Notre métier nous a permis de rencontrer des mecs cools. Et on vous le dit tout de suite, Douchka fait résolument partie du top 3. A 24 ans, le producteur Rennais connait une ascension fulgurante depuis deux ans. Il est clair qu’en plus de sa belle personnalité, on profite de l’enthousiasme et l’excitation d’un jeune homme qui vît un rêve dans la musique alors qu’il se destinait au départ à des études aux beaux – arts.
La preuve, avec une participation à la Redbull Academy de Tokyo, des programmations dans de gros festivals, des remixes remarqués et deux EPs, dont le tout nouveau « Together », pour Nowadays Records, tout cela dans un laps de temps réduit, on a connu pire comme débuts pour un producteur autodidacte.
Pour l’anecdote, on avait rendez-vous avec lui au studio de son label Parisien. Douchka avait choisi de dormir sur place pour profiter un maximum des équipements. Il avait même pris le soin de faire un peu de ménage avant de nous recevoir et c’est avec un grand sourire qu’il avait ouvert la porte. Tout de suite le courant était passé et on s’apprêtait à avoir un bel échange sur sa musique et son nouvel EP.
L’INTERVIEW
Tu avais abandonné tes études aux beaux – arts après la Redbull Academy (RBMA) de Tokyo pour te consacrer à ta musique. On imagine que tu ne regrettes toujours pas.
Non pas du tout. C’était un choix important à prendre. Mais je n’ai pas totalement abandonné mes études. Je venais de passer ma licence et j’enchainais sur un master que je n’ai pas voulu continuer à mon retour de la Rebull car pas mal d’opportunités se sont offertes à moi comme un label et un tourneur. Depuis les choses avancent bien même si ce n’est pas l’explosion fulgurante. J’arrive à en vivre en tout cas et c’est génial.
« On a tendance à omettre que si à un moment ça fonctionne bien pour toi, c’est qu’il y a les bonnes personnes derrière toi qui te poussent. »
Tu dis que ce n’est pas encore « l’explosion fulgurante » mais on a connu pire pour un début.
C’est vrai mais j’ai surtout la chance d’être entouré des bonnes personnes. J’attache une grande importance aux personnes avec qui je travaille. Je prends le temps de savoir s’ils comprennent mon projet, que ce soit le label, le tourneur ou les artistes avec qui je collabore. Tout ça c’est le résultat du travail d’une grosse équipe autour de moi. On a souvent tendance à omettre que si à un moment ça fonctionne bien pour toi, c’est qu’il y a les bonnes personnes derrière toi qui te poussent.
On devine aussi ton exigence personnelle et ton professionnalisme. Est – ce que ce sont des valeurs communes avec les beaux – arts ?
Souvent entre d’autres disciplines artistiques et la musique, il y a forcément des connexions. Aux beaux – arts, où j’étais en communication et design graphique, j’avais beaucoup de mal à rentrer dans tous ces codes typographiques. Par exemple, j’aimais beaucoup la sérigraphie mais je trouvais ça super long pour obtenir un résultat alors que moi j’aime les choses hyper spontanées. J’aime obtenir des choses assez vite quitte à les améliorer ensuite. Quand je travaille, j’expérimente en permanence des trucs et c’est ça que m’a appris les beaux – arts. J’ai aussi appris à chercher un concept derrière ce que je fais. C’est à dire que le résultat est important mais ce qui est primordial pour moi c’est ce que je fais en studio, c’est pourquoi je le fais, comment je le fais et de ne pas hésiter à aller dans des univers où je ne suis pas à l’aise. Pour « Together », j’ai exploré à fond le piano et le mellotron qui sont très présents alors que je n’ai pas de formation classique et que je n’ai jamais appris à jouer d’un instrument. Quand j’entends dire les gens que c’est mortel ce que je fais, ils ne savent pas que j’ai mis trois ou quatre heures pour plaquer une ligne d’accords sur huit temps qui me convienne. Les beaux – arts m’ont appris à prendre mon temps et à être exigent voir même insatisfait.
Tu avais commencé en tant que DJ. Quel a été l’élément déclencheur pour passer à la prod ?
C’est quand j’ai découvert toute cette nouvelle scène. J’écoutais des sons anglais des labels comme LuckyMe, Numbers et forcément des trucs chez Ninja Tune même si je ne me suis jamais identifié à l’école Bonobo et cie. Mon terrain de jeu était le club et pas le studio. Ce qui ne m’empêchait pas de beaucoup travailler mes DJ sets. Je faisais beaucoup d’edits et je faisais en sorte que mes sets ne se ressemblent pas. Ce qui m’intéresse chez un DJ ce n’est pas sa technique mais plutôt comment il construit son mix. Le premier DJ set que j’ai vu était celui de Medhi à Astropolis en 2008. Il avait un aura incroyable. Ce sont des mecs comme lui, qui savaient construire des ponts entre plusieurs styles, qui m’ont inspiré. J’essaye de garder cette construction et son sens dans la musique que je fais.
La recherche d’un son « unique » n’est donc pas née d’hier chez toi.
