Avec une déjà longue carrière (presque 20 ans), des albums plébiscités aussi bien par l’underground que par un plus large public, et des récompenses de l’industrie de la musique française, Oxmo Puccino s’est donné le « luxe » de faire à peu près tout ce qu’il veut : des collaborations avec « l’entertainment » hexagonal, des tournées en trio acoustique ou des aventures musicales inédites comme la réinterprétation du conte de « Alice Aux Pays Des Merveilles » avec Ibrahim Maalouf l’année dernière.
Le 13 novembre prochain sortira « La Voix Lactée », son 8ème grand format, si on compte le duo avec Maalouf. Le dernier opus solo était en effet « Roi Sans Carrosse » sorti en 2012. Que ce soient ses fans des premières heures ou ses détracteurs qui lui reprochent de s’être éloigné des débuts, toute nouvelle actu d’Oxmo ne laisse jamais indifférent. La communication au compte-gouttes autour de ce nouveau disque entretient encore plus l’attente même si le premier clip de « Une Chance » a été révélé il y a quelques jours.
Alors avant de devenir fous, on s’est précipité à la rencontre de l’artiste pour qu’il nous en dise plus sur « La Voix Lactée » !
L’INTERVIEW
Parlons tout de suite du titre de l’album puisque tu as fait un jeu de mots avec « voix » et non « voie ». Du coup le mot « lactée » doit avoir un autre sens. Lequel ?
La racine du mot « lactée » est « lait » mais pas dans la définition que je lui ai donné sur le deuxième album. A savoir que j’avais fait un morceau qui s’intitulait « Le Laid » (avec un « d » et non un « t ») qui parlait d’une manière métaphorique de l’argent. Dans « La Voix Lactée » c’est avant tout une sorte de photographie de l’espèce humaine dont j’ai remplacé le cadre par l’espace. C’est à dire que pour moi nous sommes les étoiles d’un espace qui est obscur. Et donc « La Voix Lactée » est tout sauf une voie financière. On a l’impression que tout tourne autour de l’argent. Certes son manque est néfaste mais ce n’est pas tout.
Justement, certains de tes détracteurs font un lien entre ton succès et l’argent. Ton rapport à l’argent n’a pas changé puisque tu n’es pas milliardaire.
Non je suis loin d’être milliardaire et c’est pour cela que je peux encore me permettre d’en parler. Le jour où je passerai la barrière, j’en parlerai beaucoup moins (rires). Mais blague à part, l’argent n’est défini que par la réalité que vous en faites. Le rapport que vous avez ne dépend que de votre éducation, de votre expérience, bonne ou mauvaise, avec.
Comment définir l’argent aujourd’hui ? Je parle beaucoup plus de richesse, de richesse intérieure, richesse dans le sens du partage, richesse dans la somme des échanges qu’on a avec l’autre. L’argent ça va ça vient. Pour l’artiste que je suis, c’est très fluctuant.
Ces dernières années, tu as fait une entrée dans « l’entertainment » avec tes 2 Victoires de la Musique qui t’ont ouvert des portes et t’ont fait côtoyer des gens qui sont plutôt aisés, eux. Tu l’as vu ce drôle de rapport à l’argent de ce milieu-là ?
Non pas du tout parce que l’argent ne rend pas plus heureux. L’argent ne rend pas le rythme d’un cœur qui est en train de s’arrêter. L’argent ne vous rend pas la santé. L’argent ne vous rend pas plus amical. Moi quand je rencontre quelqu’un, je reste dans une relation d’humain à humain. C’est peut être ce qui m’avantage dans les rapports. C’est que je me préoccupe peu des possessions de quiconque. Parce que tout ce qu’on possède est sur soi. A poil ! (rires)
Revenons à l’album. Tu ne communiques qu’au compte – gouttes dessus en révélant les infos avec parcimonie. On ne sait que peu de choses sur lui à part le clip de « Une Chance » et son tracklisting. A propos de ce dernier, on remarque qu’il n’y a pas d’invités. Pourquoi ?
