Reparti pour un tour avec Tom Brenneck, Luca Sapio refait le voyage Italie-Brooklyn pour prolonger l’expérience de la soul bluesy analogique. Tout n’avait pas été dit en un album, les deux hommes devaient aller plus loin et explorer encore…
L’INTERVIEW
Qui est Luca Sapio ?
Mes grands-pères étaient musiciens classique, j’ai donc eu une éducation musicale plutôt bonne. Dès l’enfance, j’ai eu la chance d’entendre beaucoup de jazz surtout 50’s car mon père était, et est toujours, un gros collectionneur de disques. Par la suite, je me suis mis aussi à écrire et à composer avec l’idée de comprendre comment on faisait une chanson du début à la fin. Evidemment, je n’en avais absolument aucune idée, mais j’essayais… C’était une sorte de défi pour moi qui petit à petit à commencé à porter ses fruits si bien que j’ai décidé de partir aux Etats-Unis. J’ai vécu 5 ans à Los Angeles où j’ai appris l’enregistrement, je travaillais dans le studio où officiait David Bianco (NDR – célèbre ingé son : Mick Jagger, Ozzy Osbourne, Santana, Rage Against The Machine…), là j’ai pu apprendre comment placer les micros, ce genre de choses… Quand mon visa a expiré, j’ai été dû retourner en Italie où j’ai intégré Quintorigo, un groupe meanstream très connu. C’était une configuration assez bizarre d’ailleurs : il y avait une contrebasse, un violon, un violoncelle, un saxophone et du chant… Au départ, c’était plutôt un groupe de rock mais l’album que j’ai fait avec eux avait plus une vibe blues. Sur ce disque, il y avait aussi l’actrice Juliette Lewis qui chantait deux morceaux. Et puis j’ai eu envie de faire mes propres trucs, quelque chose qui me représentait à 100 % donc j’ai quitté le groupe. Et c’est comme ça qu’on arrive à Who Knows.
Que tu réalises avec Tom Brenneck, comment est-ce que vous en arrivez à travailler ensemble ?
J’étais fan des trucs de Sharon Jones et je savais que Tom était aussi sur d’autres projets comme les Budos puis qu’il avait finalement quitté les Dap-Kings pour se concentrer sur Menahan Street Band et Charles Bradley. J’ai eu son contact par Jared Tankel (NDR : sax baryton du Budos Band) qui m’a conseillé de lui envoyer mes démos tout en me précisant bien que Tom et internet, c’est parfois difficile et que je risquais de ne pas avoir de réponse ou alors dans très longtemps. Un jour, j’ai vu qu’il passait à Anvers avec Menahan, j’ai donc pris un billet d’avion et j’y suis allé pour le rencontrer :”Salut Tom, je suis Luca Sapio, le mec qui t’a envoyé des maquettes”. On a commencé à parler puis il a écouté mes chansons avant de me dire “Ok, viens au studio en janvier, on enregistrera ton album”. Il s’est montré très cool, ouvert, sans préjugés sur le fait que je sois Italien et pas de la scène New-Yorkaise.
Qu’est ce que tu recherchais exactement en insistant à ce point pour faire ton album avec lui ?
Je suis un grand fan de blues, Bobby Blue Bland, Howlin’ Wolf et aussi tous les classiques de chez Chess, mais je voulais qu’il y ait aussi un peu de psychédélisme, c’est pour ça que pour moi Tom était la personne idéale. Mon but était de connecter cette face psychédélique de la soul qu’on appelle parfois black rock avec mon propre style et la façon dont j’écris mes chansons. Je vais avoir tendance à me concentrer sur les refrain avec une approche classique couplet/refrain/pont, je savais que Tom allait apporter le côté psyché en y ajoutant du delay, de l’écho, etc…
Du coup, il a vraiment mis son empreinte sur Who Knows, sa patte est très présente sur l’album…
C’est vrai mais je n’ai aucun regret là dessus. Il faut aussi se rappeler que lorsqu’on a enregistré Who Knows, Tom était au début de sa carrière de producteur et qu’en plus, on ne disposait pas d’énormément de temps. Tout a été fait en une semaine et Tom s’est retrouvé à jouer la basse et la guitare en plus d’être l’ingé donc, oui, il est très présent sur ce disque. Encore une fois, je n’ai aucun regret mais c’est aussi pour ça que pour ce deuxième album, j’ai décidé de venir à New-York avec tout mon groupe. Le fait qu’on soit tous ensemble, sans guest, permet de conserver mon identité.