Le plus beau compliment qu’on m’a fait sur cet EP, c’est quand on m’a dit « c’est toi, c’est ton son. Et ça a pris un level dans la prod ». C’est génial car les gens commencent à identifier ma musique et reconnaitre quelques détails comme ce sample d’horloge que j’utilise souvent. Pour moi il n’y a rien de pire quand j’entends que mon son ressemble à celui d’un autre. Si on me dit ça c’est que j’ai foiré.
« … forcément tu as les fers de lance que sont Cashmere Cat, Flume, Hudson Mohawke ou Rustie. Les gens s’identifient encore aux artistes et pas à la scène elle-même. »
Ça t’a dérangé quand on t’a comparé à Flume ?
Je peux comprendre parce qu’on n’est pas des milliers à faire cette musique là. Donc forcément tu as les fers de lance que sont Cashmere Cat, Flume, Hudson Mohawke ou Rustie. J’ai l’impression que si tu es dans une dynamique downtempo entre 90 et 120 bpm, et que tu arrives avec des gros sidechain et des synthés avec plein d’harmonies, tu fais du Flume ; si tu mets des éléments acoustiques, tu fais du Cashmere Cat ou du Mura Masa ; si tu mets des grosses caisses et des trompettes, tu fais du Hudmo. Les gens s’identifient encore aux artistes et pas à la scène elle-même. Non cela ne m’énerve pas. Ça reste un compliment quand même. Je suis encore loin d’égaler leur niveau.
Tu ne cesses d’élargir ton champs des possibles en expérimentant plein de choses. Même si le laps de temps est très court, comment tu vois l’évolution de ta musique par rapport à avant ?
Contrairement à « Joyful » qui avait pris sept mois de préparation pour seulement quatre titres, ça en a pris seulement deux pour « Together » pour six titres. Parce que je savais exactement ce que je voulais. Je savais avant de commencer à travailler quelles couleurs j’allais donner au disque. Ça s’est donc passé vite. J’étais dans une configuration minimale avec une MPC et un clavier maitre. J’avais même pas d’enceinte de monitoring et j’ai donc fait les trois quarts de l’EP au casque. J’ai ensuite rejoué des bouts de piano, de mellotron et tout ce qui était pizzicato. On a aussi bossé avec Phazz sur le mix car j’adore la couleur qu’il donne à ses morceaux. On a beaucoup plus pensé les codes sur ce maxi que sur « Joyful » qui était plus un disque pour me présenter au sein du label. C’est « Together » qui affirme définitivement le son de Douchka.
Et pourquoi n’avoir pas commencé par un album ?
Je commence à y penser sérieusement parce maintenant je fais quasiment que du live. Pour une deuxième sortie chez Nowadays, je pense qu’il fallait encore que je prouve quelque chose. Pas seulement au niveau de la scène mais vis à vis de moi aussi.
Tu ne te sens pas encore installé ?
Si au sein de mon label et de mon label complètement. Dans ma jeune carrière j’ai eu la chance d’avoir joué dans tous les spots de France. Et puis on commence à voir l’EP se développer à l’étranger. Je pense que pour un album, tu ne composes pas morceau par morceau. C’est une espèce d’énorme chantier que tu poses en te demandant avec qui tu vas travailler. Si je dois faire un album, j’aimerais qu’il y ait des invités à qui je demanderais de jouer des parties pour éviter de le faire moi même moins bien. Au lieu de te galérer à chercher des featurings, il vaut mieux les trouver avant pour travailler les morceaux avec eux. Tout cela pour offrir aux gens un objet cohérent. Pour le moment, je n’ai pas encore assez pensé le truc pour démarrer quelque chose.
Tu équilibres tes prods entre digital et organique. J’ai l’impression que la balance se renverse un peu en faveur de l’organique non ?
Oui complètement. C’est parce que je travaille avec un artiste qui s’appelle Les Gordon sur notre projet commun Leska. Lui joue et enregistre tout dans ses morceaux, de la guitare, du violoncelle, du piano etc. Il ne travaille avec aucun sample. Et moi j’ai vu la différence sur le grain. Tu peux avoir les meilleurs samples avec des pluggins à 500 dollars, jamais tu ne feras sonner comme un vrai instrument. J’ai quand même quelques tricks techniques qui me permettent de « salir » les sons pour leur donner de la chaleur et de la rondeur. C’est génial de mélanger l’ordi avec les instruments pour obtenir une texture inédite que personne peut refaire.
« Il y a des sons sur l’EP que n’arriverais jamais à reproduire tant il y a eu de triturages derrière. »
C’est vrai que tu fabriques toi – même certains samples ?
Je tritures plein de choses. Surtout au niveau des percus, je travaille sur des petits sons qui ne sont pas super présents dans mes morceaux mais que je place par – ci par – là en jouant avec la balance par exemple. Tu peux vraiment tout utiliser comme des couverts. Tu peux aussi demander à quelqu’un de chanter à travers un coussin pour donner une voix hyper feutrée. Tu obtiens des effets fous que tu peux remodeler à a guise avec ton ordi. Il y a des sons que j’ai réussi à obtenir sur l’EP que je n’arriverais jamais à reproduire tant il y a eu de triturages derrière. Parfois, c’est le fruit du hasard et des erreurs qu’il est intéressant de laisser sur les morceaux. Sans ça où est l’originalité et l’aspect unique du projet ?
