Dans le circuit rap depuis plus de vingt ans, crédible dans le mainstream autant que dans le Hip Hop le plus radical, Faf Larage n’est plus à présenter. Compositeur et pianiste qu’on qualifierait de prodige, happé par la déflagration binaire, le nom de Sébastien Damiani a commencé à émerger dans les crédits des albums d’IAM avant de s’imposer dans ceux du dernier solo d’Akhénaton, “Je Suis En Vie”. Les deux gars s’associent aujourd’hui pour un projet ambitieux où, sur fond de beatmaking strictly Hip Hop, la composition prend la place du sampling académique. Beats façonnés sur MPC, soul et atmosphères cinématographiques sont la colonne vertébrale de ce Hip Hop Symphonique Composé. Une chose est avérée : la démarche est inédite et nécessite donc mise au point, détails et anecdotes.
L’INTERVIEW
“Pas de chance, t’es tombé sur deux moulins à paroles…”
Difficile de commencer sans parler du caractère hors-normes de votre attelage : un rapper-beatmaker et un pianiste compositeur. Comment tout ça est arrivé ?
SEB : Le tout début de mon histoire avec le rap, c’est pour moi Miami en 1992. Je suis en Floride pour donner une série de concerts classiques, j’en profite pour traîner chez les disquaires, et là, j’achète la cassette de Eric B. & Rakim “Don’t Sweat The Technique”. A l’époque, j’écoute plutôt de la soul et des bandes-originales de films, mais ça me parle. Je me suis mis ensuite à creuser et je suis arrivé sur le rap français avec surtout AKH que j’admire et qui pour moi est une sorte de Rakim français justement. Pendant des années, j’ai essayer de le rencontrer, ça n’a pas eu lieu pour diverses raisons et finalement, on fini par se rencontrer lors d’un concert d’IAM. Je lui ai fait écouter mes compos que j’avais apportées sur mon iPod. Des sons orchestraux, des musiques de films… Il écoute tout ça et trouve qu’effectivement il y a matière… On en reste là dans un premier temps et on se recroise plus tard sur un concert (la tournée We Luv NY avec Faf justement) et là, Chill me parle d’un projet sur lequel il travaillait avec IAM…
FAF : IAM travaillait sur le projet IAM Morricone et avait monté plusieurs équipes de producteurs pour avancer sur des sons. Seb et moi, on se retrouve dans deux équipes différentes. On s’était déjà croisé, on avait sympathisé, échangé quelques mots, mais sans plus. Donc, lui était dans l’équipe de Camouflage avec Samm de Coloquinte et on se croisait sur les séances d’écoutes où chacun amenait les instrus qu’il avait composées et on discute, on échangeait etc..
SEB : Quand on fait les premières séances d’écoutes des samples de Morricone pour le nouveau projet d’IAM, je commence à travailler sur des compositions qui sonnent un peu comme du Morricone, mais sans en être. J’essaie juste de m’en inspirer.
FAF : Les vrais contacts se font finalement à ce moment là où je dis à Seb de passer me voir au studio pour qu’on s’échange des grosses caisses, des caisses claires, lui me donnerait des conseils, un peu comme on le ferait avec des disques. Quelques jours plus tard, il passe me voir et on commence à s’écouter du son et, très vite, on en est arrivé à se dire qu’on pourrait essayer de faire des trucs.
SEB : Faf me dit “passe me voir à mon studio. Amène moi ce que tu composes, je te montrerai comment on sample et on verra si on peut faire quelque chose ensemble”. Au premier rendez-vous, après une journée de travail, deux prods étaient en boîte!…
Ca commence bien !
FAF : Sauf qu’entre temps, le projet IAM Morricone tombe à l’eau mais IAM a quand même un album à faire et décide de continuer avec les équipes déjà en place avec pour seul cahier des charges de retrouver l’ambiance du Micro D’Argent mais actualisée. Avec Seb, de nôtre côté, on a continué à avancer sur notre projet, à parler de concerts etc, donc quand IAM nous fait cette demande, ça arrive au milieu de tout ça mais on se met quand même à leur faire des sons. A ce moment, ça devient Larage & Damiani qui travaillent pour IAM. Faut savoir qu’ils avaient décidé, pour ce nouvel album, de tout centraliser à La Cosca où mon studio est collé à celui de Chill, parfois Imhotep passe et, quand il voit Seb, il lui demande de lui rejouer tel truc en le détournant. Je me retrouve par moment à travailler sur un beat ou une basse pendant que Seb est chez Chill en train de refaire tel ou tel sample. Ca a donné le titre 4-2-1 par exemple. Tout s’est fait comme un espèce de gros atelier où on travaillait pour nous et pour IAM dans les mêmes sessions.