Mais ça ne t’a pas empêché de faire ce nouvel album avec lui !
On est devenu amis depuis, on parle toujours musique, instruments, techniques… des genres de nerds quoi. Parfois il débarque avec des idées qui sur le coup peuvent paraître un peu bizarres mais au final elles s’avèrent toujours bonnes. C’est pour ça que je n’envisageait même pas de travailler avec quelqu’un d’autre. Il reste celui qui derrière la console ajoute la magie et l’émotion. Il fait ce que Willie Mitchell faisait avec Al Green ou ce que Gabe Roth fait avec Sharon Jones.
Who Knows était fait sous le nom de Luca Sapio and Capiozzo & Mecco, Every Day Is Gonna Be The Day sous celui de Luca Sapio & The Dark Shadows, où est la différence ?
Au départ, nous étions trois : Christian Capiozzo à la batterie, Mecco Guidi à l’orgue, et moi. Ces deux dernières années, on a intégré un bassiste et un guitariste, c’était donc important pour moi de changer de nom de manière à en faire des membres du groupe à part entière. On est devenu The Dark Shadows.
Le nom du groupe a changé, mais l’approche musicale aussi. Les cuivres ont disparu par exemple….
J’ai voulu faire quelque chose de nouveau, quelque chose d’original qui change un peu de tous les groupes retro-soul. C’était évidemment un vrai défi de faire ce disque sans cuivres, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a décidé d’y mettre plus de voix en intégrant un trio féminin sur les harmonies. On voulait faire quelque chose dans l’esprit de ces vieux labels indépendants du sud des Etats-Unis où les cuivres étaient souvent remplacés par des choristes. C’est une attitude un peu gospel qu’on a voulu mettre dans l’album et qui le fait sonner différemment. Quand on a enregistré les choeurs sur Who Knows, les chanteuses n’étaient pas des chanteuses professionnelles, plutôt des amies qui venaient au studio un peu bourrées à 2 H du matin pour poser leurs parties…
Ca sonne aussi plus live…
La différence c’est que, cette fois, Tom n’a eu qu’à rester derrière la console. Pour Who Knows, on n’avait d’abord fait des sessions avec la batterie, le clavier et la basse jouée par Tom qui ensuite devait faireles overdubbs de guitare, de cuivres etc… Cette fois, on avait tout le groupe qui jouait ensemble et qui enregistrait ensemble. Même les percussions ! Kaito Sanchez, le batteur des Extraordinaires est venu nous rejoindre un nuit pour jouer des congas et enregistrer avec nous dans la même pièce.
Encore un album avec Tom et tu le liquides ?
Pas sûr… L’avantage de travailler avec lui, c’est que je peux rester concentrer uniquement sur ce que j’ai à faire moi, sans avoir à donner des indications aux autres. C’est Tom qui s’en charge. On écrira forcément le troisième volet de la Saga Sapio ensemble ! (rires). Ce qui ne m’empêchera pas pour autant de collaborer avec d’autres artistes. Cette année j’ai monté mon propre label et je commence à produire d’autres artistes notamment Baba Cissoko, un bluesman Malien, et Martha High dont je réalise le prochain album qui sera très sweet soul.
Ton label s’appelle Good Fellas, c’est très mafia comme référence (titre original des Affranchis de Scorcese), c’est toi le Parrain ?
Disons qu’on essaie d’exporter notre Italian Touch mais c’est dur parce que notre réputation en dehors du pays n’est quand même pas terrible !
Propos recueillis en mars 2015.