AKHENATON : SCIENCE DE LA RIME

Des centaines de titres enregistrés, des classiques empilés jusqu’au plafond, une consommation de stylos et de feuilles qui pourrait lui valoir un contrat de sponsoring avec Bic et Clairefontaine : AKH, le stakhanoviste de la rime foudroyante est de retour avec « Je Suis En Vie », son cinquième album solo. Une cinquième exploration de la face intime, ombragée et ombrageuse du pharaon au micro d’argent.

 

L’INTERVIEW

 

Les rumeurs disent que tu es devenu Parisien..

C’est à moitié vrai… Ma famille est installée à Paris mais je fais l’inverse des Parisiens : je travaille à Marseille et je monte le week-end à Paris. Vu qu’on travaille en groupe et que le groupe est à Marseille, que ce soit pour les répétitions, la composition ou l’écriture, ça se fait toujours là-bas. En général, les périodes musicales sont Marseillaises, les non-musicales sont Parisiennes. Ma femme est Parisienne et mes enfants, tout en se sentant Marseillais jusqu’au bout des doigts, préfèrent le mode de vie Parisien.

Est-ce que du coup, tu reconnais Zlatan comme ton seul et unique Dieu ?

Mais pas du tout ! Ca m’a fait l’exécrer ! Mais ce que beaucoup de gens ont compris contrairement aux énervés non contrastés des blogs c’est que j’ai énormément de potes  qui supportent le PSG et c’est pour moi des super moments de rigolade ! Je pourrais te montrer : mon téléphone est rempli de vannes et de photos à la con et les PSG-OM sont toujours des grands moments, des fois ça m’arrive de regarder le match ici avec que des supporters du PSG et ça arrive que eux descendent à Marseille dans un environnement complètement hostile, malgré ça on reste les meilleurs amis du monde ! C’est juste qu’ils ont des goûts de chiottes en matière de foot… Mais une fois que j’éteins ma télé le match est terminé.

Pour commencer à parler musique, qu’est devenu Me-Label ?

C’était pour moi une super expérience qui commence à être repris par des majors compagnies mais version “avec du pognon”. Ca m’a permis de tester des choses mais économiquement c’était pas viable, j’équilibrais à peine voire je perdais un peu. Je veux bien faire de la musique et ne rien gagner mais perdre dessus non, ça me dérange de payer pour faire de la musique. Je n’ai pas détruit Melabel, le site a arrêté ses activités et j’ai mis l’expérience en stand-by. Je trouve ça dommage car être en prise directe avec des fans abonnés qui avaient un morceau par mois en multi-tracks sur lequel ils pouvaient faire des remix, ça encourageait le “do it yourself”, le partage, le fait que les mecs me repostaient des morceaux où ils rappaient dessus ou alors des remix de mes morceaux avec une instru à eux. Tout ce principe de musique interactive, je trouvais ça super intéressant. J’ai arrêté beaucoup de choses ces dernières années pour des questions de temps et j’ai préféré me réorienter vers d’autres priorités et consacrer mon temps à faire de la musique. Entreprendre des choses aléatoires et risquées qui me bouffaient du temps, j’ai donné entre 20 et 45 ans, maintenant j’ai juste envie de faire du son, jouer les morceaux sur scène, travailler le beatmaking, faire des sons pour d’autres. J’aurais eu 5000 abonnés, Me Label continuerait encore certainement aujourd’hui mais avec les 2300 que j’avais, c’était trop juste…

 

T’as conscience que tu es le plus vieux rapper français en exercice ?

Mais IAM est un des groupes de rap les plus vieux au monde en exercice, beaucoup de groupes américains ont arrêté, nous on fait des disques depuis 1989, moi je rappe depuis 1984. C’est un honneur, ça veut dire qu’on a su respecter certaines choses dans la musique et qu’en même temps ont a réussi à se respecter nous mêmes. Les gens apprécient qu’on ait une forme d’intégrité envers eux et envers nous-mêmes. Pendant des années on nous a qualifié de groupe ingérable alors qu’on faisait juste respecter nos convictions.