SEB : Moi je faisais le ping-pong entre les deux projets ! On m’appelait d’un côté pour rejouer une basse, un clavier, ou composer pour des cordes, d’un autre pour refaire une partie de cuivres, j’avais un côté homme à tout faire, comme dirait Leeloo dans Le 5eme Element de Besson, « Multipass »!!……
Comment se passent les premières écoutes ?
FAF : Pas très bien. Ils n’ont pas trop kiffé les premiers morceaux qu’on leur a proposés…Ils trouvaient ça un peu hors sujet, sauf Chill qui appréciait vraiment. Mais, au moment où on a saisi exactement où ils voulaient aller, c’est là qu’on a commencé à travailler les morceaux qu’on retrouve surt Arts Martiens.
SEB : Pendant les réunions, j’essayais de les convaincre que je pouvais composer des ambiances dans l’esprit Morricone, avec les mêmes couleurs, les mêmes harmonies.Je suis un compositeur à part entière, et c’est certain que je préfère composer ce que je ressens au plus profond de moi, mais c’est toujours intéressant de traduire une couleur d’un compositeur aussi génial que Morricone et d’apporter sa touche.
FAF : Pendant tout ce temps on a jamais arrêté de faire nos projets de notre côté. En fait, ça marchait par périodes. On a eu une période électro, une période B.O… d’ailleurs, un matin Chill est passé au studio écouté ce qu’on avait fait, il a adoré, il nous a demandé s’il pouvait nous le reprendre. Samplé, découpé et mis sur un beat, ça a donné Dernier Coup d’Eclat.
Au départ, cette collaboration presque naturelle entre un gars venu du hip hop et un autre venu du classique n’a quand même rien d’évident..
FAF : Je ne suis évidemment pas un spécialiste du classique et dans le milieu rap, à part Mozart et Beethoven… Mais j’en ai écouté pour chercher des boucles. Et puis, il y a certainement harmonies qui me touchent. Tu peux mettre n’importe quoi derrière, dès l’instant où on est dans ces harmonies, ça me touche ! Et on se retrouve avec Seb là-dessus parce que lui a les mêmes.
SEB : Avec Faf on se retrouve sur des harmonies bien spécifiques et on se découvre des influences identiques mais venant d’univers différents : quand il me parle de Marvin Gaye ou d’Otis Redding, je lui répond Ravel ou Debussy. Cela se rejoint souvent harmoniquement parlant… Quand Faf me chante un début de mélodie, je sais très bien ce qui va aller dessous, comment je vais harmoniser cette mélodie, pour que cela nous plaise à tous les deux.
Je voudrais juste revenir sur une info que Sébastien a glissé : au début de l’interview tu parles de concerts à Miami en 1992. Est-ce que tu peux revenir un peu sur ça ?…
SEB : J’ai 20 ans à cette époque….Je suis en pleine ascension dans ma carrière de pianiste soliste classique.Je réalise à ce moment-là des tournées à travers le monde et j’ai la chance de jouer avec beaucoup de très bons orchestres Symphoniques.Mais la composition,les thèmes de B.O de films, les sons des synthés dans certains morceaux , la soul, le funk, me parle énormément et je sais au fond de moi que mon futur sera différent d’une carrière d’interprète classique.D’ailleurs ma carrière a démarré avec la musique dite de « variété », j’ai fait l’Olympia j’avais 12 ans…Et une tournée au Japon à mes 13 ans, seul au piano devant des centaines de personnes…Un parrain nommé Charles Aznavour, et CBS Sony au Japon ou Polydor en France derrière moi. C’est mon père qui m’a été à l’origine de tout cela, mes parents m’ont toujours aidé du mieux qu’ils pouvaient pour que je puisse réussir et m’épanouir. Il ne me restait plus qu’à travailler du mieux possible…
Mais tu aurais pu très mal tourner finalement !