Les invités dépendent tout d’abord de ce que demande le morceau pour arriver à son aboutissement. Cela dépend aussi de leur disponibilité. En très peu de temps, il faut trouver la personne au bon moment. Et pour cet album, cela a été très compliqué.
Tu veux dire que tu as réalisé l’album en très peu de temps ?
Je l’ai pré-produit en 2 ans et il a été produit en 4 ou 5 mois. Donc très rapidement.
C’est vrai que tu gères beaucoup de choses en même temps : tes tournées en solo ou en trio (avec Vincent Segal au violoncelle et Edouard Ardan à la guitare) etc. Quand as-tu le temps de produire des titres et qui plus-est un album ?
J’ai l’habitude de travailler sur plusieurs projets en même temps. Dès qu’il faut en mettre un en branle, j’arrive à mettre les autres entre parenthèse pour me consacrer à celui-là. Mais c’est possible avec une équipe très bien organisée.
« Depuis 1998, on n’a pas eu de joie collective. »
Pour revenir au tracklisting, cette communication « maitrisée » laisse la place à toutes les lectures et à toutes les interprétations. Pour en terminer avec le suspens, on va te demander de nous expliquer 3 titres. On commence avec « 1998 » qui renvoit à l’année de ton premier album « Opéra Puccino ». On a bon ?
Pas du tout justement. C’est en rapport avec la coupe du monde 98 et sur le fait que depuis on n’a pas connu une joie nationale, une joie collective. C’est une réflexion sur les conséquences que pourrait avoir la décision d’être sur un élan commun et national. Il n’y en pas eu tellement avant et pas depuis 98.
Maintenant que tu le dis, ce n’est pas par hasard qu’il y ait des images de foot, en jeu vidéo, au début de ton clip de « Une Chance ». Tu es de ceux qui pensent que le foot est un des rares événements qui peut rassembler les gens ?
Socialement oui. D’ailleurs, les annonceurs ne s’y trompent pas et on sait que la pub est vendue à prix d’or lors d’une coupe du monde. C’est dommage que même ce rassemblement populaire ait été récupéré sans rien changer fondamentalement aux footballeurs ni au public. Au delà de ça, c’est fou comme un ballon a réussi à fédérer une telle masse d’humains. C’est formidable et fascinant de voir les conséquences sociales que cela engendre.
Comme je le disais sur ma précédente tournée, quelle est la différence entre 1 euro et 1 milliard d’euros au niveau immatériel ? Aujourd’hui la richesse financière ne se résume pas à des liasses de billets dans un coffre-fort. Cela ne s’affirme pas à travers la possession d’une voiture. On a beau être riche, à quoi cela sert de s’acheter 15 Porsche alors qu’on ne peut en conduire qu’une ?
A partir d’un moment cela devient absurde et c’est là que cela devient une responsabilité qu’il faut gérer. La planète est dans un sale état à cause de ce raisonnement de gaspillage, de surconsommation, de surexploitation des ressources naturelles, de pollution etc.
Tu parles du foot comme élément fédérateur. Mais la musique l’est tout autant non ?
Pour moi plus accessible car contrairement au foot, la musique génère quand même moins d’argent. Cela reste un échange humain à l’état pur, un échange de textes et d’idées. Jamais autant de monde n’attendra le refrain d’un artiste derrière une télé. Mais cela ne procurera pas un moins grand plaisir. C’est fantastique de pouvoir communiquer aussi facilement avec une voix, une guitare et un texte. La musique c’est plus magique que fédérateur. C’est métaphysique, c’est un échange d’émotions avant tout. C’est carrément cosmique.
« La notoriété c’est toujours un accident social. »
On parlait tout à l’heure de la notoriété. Y’a quoi derrière le titre « Star et Célébrité » ?