Pour ce nouvel album, tu avais du stock sur lequel tu as mis un coup de propre ?

Non, je suis parti de zéro. En fait non, j’avais Souris Encore, un morceau pour ma fille et qui ne s’insérait ni dans Arts Martiens ni dans …IAM. C’était trop personnel, j’ai préféré le garder pour plus tard. J’ai 3 ou 4 titres en plus que ceux sur l’album, j’ai été très concis dans ce que je voulais faire mais j’ai beaucoup d’instrus en plus. Certains un peu trop compliqués, surtout un qui était du Twin Peaks mais j’ai pas réussi à écrire dessus en temps voulu. Structurellement il fallait faire autre chose.

En solo ou en groupe, vous ne faites plus de titres purement humoristiques comme Attentat, Harley Davidson, Achevez-Les

C’est peut-être parce que notre style de vie a changé. Avant on était sur les murs du quartier à se foutre de la gueule de tout le monde toute la journée donc forcément, quand tu rentrais écrire à la maison, tu étais plein d’idées, d’expériences et de rigolade ! Maintenant la rigolade c’est quand on se déplace avec IAM mais c’est vrai qu’on rit moins par rapport à la vie de quartiers où c’est permanent.

Tout l’album a été composé avec Sébastien Damiani, c’était une volonté de donner une homogénéité à l’ensemble plutôt que de faire appel à plusieurs producteurs et avoir une collection d’ambiances et de styles ?

C’est le reproche que je fais à Saison 5 d’IAM. Quand tu écoutes l’album, les morceaux sont bons, ils vivent individuellement mais ont du mal à vivre ensemble. Ca sonne plus comme une compile que comme un véritable album alors qu’on a grandi avec le band IAM, pas le groupe mais le band c’est à dire avec à l’intérieur du groupe, des gens qui font les sons. J’essaie de maintenir ça dans les albums solo et dans ceux d’IAM. On revient forcément avec des trucs beaucoup plus classiques, sans samples puisque ça devient impossible, mais en composant comme des samples. Du coup, ça sonne plus vintage.

Au début j’ai eu peur, j’ai cru que c’était composé par Gamani !

Mr Gamani aurait fait autre chose ! Il est très occupé en ce moment mais il risque de revenir bientôt !

 

Le titre Hi-Tech Love dénote un peu du reste puisqu’on ne t’y entend pas !

J’avais un couplet dedans que j’ai supprimé parce que, dans l’urgence où j’ai fait l’album, j’étais pas entièrement satisfait. J’avais deux volontés : conserver l’instru parce qu’il a ce côté époque Biggie, “doudoum… doudoum…”, le groove me plaisait, ça faisait une belle fenêtre dans l’album et c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai mis au milieu. Surtout , je voulais garder la voix de Meryem Saci présente dans l’album. Une super artiste qui chante en anglais, en français, en arabe, qui sait rapper.

Pourquoi tu parles d’urgence ?

Parce que je l’ai commencé et avril et que je l’ai terminé en août ! J’en ai terminé certains à New-York au moment du mix. En fait ça a commencé quand j’étais sur la tournée d’IAM, Def Jam m’a proposé de produire un album mais avec une seule fenêtre de sortie : novembre. Cet album est en fait le marche-pied du prochain IAM.

Comment ça ?

On a été resigné avec 2 albums. Donc ce solo, ou je le sortais dans leur timing, ou je ne pouvais plus le sortir. Au départ j’ai dit non, je trouvais que c’était n’importe quoi : j’étais en pleine tournée avec IAM, pas de le temps de bosser les instrus, les textes etc… Puis Aïcha [NDR : sa femme], puis des potes, puis des membres du groupe m’ont dit “ah ok… alors t’es ce vieux tigre avec les griffes limées c’est ça ? Tu t’embourgeoises…” Putain ! Tu connais les ritals, on a une fierté très mal placée, et je pense qu’au final c’est parti sur des trucs de gamins, de challenge ! Et puis ça faisait douze ans que je chouinais comme un gros con, à pleurer, à faire mes projets avec des bouts de ficelles en indépendant alors là qu’on me proposait de faire un album… tais toi ! et fais le !