SEB : En fait, j’étais un gosse, mais malgré tout j’ai beaucoup appris à cette époque. La scène, les TV, les ITW, le travail en studio avec des grands musiciens, puis plus tard, quand j’ai commencé ma carrière dans la musique classique, les master class de Piano, les examens au conservatoire, le stress à gérer, apprendre l’abnégation, avoir la volonté, se retrouver seul ensuite devant son piano, et y aller…la récompense était là, quand les premières notes arrivaient…je me retrouvais chez moi, dans mon univers.
Tu as quel âge à ce moment là, quand tu entres au Conservatoire ?
SEB : Treize ans. Ca fait vieux dans ce milieu-là… Je commence les cours particuliers avec une ancienne pianiste très pédagogue, les bases, je réussi l’examen d’entrée et j’arrive au conservatoire avec toutes les brimades que je te laisse imaginer : je viens de la variété, je place mal mes doigts…bref on ne me prédit pas une grande réussite. Je fini médaille d’or, en deux années d’études seulement, tout cela grâce à la perspicacité de mon regretté professeur de piano Mr Jean Vallet,et de mon travail acharné. Mes parents me soutiennent, mon père multiplie les contacts, je travaille avec pas mal de monde, mais surtout avec François-René Duchable qui est concertiste et qui me forme à devenir pianiste soliste. J’entame alors une deuxième carrière de pianiste, classiquecette fois, et je repart faire le tour du monde !
Je joue du classique mais je fais un peu le pitre dès que j’en ai l’occasion, lors des répétitions ou lors de mes « bis », je détourne certains morceaux avec des accords soul,je recompose par dessus, où je compose carrément des pièces pour piano et, un jour, Duchable me prend à part et me dis “ton talent est là, et il est incroyable ». Du coup, il m’écrit une lettre de recommandation avec laquelle je débarque aux éditions Lemoine pour lesquels j’écris des Préludes Pour Piano. A peu près à ce moment-là, ma femme attend un heureux évènement. De là, je décide d’arrêter,pour profiter pleinement de notre enfant, et je deviens professeur de piano pendant une bonne dizaine d’années. Puis je commence à composer pour le patinage artistique, je signe la musique d’un court-métrage, je signe également certains génériques sur Canal+, lors de la Coupe du Monde 1998 en France. Bon, j’avais jamais vraiment arrêté puisque je composais tous les jours (des thèmes de musique de film, des pièces pour chant et Piano, des chansons de variétés, etc…) ! C’était l’époque des vidéos, avec ma femme on louait trois films par jour dès que l’on pouvait, horreur, suspens etc, j’étais devenu un vrai pro des compositeurs de b.o. et à la fin du film Shattered, je vois le nom d’Alan Silvestri.
Cette musique m’a ensorcelé, le thème est magnifique, alors je décide d’aller le rencontrer pour lui faire écouter ce que je fais. Je vois qu’il passe en Italie, je fais 1200 bornes, je te passe tous les détails, mais j’arrive à le rencontrer et au lieu de rester 5 minutes ensemble, on passe toute la soirée. On mange ensemble, il écoute mes morceaux dans la bagnole, il me motive à continuer et depuis, on est amis. Il me donne surtout comme conseil de trouver l’axe de communication pour faire connaître ma musique, en laquelle il croit. On est en 2007, la suite m’amène sur ma rencontre avec Chill…
Retour au début de l’interview donc ! Vous avez fait circuler des vidéos de travail sur les réseaux sociaux où on voit Faf fredonner un air, puis Sébastien le jouer, partir un peu plus loin, Faf lui demander de rejouer le début mais un ton en dessous… C’est cette méthode qui a été utilisée pour toutes les compos ?
FAF : On est souvent parti de zéro, d’une humeur du jour, d’une mélodie notée dans le portable. On est même parti de séances d’écoutes où on se passait des disques qu’on aimait, des vieux trucs de soul, des b.o., pour y chercher l’inspiration. On a fait un morceau qui sonne fin 70 début 80 et pour lequel on s’est réécouté du Moroder, du Cerrone, on est même allé jusqu’à Space. Pour l’instant, c’est juste une instru, on ne sait pas si il sera dans l’album.