Derrière ce morceau il y a les coulisses de la notoriété et un regard sur les personnes qui se font des idées sur ce statut. Comme je le dis souvent : « on devient célèbre pour de mauvaises raisons ». La célébrité vous tombe dessus et il faut faire avec. C’est toujours un accident social. Celui qui la recherche est forcément dans le mauvais sens. C’est à dire que quand on pense rechercher la notoriété, on a soif de reconnaissance en vérité, donc on place le curseur au mauvais endroit. La vision des gens de la célébrité est extraordinaire. Donc j’ai mélangé tout ça dans ce morceau. Finalement, aussi bien les gens qui deviennent célèbres pour des raisons méconnues que les gens qui s’en font une idée.
Ce sont tout simplement des gens qui sont réunis autour d’une idée que quelqu’un a trouvé par hasard.
Mais tu l’as eu cet « accident social » quelque part avec ta notoriété ?
Oui mais cela reste un accident. On ne s’y attend pas et on n’est surtout pas préparé à ça. On est loin d’imaginer les bouleversements personnels et les conséquences sociales que cela provoque. Cela change tout, ne serait-ce que lorsque vous faites la queue pour acheter du pain.
Parlons de « Une Chance » qui a fait l’objet du premier clip tourné dans ce fameux gymnase de Vanves (rires). La chanson parle de cette chance qu’il faut saisir pour peu que tu ais travaillé pour l’obtenir. Est-ce que c’est un miroir de ta propre carrière ?
Non pas vraiment. On peut le voir comme un miroir de ma carrière selon la définition qu’on a de la chance. Moi je ne définis absolument pas la chance quand on la vend. La chance c’est le résultat de beaucoup de facteurs qui mènent jusqu’à votre but. Et cela implique de savoir où on se situe dans l’univers et avoir conscience de qui on est et ce dont on est capable ou pas. C’est ça la chance.
« J’ai assez d’expérience pour affirmer qu’avec beaucoup de travail, un bon entourage et une certitude sur ce qui nous émeut, on ne peut pas tomber à coté. »
La vidéo relate l’histoire d’une jeune fille qui est rejetée au départ et qui gagne le respect par la lutte et la victoire. On imagine que c’est un message adressé aux jeunes qui perdent pied de nos jours ?
Totalement. On se pose beaucoup de mauvaises questions qui vont nous éloigner de la solution. Je pense avoir assez d’expérience pour affirmer qu’avec beaucoup de travail, un bon entourage et une certitude sur ce qui nous émeut, on ne peut pas tomber à coté. A partir du moment où on arrive à savoir ce qui fait notre bonheur, ce qui nous fait vibrer et qu’on se donne la peine, peu importe la hauteur des obstacles, il est impossible de ne pas y parvenir. Si on s’arrête au pied du mur et qu’on réfléchit aux éventuels échecs, ce n’est pas la peine de continuer.
Tu as croisé la route de plusieurs musiciens durant ton parcours. Qui a participé à « La Voix Lactée » niveau instrumentation ?
Sur l’album, il y a déjà 3 compositions et 2 co-compositions avec Renaud Letang. Personnellement, je joue de la basse depuis l’âge de 19 ans et j’ai appris à jouer de la guitare il y a 7 ou 8 ans. Et grâce à mon guitariste de tournée Eddie Purple je me suis mis au clavier tranquillement. Ce qui fait que je commence à avoir une expérience musicale qui me permet de m’exprimer un minimum. Tout cela associé à mon expérience sur boîtes à rythmes, j’arrive à créer un petit univers. Avec l’aide de Eddie et de Renaud aux arrangements, j’arrive progressivement à installer un petit tapis d’inspirations.
Pour l’album, on a fait les bass et les guitares nous-mêmes. Pour la rythmique on a utilisé les boîtes à rythmes. Ensuite Vincent Taeger, le batteur des Jazzbastards, est venu rajouter quelques idées mais il trouvait que tout tenait déjà la route. Donc il n’y a pas eu d’apport de beaucoup de musiciens sur le disque.
« Lorsque je dis que je travaille beaucoup, c’est aussi parce que je continue à apprendre. »
Avoir un bon entourage, c’est ce que tu disais précédemment.