Tes solos permettent de jauger ton état d’esprit du moment. Sur « Métèque Et Mat », on sentait qu’IAM était trop étroit pour ce que tu voulais développer mais sur « Sol Invictus » et « Black Album », on te sentait en pleine tourmente. Des albums denses, où tu rappes presque mécaniquement…

Beaucoup de gens n’ont pas compris ces albums à l’époque mais je connais des Sol Invictusiens, des gens qui ne jurent que par ces albums torturés et pas du tout par Métèque Et Mat. Et en même temps, des morceaux qui datent de cette époque comme Mon Texte Le Savon, New York City Transit, Entrer Dans La Légende, sont devenus de gros classiques, plus gros que ceux de Métèque Et Mat et qui pourtant ont été faits dans une période trouble. Sol Invictus aurait sonné de manière plus heureuse si il y avait eu Black Invictus, un mélange avec le Black Album. Mais c’était pareil pour Revoir Un Printemps, c’est des albums où je traversais une période noire de dépression et où même la thérapie du rap ne fonctionnait plus. Il y avait trop de trucs bizarres à cette époque…

 

« Soldat de Fortune » était plus festif dans l’ensemble, « Je Suis en Vie » est sérieux voire parfois désabusé…

Je me sens désolé pour des tas des gens. Toute cette amertume pourrait rester en moi mais je la sors dans mes textes donc elle n’y est plus. Ca me sidère combien les gens sont cons des fois et comment les mensonges qui leur sont racontés à tout bout de champ toute la journée arrivent à fonctionner. Il me semblait qu’on était plus cultivés que les américains non ? C’est pas ça qu’on vend au monde entier ? Tu parles…

James Brown revient souvent dans la discographie d’IAM, là un titre porte même son nom !

Il revient souvent pour deux raisons. La première, c’est qu’on a fait sa première partie en 1990 alors qu’on n’avait sorti aucun disque, il entre dans la loge avec sa femme et dit “tu as vu chérie ? Ca c’est mes enfants…” il nous verse une coupe de champagne chacun et nous dit “demain vous partez avec moi en tournée !”. Le lendemain on était dans l’avion avec les JB’s ! Complètement cinglé.. La deuxième, c’est qu’à l’époque de Saison 5, on fait le morceau Tu Le Sais et on a demandé l’autorisation de clearance de sample tout en sachant que James Brown ne donnait plus aucune autorisation pour sampler sa musique. Il nous l’a signé 3 jours avant de disparaitre. Faire un clin d’oeil à James Brown… A Billie Holiday, à Roberta Flack, à Donny Hathaway, à Isaac Hayes…

Tu fais un autre clin d’oeil, pour les puristes du rap New-Yorkais cette fois, c’est Highlanders et ses renvois à Broken Language de Smoothe Tha Hustla et Trigger Tha Gambler…

L’hommage est total ! Quand j’ai écouté ce morceau, ça a été une révolution technologique et on voulait leur rendre hommage comme quelque chose qui nous a lourdement influencé. Le rap a produit des pépites à cette époque, nous est le produit de tout ça et on est encore là aujourd’hui mais sans avoir le regard le rap c’était mieux avant.

Ton top 3 des meilleurs albums solo de rappers ?

Raekwon, Only Built 4 Cuban Linx. Numero Un ! Le 1er solo de Talib Kweli avec Hi-Tek.. en trois je te citerai encore un Wu-Tang : Liquid Swords de Gza. Et l’album de Prodigy HNIC !!

 

Tu achètes encore des disques ?

J’ai pratiquement 15.000 vinyles, j’ai racheté tout la collection de Hip Hop de Khéops qui s’en débarrassait par ce qu’il ne pouvait plus les stocker. Je voulais que ça reste dans la famille… J’achète minimum 7 ou 8 albums par mois, maximum 20 – 25…les autres membres du groupe m’appelle Amanazon, un mélange d’Akhénaton et d’Amazon !

 

Propos recueillis le 15.10.14

 

AJH_JeSuisEnVie