène. C’est une sorte de joute verbale qui donne lieu à une discussion.
S’en suivra une autobiographie intitulée « Banlieusard et fier de lettres ».
Ce sera une autobiographie mais pas que. Je vais pouvoir y développer des positions que je ne peux pas vraiment développer en musique.
Et le film sortira en 2018.
Oui. On tournera entre mai et juillet 2017 pour une sortie en fin d’année ou en début 2018. Par contre, j’espère que le film suivant sera un film sur la Mafia K1 Fry.
Merci et bon courage pour la tournée et à bientôt.
Merci d’avoir pris le temps.
MISE A JOUR DU 04/10 :
Dans la lancée de la sortie, le clip du morceau « J’suis Pas Un Héros » a été révélé ce jour.
L’album « Mouhammad Alix » est disponible sur toutes les plateformes de téléchargement légal.
TRACKLISTING :
01. Mouhammad Alix
02. Douleur Ebène
03. Pense à Moi (feat. Monsieur Madame)
04. Jamais (feat. Nov)
05. La Rue Ça Fait Mal
06. Des Morceaux de Nous (feat. Cléo)
07. D’où J’viens
08. Prends le Temps (feat. Faada Freddy)
09. Paradoxal (feat. Cléo)
10. Rue de la Peine (feat. Toma)
11. Vivre ou Mourir Ensemble
12. Musique Nègre (feat. Lino & Youssoupha)
13. Ailleurs (feat. Toma)
14. N’importe Quoi
15. Racailles
16. J’suis pas un Héros
Suther Kane – Septembre 2016