SEB : On a composé comme ça mais aussi parfois à partir de choses que j’amenais déjà composées et ou Faf disait “on va prendre tel endroit et on va travailler dessus” en fait, on a construit en crabe ! Chacun amène une info mais chacun a sa place. Faf ne peut pas se mettre au piano pour me montrer ce qu’il veut et moi je suis incapable de me mettre à l’ordi et de lui dire “tiens, on va récupérer cette boucle là et puis on va faire ça”. Ensemble on a réussi à travailler, selon les jours en fait, sur des ambiances Queensbridge, ou soul, ou b.o…
Faf, on voyait Sébastien partir souvent en roue libre sur son clavier, c’est pas un peu dur de l’arrêter parfois ?
FAF : Mais souvent ! On l’appelle entre nous “Seb Rajoute” ! Moi, je suis réputé pour emmerder le monde parce que j’entends un petit son dans le fond qui me plaît pas et qu’il faut changer, ou alors une caisse pas au millimètre qu’il faut. Seb c’est “ah tiens, on pourrait mettre ça en plus !” et des fois on se retrouve avec des morceaux avec je ne sais pas combien de pistes ! Quand il se met au clavier, il est pareil ! Des fois, on a le truc mais il te dit “mais on peut faire ça aussi…. ou ça !…”, alors qu’on n’en a pas besoin. Bon, des fois, il a raison aussi… Parfois, quand il commence à jouer, je le laisse partir parce que je sais qu”il va y avoir des pépites. Je branche l’enregistrement et je réécoute le lendemain où lui ne se souvient plus de ce qu’il a joué alors que moi j’ai déjà isolé des boucles. C’est pas non plus la méthode qu’on utilise le plus, mais ça arrive.
Et tu joues d’un instrument de ton côté ?
FAF : Non. Ca été mon gros problème pendant des années et ça été ma grosse chance de rencontrer Seb qui a pu m’aider à exprimer ce que j’avais en tête. Le travail de beatmaker m’a permis de développer autre chose avec les machines, devoir se contenter de 3 notes pour arriver à quelque chose etc. Quand j’ai quelque chose en tête, même très complexe, avec mes dix doigts, c’est impossible à reproduire. Avec Seb, on peut parce qu’en plus on parle de la même chose. Mais parfois il arrive avec un truc tout fait que j’ai juste à mettre en forme !
Donc si je comprend bien, tout est composé. Rien n’est samplé dans des disques ?
FAF : Ce n’est que de la compo, mais qui sonne comme du sample ! Aujourd’hui, les orchestres, tu peux tous les retrouver en plug-in. Avec les bons plug-in, tu peux te retrouver avec un orchestre de 200 musiciens si tu veux ! C’est des banques de 40Go, 100Go qui prennent énormément de place sur un ordinateur, c’est des samples à la note, des trucs très évolués. Tout est composé à partir de là, l’orchestre n’est venu qu’après.
SEB : L’orchestre est arrivé sur la fin de l’album, au départ ça n’était pas du tout prévu. Il est arrivé en novembre, tout était enregistré, on mixait. Et puis on s’est demandé si on ne passait pas à côté de quelque chose.…les sons « live » d’un orchestre me manquait… On n’avait pas l’argent, mais j’ai fait jouer mes connexions, merci à mes amis musiciens qui ont toujours cru en moi, pour m’avoir aidé à réaliser cela, avec l’Orchestre d’Avignon Provence. Et un grand merci à Philippe Grison !
C’est la première fois que la composition est faite de A à Z dans le rap, et jouée – à certains moments !- par un orchestre symphonique. Ecoute French Connect ! Le début c’est pas un orchestre que t’entends, c’est des plugs que je joue au clavier ! Les parties rappées, le ratio orchestre plug est de 20/80 et sur la dernière partie, c’est du 50/50. J’avais demandé à Alan Silvestri comment bien faire sonner des plugs, il m’a conseillé et j’ai suivi ses directives avec beaucoup d’attention !
Mais il a quand même fallut fournir des partitions pour que l’orchestre joue ?
FAF : Seb a écrit toutes les partitions et les arrangements. Il a retranscrit quelque chose comme 14 titres pour 49 musiciens en une dizaine de jours….
SEB : Pendant les vacances de noël, j’écris les partitions de 17 morceaux en 10 jours. J’y passais entre quinze et dix huit heures par jour, j’étais en pyjama du matin au soir,on aurait dit Hagrid dans Harry Potter !!! Lorsque on utilise les plug-in d’orchestre en studio (avec les synthés) on arrive à avoir un son d’un orchestre symphonique à la fin, en jouant chaque style d’instrument séparément au début. Enfin, on s’en approche..