Tu as parlé de la chanteuse Fifa Rachel avec qui tu as fait la cover de Disclosure. Tu as aussi collaboré avec Clarens sur l’EP. Faire appel à des voix pourrait être un procédé plus généralisé dans ta musique dans le futur ?
A terme, je ne veux plus utiliser des voix samplées. Je tourne en ce moment avec Fakear qui en utilise pas mal. Je respecte le principe car cela correspond bien à sa musique et l’image qu’il s’est construit. Moi si je veux bosser avec une voix, je la cherche. Tu vas sur Youtube ou Soundcloud et tu trouves plein de gens qui font des trucs formidables. Sur la cover de Disclosure, je ne voulais pas retravailler la voix de Sam Smith. Je voulais la voix originale de Fifa Rachel. Je voulais tout refaire d’ailleurs. Si tu fais un remixes, il faut que tu ais les stems sinon il n’y a aucun intérêt. Travailler avec des chanteurs te permet d’épurer tes morceaux pour en ressortir l’essentiel. J’ai du enlever la moitié des éléments sur le refrain de « Together » pour permettre de mettre en valeur la voix de Clarens.
L’artwork de « Together » est superbe. Qui l’a réalisé ?
J’ai dessiné le piano escalier sur un carnet de croquis dans un train et c’est Les Gentils Garçons qui se sont occupés de toute la direction artistique. On avait fait le choix, excepté pour les photos presse, de ne pas travailler sur des images réelles et de tout recomposer un peu à la manière des morceaux. On voulait une belle 3D. On a donc attendu pour trouver les bonnes personnes et le budget qui va avec. Les Gentils Garçons ont réussi à retranscrire ce que j’avais dans la tête et ce que j’avais dessiné sur un bout de papier. Ils ont enchainé ensuite par le clip dont je n’avais voulu voir aucune image pendant son développement, ce qui était dur parce que cela a duré des mois. Et quand il me l’ont montré, j’ai trouvé ça dingue. C’est fou tout ce que tu peux faire avec la 3D.
Il y aura d’autres clips ?
Non ce n’est pas prévu. L’EP ne contient que six titres.
Sur scène, tu utilises un clavier, une grosse caisse, une MPD, des pads de batteries. Au delà des besoins de sons, cela crée une certaine dynamique. C’est une recherche de faire danser les gens comme pour un DJ ?
Je ne voulais surtout pas faire un live avec le combo laptop et contrôler MIDI. Je voulais jouer le maximum de choses sur scène. Évidemment, je ne peux pas tout jouer car je ne suis pas un homme orchestre. J’ai toutes les couches des morceaux explosées un peu partout et j’envoie les éléments quand cela doit partir. Je rejoue les parties de piano et les parties de batterie et j’utilise des boucles lorsque les deux parties se jouent en même temps. L’idée est de reproduire au maximum ce que les gens entendent sur disque. Pour moi c’est le gros défi du moment car je ne viens pas de ce milieu là. Il a fallu que je prenne des cours de piano pour arriver à ce que je fais sur scène.
Tu prévois d’avoir un full band dans l’avenir ?
Oui mais vraiment pas tout de suite. Il y a des formules live comme celle de Fakear qui fonctionnent très bien. Moi je suis très fan de ce que fait Dorian Concept avec Cid Rim. Mais pour le moment, par rapport à ce que je fais, je n’ai pas besoin de tout ça. S’il y avait un élément live à rajouter ce serait un batteur.
En parlant d’avenir, tu as d’autres choses dans le four pour cette année ?
Il y a ce projet Leska avec Les Gordon qui va arrivé sur la table à un moment ou à un autre. J’ai vraiment hâte de partager ce projet sur lequel on a travaillé longtemps et dont les morceaux sont déjà prêts. Il y a aussi cette nouvelle cover avec Fifa Rachel dont je ne peux rien vous dire pour le moment. Et perso, il y aura peut être quelque chose en septembre. J’ai aussi plusieurs remixes qui sont déjà sortis comme celui de Les Gordon justement sur Kitsune ou celui pour InClose sur Cascade Records. Et puis il y a ce live que je continue de travailler en vue des nombreuses dates à venir avec quelques festivals qui viennent d’être confirmés.
L’année 2016 sera celle de Douchka alors. Merci beaucoup pour ce bel entretien.
On va essayé en tout cas. Merci c’était un plaisir.
L’EP « Together » est dispo sur toutes les plateformes de téléchargement gratuit
TRACKLISTING
01. Together (feat. Clarens)
02. Don’t Leave
03. Rosmeur
04. All Night Long
05. Infinity (feat. Lucid)
06. You Know Bae
Nowadays Records – Mars 2016