GAËL FAYE : DE RYTHMES ET DE BOTANIQUE

Cela fait maintenant longtemps que Gaël Faye nous habitue à sa créativité. De Milk Coffee And Sugar à aujourd’hui, les différents projets qu’il a initié ou auxquels il a participé ont démontré ses talents de performeur mais aussi sa force d’écriture, que ce soit pour la réalisation de disques, l’écriture et la mise en scène de spectacles ou la réalisation de clips.

Son nouveau projet s’appelle « Rythmes et Botanique » pour lequel il s’associe au musicien Guillaume Poncelet et au producteur Blanka (La Fine Equipe, Jukebox Champions, Cheeko & Blanka). Un projet sous la forme d’un spectacle qu’ils ont présenté ensemble lors d’une récente résidence au Théâtre d’Ivry et qu’ils feront découvrir au public Parisien ce samedi au New Morning.

Une création dont Gaël Faye nous explique les tenants et les aboutissants dans cette interview.

 

 

L’INTERVIEW

 

Peux-tu nous expliquer le concept de « Rythmes et Botanique » ?

A la base, c’est un laboratoire censé me mener au prochain album qui portera peut être le même nom. Le projet tourne autour du piano droit auquel on rajoute des sonorités provenant de matières végétales comme le bois ainsi que des beats produits sur machine pour y apporter un coté moderne. Pour le moment, c’est surtout un spectacle que nous avions prévu de présenter à l’occasion d’une résidence au théâtre d’Ivry.

Cela débouchera donc sur un disque. Ce n’est donc pas qu’un spectacle éphémère comme tu as pu faire auparavant.

Oui. Quinze titres sont déjà prêts et on verra plus tard les modalités de sortie avec des labels. Pour le moment, l’idée était de tester les morceaux sur scène. Généralement, je fais le contraire, sortir le disque puis le défendre en concert. Le problème est que c’est souvent frustrant car la déclinaison sur scène est conditionnée par la « faible » économie et les « faibles » moyens du live. Souvent, on ne tient pas 100% de la « promesse » du travail en studio pour lequel on a du temps et des moyens. Là on a pu se lâcher et construire quelque chose à partir du live.

Comment est né le projet ?

Tout est parti d’une invitation pour le spectacle « Touche Française » il y a deux ans au théâtre du Rond Point à Paris. Avec Milk Coffee & Sugar et Guillaume, nous avions été conviés à construire un set acoustique piano – voix. Cela avait bien fonctionné et on a décidé un peu plus tard de pousser le concept un peu plus loin.

 

« Le slam est un cadre… une scène… mais pas un style. J’avais envie d’aller au delà de cette étiquette. »

 

Une base piano – voix. Comme du slam ?

Pas du tout. Ce n’était pas du slam mais bien du hip hop. Dans ce genre de configuration, on a souvent considéré que je faisais du slam. Je ne me revendique pas du slam bien que j’aie fréquenté cette scène, que je respecte, bien avant qu’elle ne soit reconnue. Le slam est un cadre mais pas un style. J’avais envie d’aller au delà de cette étiquette. Je ne fais que mettre en rythme mon « groove », ce qui est différent.

Pour parvenir à ce résultat, tu t’es entouré de ton complice de longue date Guillaume Poncelet et du beatmaker Blanka. Comment as tu rencontré ce dernier ?

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, je n’avais pas approché Blanka pour le mastering des morceaux. On s’est rencontré à l’occasion de notre collaboration sur le projet « Les Fines Bouches » qu’il avait réalisé avec Guts (ndlr : sur le titre « Allô la Terre » en tant que Milk Coffee & Sugar). On s’était très bien entendu et on partageait vraiment les mêmes goûts musicaux. J’avais pensé à lui pour « Rythmes et Botanique » car j’avais envie de repartir sur un traité beatmaking puisque je sortais d’un album avec des musiciens.

 

Pour ce projet, vous avez fonctionné comment ?

Le projet ayant pour base le piano droit, j’ai écrit mes textes en fonction des mélodies de piano de Guillaume. A partir de là, Blanka a proposé des rythmiques. Il est très bon pour ça et cela a donné un ensemble très homogène.

C’est véritablement un projet à trois ?

Exactement. Bien que j’aie initié le projet, on l’a véritablement construit en trio. Chacun d’entre nous a pu s’approprier chaque morceau. « Rythmes et Botanique » a un fil conducteur piano – beats – voix plus identifié que mon précédent album sur lequel trente musiciens sont intervenus. C’est aussi une formation plus agile qui navigue plus facilement d’une sonorité à une autre. On a aussi utilisé beaucoup plus de samples pour revenir davantage à une base hip hop. En tout cas, c’est plus rappé que sur mon précédent disque.

Tu avais teasé sur le projet avec la publication de photos en octobre 2015. Vous aviez commencé à bosser dessus à ce moment là ?

Exactement. Guillaume et Blanka s’étaient rencontrés durant l’été 2015. La résidence au Theâtre d’Ivry arrivait à grand pas. On a bossé non – stop à partir de ce moment là. C’était un boulot conséquent car en plus du studio, il fallait penser tout de suite à l’aspect scénique. Il fallait répondre aux interrogations sur la technique, sur l’animation vidéo, sur la scénographie avec notre metteur en scène, sur l’enchainement des morceaux etc. A l’arrivée on a opté pour un set – up léger. C’est Blanka qui envoi les vidéos à partir de sa machine. Il y avait tellement de choses à penser. Des choses qui ne sont pas travaillées dans le hip hop en général.

 

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Une formule légère pour encore une fois être agile.