Mais ça prend un temps infini ?!
SEB : Pffff… des fois ça peut prendre huit heures pour faire sonner une partie de corde ! C’est là où si tu n’es pas patient, faut mieux prendre un disque, le sampler et là ça te prend un jour pour avoir ton morceau ! Beatmaking compris ! Mais le but c’est aussi d’avoir des mélodies un peu plus longues que ce qui se fait habituellement dans le hip hop, ça permet des boucles plus étendues comme celle de Dernier Coup d’Eclat sur Arts Martiens.
Faire jouer un orchestre pour le sampler, d’autres groupes l’ont fait et j’ai toujours eu l’impression d’un sample posé sur le beat mais pas fondu dedans. Comme un manque de groove que tu n’as pas quand tu samples directement des cordes de Barry White ou d’Isaac Hayes par exemple…
FAF : Justement, on ne voulait pas cet effet là ! L’orchestre joue, mais par dessus ce qu’on a déjà composé. Le côté live, c’est quelque chose de difficile à gérer. Si tu décides de, par exemple, amener une vraie batterie tu vas vite te retrouver avec quelque chose à la The Roots et pas avec une rythmique à la Alchemist où tu sens que c’est live parce que la batterie vient d’un disque de l’époque mais, en même temps, ça sonne machine. L’orchestre est là pour le côté humain mais au final, on essaie plus d’avoir le son des bandes originales de John Barry parce que, quand tu samples ce genre de choses, il y a un quelque chose en plus qui unifie le tout. Mais dès que tu essaies de mettre l’orchestre sur une rythmique, c’est plus du tout pareil ! Quand tu utilises ce type de sample, tu prends quelque chose où les musiciens ont été enregistré, masterisé, pressé et, au final, tu retrouves toutes ces étapes dans ton sample. C’est finalement un espèce de défaut qui fait que ça s’intègre mieux et que tu as le groove Pour que ton orchestre sonne, il faudrait presque le faire comme un disque puis le sampler !
SEB : Il faut que le chef et l’orchestre soit autant hip hop que celui qui rappe ! L’amour ça se fait à deux ! Si tu essaies de rejouer des samples ou bien de composer pour en faire un sample, tu arrives rarement à recréer le truc de l’époque parce que, quand tu prends l’orchestre de Boston ou de Chicago des 70’s, tu as un son qui fait que tu ne pourras jamais reproduire, même avec un très bon orchestreaujourd’hui. Le problème c’est que cette couleur de son dans ces samples, à force de taper dans le filon, le pétrole s’amenuise ! Un morceau quand tu l’as samplé une fois, deux fois, dix fois, c’est comme une bête bouffée : il ne reste plus rien. L’idée que j’avais proposé à Chill c’était justement ça : composer pour redonner une nouvelle matière sonore dans laquelle taper si ça plaît. On a gaffé ensemble comme ça aussi sur les Albums d’IAM, et sur son album « Je Suis en Vie ».
C’est ambitieux et à la fois glissant comme collaboration, il y a quand même le risque de se faire étiqueter “hip hop avec du classique dedans”.
FAF : Alors que c’est pas du tout ça ! C’est du hip hop composé et symphonique ! Ce n’est que de la compo, mais qui sonne comme du sample !
SEB : En fait c’est simple : quand on parle de symphonique, c’est un orchestre qui interprète normalement des oeuvres symphonique du répertoire classique, des oeuvres sacrées, et qui accompagne également des oeuvres d’art lyrique ou chorégraphique. Ici, on utilise l’orchestre symphonique comme dans la musique de film, il est là pour apporter sa puissance, sa tendresse, sa couleur, ses timbres. Mais ce n’est pas du tout de la musique classique ! Le problème c’est que l’inculture hip-hop à ce niveau-là, fait que quand on parle de symphonique à certains journalistes ou artistes de ce milieu-là, ils pensent tout de suite « musique classique ». Alors que le symphonique peut jouer du Jazz, de la soul, de la B.O, et maintenant du rap !Au risque de me tromper, aucun de mes amis rappers n’est jamais allé voir un concert de classique…
FAF : On sait bien que ça va être schématisé “le rapper fait les beats et le musicien le reste” alors que, tu le vois bien, c’est plus compliqué que ça…
SEB : Ce qu’on ne veut surtout pas, c’est se faire résumé à “un rapper avec une session classique”. Ce disque, Faf seul ne pouvait le faire et moi pareil. Parce que si on veut vraiment faire un album de hip hop avec du classique, on prend des disques, on sample dedans et c’est parti. D’ailleurs, on a le projet de le faire avec des samples tirés d’oeuvres que les gens ne connaissent pas. On a déjà eu affaire à des journalistes qui n’avaient rien compris et qui ont écrit que c’est l’orchestre qui avait composé !