Oui je ne fais rien tout seul. Lorsque je dis que je travaille beaucoup, c’est aussi parce que je continue d’apprendre. La recherche est un travail invisible. On vous voit devant des feuilles de papier, des cahiers ou des écrans et on se dit que vous ne faites rien. Mais il y a beaucoup de travail pour passer de la théorie à la pratique. Ces derniers temps j’ai beaucoup appris : j’ai eu des notions de mixe, j’apprends le piano, je continue à travailler la guitare, je travaille le chant (sur l’album je chante beaucoup), je commence à avoir des notions d’harmonies. Bref j’essaye de compléter ma formation, ce pourquoi je fais de la musique depuis plus de 15 ans.
Cela veut-il dire que tu vas jouer d’un instrument sur scène bientôt ?
Peut être si j’ai le temps d’y travailler. J’aimerais beaucoup en tout cas. De la guitare ou de la bass sur 1 ou 2 morceaux. On va y travailler.
Tu as lancé ton application mobile « Le Cercle » il y a quelques mois. C’était une idée à toi, toi qui aimes échanger avec tes fans, ou celle de ton équipe ?
Je fais partie des artistes qui ont été tout de suite actifs sur Internet. J’ai rassemblé une communauté dès mon premier site en 1999. Quels que soient les supports utilisés, j’ai toujours eu ce même noyau de fans qui m’a suivi. Et je suis assez fidèle à une partie d’entre eux à qui je dois mon existence en grande partie.
En fait, on est toujours à la recherche de nouveaux moyens de communiquer. L’agence Fantouch est venue nous voir avec la bonne idée au bon moment. Grâce à cette application, qui est payante, on fournit un contenu spécial et exclusif, personnalisé à des personnes qui ont vraiment choisi d’être là.
L’appli « Le Cercle » disponible sur iTunes & Google Play
On y trouve donc des avant-premières, comme pour le clip de « Une Chance », des exclues et aussi des interviews de jeunes artistes. C’est important pour toi d’aider à ton tour les jeunes artistes ?
Je dis souvent qu’on « ne se fait pas tout seul ». Donner la parole à ces artistes me renvoi à des moments qui m’ont construit. On donne aussi la parole à des artistes qui sont moins dans la lumière et cela me permet de parler des gens qui sont très importants dans le déroulement de ma carrière.
« La grande inspiration nait souvent des contraintes. »
On imagine que tu aurais bien voulu avoir ce genre de technologie quand tu as commencé ta carrière avant 1998 ?
Je me dis que la grande inspiration nait souvent des contraintes. Si j’avais eu ces moyens à l’époque, je serais comme pas mal de jeunes aujourd’hui qui ne savent pas par où commencer. J’ai eu la « chance » de rencontrer des obstacles qui me permettent de profiter avec délice de ce que m’offre la technologie. J’ai commencé à une époque où pour pouvoir arriver à la fin d’un morceau, il fallait trouver un DJ qui possède le vinyle à sampler, la personne qui a la machine pour poser les beats, la personne qui possède le studio pour enregistrer, la personne qui va graver les vinyles et les cassettes, sans parler des ingénieurs pour le mixage. Aujourd’hui, toute la chaine de production a été raccourcie. Le temps qu’il me fallait pour faire un morceau m’a appris les différentes étapes de production. C’est une formidable expérience finalement. Je suis content d’avoir vécu cette époque. Cela me fait encore plus apprécié le présent.
Ce qu’on appréciera surement, c’est la sortie de ce nouvel album et la tournée qui aura comme climax l’Olympia à Paris le 30 mars prochain. Merci Oxmo pour cette interview !
De rien. Merci pour l’implication.
L’album « La Voix Lactée » est en précommande sur iTunes et en écoute sur Deezer, Spotify et Apple Music.
Oxmo Puccino est aussi en tournée : Digitick
– le 10/10 à Valenciennes (Phenix)
– le 14/10 en trio acoustique à Caluire et Cuire (Radiant – Bellevue)
– le 20/10 en trio acoustique à Tours (Grand Théâtre)
– le 20/11 à Paris (Gaité Lyrique pour RBMA Paris)
– le 30/03 à Paris (Olympia)