Oui car le spectacle peut être joué dans n’importe quelle salle. On se garde une part d’improvisation et on fonctionne au feeling. Il y a un vrai travail de création qui fait qu’aucun show ne ressemble à un autre. On peut même dire que nous sommes quatre avec notre ingénieur du son qui traite les samples et ma voix en live aussi bien qu’il pitche le piano. C’est un vrai spectacle vivant.

Et du coup, y’a t-il un récit dans le show ?

Non pas à proprement dit car on peut changer la set – liste à notre guise. Mais il y a une progression. C’est plus une montée en puissance. On commence à 70 bpm pour finir à 150 bpm.

Tu es retourné au Rwanda en février pour terminer le projet. C’était important pour toi de te sentir dans ton pays d’origine pour l’inspiration ?

C’est toujours agréable pour moi de revenir là bas. Mais les thématiques de « Rythmes et Botanique » ne traitent pas du Rwanda contrairement aux précédents disques. Je suis retourné là bas pour me ressourcer et j’en ai profité pour faire des choses avec des musiciens sur place en vue de projets à venir. Je suis aussi allé chercher de la matière au Congo.

 

« Au Théâtre d’Ivry… il s’agissait de nouveaux titres que les gens allaient découvrir… Sur certains titres, il y avait un silence religieux. C’était à la fois jouissif et stressant. »

 

Vous avez donc présenté sur scène ce spectacle au Théâtre d’Ivry. Comment ça s’est passé ?

Ça s’est bien passé. Ça faisait longtemps que je n’avais pas sorti quelque chose de nouveau et j’étais très excité de le défendre sur scène. La difficulté était qu’il s’agissait de nouveaux titres que les gens allaient découvrir. Généralement c’est plus facile qu’on on partage des morceaux que le public connaît. Sur certains titres, il y avait un silence religieux. C’était à la fois jouissif et stressant car on ne savait pas ce qu’il en pensait. Le pari était aussi de travailler avec des ingénieurs pour la lumière et la vidéo, ce que je n’avais jamais fait auparavant d’une manière aussi assidue. C’était vraiment super et cela m’inspire pour l’avenir.

Il y a d’autres dates de prévues ?

On va enclencher une tournée à l’automne. On ne fera pas de festivals cet été. Maintenant qu’on sait que les titres ont bien fonctionné sur scène, on va les enregistrer en studio. On aimerait que la tournée et la sortie du disque concordent. Ca devrait sortir pour la fin d’année et on réfléchit sur des clips et même une web-série. A voir.

En marge de « Rythmes et Botanique », tu continues à participer à des festivals. D’ailleurs, tu étais récemment invité à assurer la première partie de Mos Def à Addis Abeba. Le combo a du te plaire ?

L’Ethiopie est un de mes grands coups de cœur. C’est un pays qui a une culture ancienne et une spiritualité forte. J’avais gagné un concours de slam qui m’avait emmené là bas. Y retourner était important pour moi. Le professionnalisme et la rigueur dans le travail sont loin de ce qu’on pense de l’Afrique généralement. L’organisation des festivals là bas est d’une grande qualité. J’avais l’impression d’être en suisse ! J’aimerais beaucoup y retourner avec « Rythmes et Botanique ». Pour l’anecdote, Mos Def n’avait pas pu venir. C’était à l’époque de ses problèmes de papiers.

 

« Il faut arrêter de se prendre pour le centre du monde. Pour les Ethiopiens, le rap français c’’est de la world music. »

 

Concernant l’étranger justement, la barrière de la langue n’est – elle pas trop handicapante quand on parle de rap ?

La musique est universelle. A chaque fois que j’ai joué à l’étranger, ca s’est toujours bien passé et le public est réceptif. On m’a souvent fait la remarque sur le fait que je ne rappais pas en anglais. Mais il n’y a pas de recette en réalité. Que ce soit dans la jungle ou au pied des buildings, cela ne va pas être reçu pareil mais c’est la même musique. La musique pour moi est un prétexte à la rencontre. Il faut arrêter de se prendre pour le centre de la terre. Pour les Ethiopiens, le rap français c’est de la world music. L’Ethiopie est un pays non colonisé, chrétien depuis le IIIème siècle et qui possède sa propre écriture. Elle ne ressent aucun complexe d’infériorité. Nous on est exotiques pour eux. C’est seulement la rencontre entre nos mondes qui est formidable.

Quels sont tes prochains projets ?

En plus de la sortie et de la tournée de « Rythmes et Botanique », je suis un gros projet de roman qui devrait sortir en septembre chez Grasset. C’est une fiction qui se passe au Burundi il y a 20 ans. L’histoire raconte la vie d’enfants dont le terrain de jeu est une impasse dans laquelle ils vivent. Tout cela sur fond de guerre dans le pays. J’ai toujours voulu écrire. Je suis plus dans l’écriture que dans la composition en réalité. C’est l’écriture qui m’a amené à la musique. J’ai pu réaliser quelques rêves en faisant de la musique, en écrivant des pièces de théâtre et des spectacles. Avec un roman, j’en réalise un autre qui me tient à cœur. J’élargie le champs des possibles.

Il ne te manque plus que l’écriture d’un film ou d’un court – métrage.

Oui c’est vrai. C’est une autre aventure qui me plairait bien. Par rapport au roman, j’ai déjà des propositions d’adaptation pour un film. Je ne sais pas encore ce que je vais décider mais j’aimerais bien y arriver, que ce soit par le biais d’un livre ou par d’un autre moyen.

On sera ravis de te lire, en plus de t’écouter. Merci Gael.

Merci à toi.

 

Et rendez-vous à l’automne pour connaitre la suite de l’aventure de « Rythmes et Botanique ».

 

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