La dernière question que je me pose, c’est : que vient faire Jerry Heller là dedans ?! (manager de nombreux artistes, Heller est surtout, avec Eazy E, le fondateur de Ruthless Records, label qui, à la fin des années 80, lancera l’offensive gangsta rap depuis la côte Ouest des Etats-Unis portant un sévère coup à la toute-puissance New-Yorkaise. Les ventes d’albums (presque tous produits pas Dr Dré) de NWA, Easy E, The D.O.C., Above The Law et d’autres se compteront en millions…)
FAF : Alors là, je vais laisser Seb te répondre parce que l’histoire, c’est lui qui l’a. Et c’est complètement fou… On a fait l’enregistrement par téléphone au bureau, j’ai branché l’ordi, le micro, la carte son et on a fait ça trois ou quatre fois, jusqu’à temps que ce soit bon. Mais, avant d’en arriver là, on a un cheminement qui n’est pas commun…
SEB : Alors… Olivier Cachin qui était descendu nous voir pendant l’enregistrement de l’Orchestre Symphonique d’Avignon Provence, m’offre « Gansta Rap Attitude », le bouquin de Jerry Heller, dont il a fait la traduction. Je lis ce bouquin, que j’adore, et puis surtout je tombe sur des phrases qui me parlent parce qu’elles me rappellent ma vie ou mon caractère. La façon ont il a démarché Macola Records dès 85 pour les brancher sur NWA, ça m’a rappelé les portes que je me suis pris avec le concept de hip hop composé. Ca plus plein d’autres choses ont fait que me suis dit qu’il fallait que je le rencontre. Je le trouve sur Facebook et je ne me démonte pas : je lui envoie un mail en lui racontant mon histoire, mon parcours en lui expliquant le concept de hip hop symphonique, à lui qui avait révolutionné le genre en faisant connaitre le gangsta-rap, en lui demandant ce qu’il en pensait, s’il croyait que ça pouvait marcher etc. Trois jours après, une réponse avec en plus son mail perso ! J’en parle à mon éditeur pour qui c’est forcément un fake parce que Jerry laisserait certainement ses avocats répondre à sa place… J’envoie malgré tout un mail un peu plus précis en lui demandant l’air de rien certains détails comme son numéro de portable par exemple, et je lui joint un son en lui demandant ce qu’il en pense. Il me répond un truc du genre “dope ! it sounds like a movie !” ! Il a quand même été le manager de Marvin Gaye, d’Elton John, des trucs incroyables quoi ! Donc je vais jusqu’au bout en lui demandant s’il voudrait participer au disque. Il me répond qu’on lui a demandé plein de fois de le faire mais qu’il ne l’a jamais fait… mais que pour nous il le fera !
On l’a laissé dire ce qu’il voulait dans l’introduction du EP, on lui a simplement demandé de rappeler un peu qui il était, d’ailleurs il l’a un peu pris genre “mais !? tout le monde sait qui je suis”… Il nous a aussi rappelé qu’il fallait normalement payé pour ça… J’y suis allé franco lui disant que nous n’avions pas prévu quoi que ce soit pour cela, et il nous l’a fait sans rien demander en retour. Il a juste envoyé un dernier mail après avoir reçu le EP, nous disant que les sons qu’il entendait étaient « amazing », que c’était simplement énorme….. une aventure, ou plutôt une histoire extraordinaire, nous qui n’avons rien en poche, mis à part nos experiences, notre volonté et notre passion pour cette musique.
« Hip-Hop is not a product, Hip-Hop is you and me… », voilà…
Propos recueillis dans une interminable nuit du mois de mai 2015 qui aura eu raison de la mémoire interne d’un dictaphone…