Mondkopf : « J’aime que les émotions soient fortes »

 

Sous l’égide du gardien des morts, Hadès, Mondkopf vient tout bonnement de renaître. Non pas qu’il ait flingué sa carrière pour s’offrir une nouvelle virginité mais depuis que sa muse ne traîne vagabonde plus dans les clubs, Paul Regimbeau a trouvé une inspiration en trop grand format pour la plupart des productions d’en France. Dramatique, volcanique et bichromé, le Mondkopf nouveau est brillant, nous devions nous entretenir avec le nouveau Mondkopf.

Il serait aisé de penser que tu as pris un tournant lors de Rising Doom et que ça se complète sur ce nouvel album. Mais j’ai plutôt le sentiment que tu entames une nouvelle phase avec Hades.

Ouais. Il y a un écart entre Rising Doom et Hades, c’est deux choses différentes. Rising Doom c’est la clôture de quelque chose et Hadès c’est le début de nouvelles bases sur lesquelles j’avais envie de partir. J’ai jamais trop envie de prévoir ma musique, je la laisse se diriger d’elle même mais je considère vraiment Hadès comme un nouveau départ, effectivement.

Dans un premier temps, c’est surtout l’orientation club qui disparaît ici ?

Oui, je m’en suis un peu désintéressé naturellement, du coup Hadès est moins dancefloor-friendly par rapport à Rising Doom. .

Et Hadès semble dans la continuité de ce que tu avais entamé chez Perc. C’est après avoir sorti sur Perc Trax que tu as pris ce tournant ou c’est parce que tu avais commencé à le prendre que Perc s’est adressé à toi ?

Non, Perc était venu me voir après Ease Your Pain, l’EP que j’avais sorti sur mon label et il m’avait demandé un remix. J’en avais proposé deux et il les a pris. Du coup, tout ça a découlé sur un EP, The Nicest Way, puis j’ai commencé à produire quelques titres qui se sont finalement transformés en Hadès. Mais l’album ne ressemblait pas du tout à ça à l’origine, c’est bien plus tard que j’ai commencé à avoir une base sur laquelle continuer à bosser. Entre temps, Perc Trax ayant eu des problèmes financiers, j’ai choisi de le sortir sur In Paradisum. C’est un mal pour un bien, je suis très content de le sortir sur mon label et je garde de très bonnes relations avec Perc Trax, ce sont des choses qui arrivent et que je comprends, j’ai un label…

Il aurait eu une esthétique différente s’il était sorti chez Perc ?

Non ça aurait été globalement le même. Peut-être pas l’artwork mais au final j’ai dû retirer un morceau pour pouvoir le contenir dans un vinyle. C’est le premier album que je sors à paraître en vinyle. Je suis très content.

Et pour revenir à cette esthétique, tu l’as planifiée ou elle est arrivée progressivement ?

C’est arrivé progressivement. C’est en trifouillant mes machines  –  comme beaucoup de monde, je pense – que je suis tombé sur des textures que j’aimais, notamment les trois morceaux Hadès, qui étaient ma structure de base pour commencer à travailler autour. Après j’ai composé les autres morceaux que j’ai accordé via la tracklist pour donner une trame narrative à l’album. Ça n’était pas prévu à l’origine, c’est vraiment au moment du tracklisting que je me suis mis à créer ce scénario. C’est quelque chose que j’aime beaucoup dans un album, d’ailleurs – et c’est pour ça que j’aime beaucoup le format album : pouvoir mettre en place un scénario.

Est-ce qu’on pourrait même y voir un requiem moderne autour d’Hadès ?

Ho, je n’ai pas cette prétention ! (rires) Mais comme dans le requiem, il y a un scénario, c’est ce que j’aime dans le genre, cette trame développée, donc en effet,  ça a pu m’inspirer de ce point de vue là.

D’ailleurs le nom de ton label est inspiré d’un Requiem de Fauré – c’est le dernier chant accompagnant un défunt – et Hadès est le maître des Enfers… la vie sur Terre c’est pas quelque chose qui ne t’inspire pas en fait ?

(Rires) Finalement non, c’est vrai, parce que j’y vis et moi je m’intéresse à l’imaginaire, c’est ce qui m’inspire. J’aime traduire des images que j’ai en tête plus que des situations quotidiennes ou autres. C’est bien que tu parles de Requiem parce qu’il y a ce côté ascensionnel, on débute sur Terre et ça se termine au Paradis. Et c’est quelque chose que j’ai voulu transmettre sur Hadès, les premiers morceaux sont assez étouffants et ils deviennent de plus en plus lumineux. Donc c’est vrai que l’album s’appelle Hadès mais ça raconterait peut-être plus comment sortir de l’Enfer.

C’est un peu le sequel d’Hadès en fait…

(rires) Oui on peut voir ça comme ça.

Et tu t’es documenté sur le mythe pour composer l’album ?

Non pas du tout mais ce sont des souvenirs d’enfance en fait. Petit, j’adorais tout ce qui était et religion Grecque antique, les Dieux qui s’entretuent ou couchent ensemble. Et je ne sais pas pourquoi, ça m’est revenu dès les trois premiers morceaux, je trouvais que ça collait parfaitement à l’atmosphère, ça m’évoquait plein de choses. Mais c’est plus à l’auditeur de composer sa propre histoire, je ne voulais pas imposer quelque chose de trop précis non plus. Je voulais trouver une ligne directrice entre chaque morceau au sein d’un ensemble un peu chaotique.

Et il y a quelque chose de très cérémonieux dans cet album, c’est un effet recherché ?

Non, par moment j’aimerais même être moins cérémonieux (rires). Ça ne me dérange pas que la musique soit cérémonieuse et même s’engage dans la grandiloquence mais uniquement lorsque ça sert l’émotion. Pas pour appâter l’auditeur ou le conforter, j’aime que les émotions soient fortes. Donc lorsque je fais de la musique, c’est comme ça qu’elle sort. Peut-être que parfois j’aimerais un peu retenir la chose pour élaborer un peu d’ambiguïté…

Et en parlant de la manière dont la musique vient à toi : il y a quelque chose de cathartique dans ton travail ?

Oui, bien sûr, surtout en live, toute l’ampleur cathartique ressort, je sens physiquement le son, et je considère que la musique est faite pour ça, du moins pour moi : pouvoir évacuer beaucoup de choses retenues. Je ne vois pas qui fait de la musique sans avoir ce côté cathartique… Du moment que tu crées quelque chose, je pense qu’il y a catharsis.

Je suis d’accord mais parfois l’idée prévaut et elle devient la ligne directrice de la composition. Comme dans un concept album par exemple. Par exemple, je me souviens de The Haxan Cloack à qui j’avais posé une question semblable et lui me disait qu’il n’y avait rien de cathartique, il voulait élaborer une OST d’un film qu’il a en tête.

Oui, mais du coup ces idées font parties de lui, et elles peuvent très bien traduire ou évacuer un sentiment en lui. Pourquoi ces idées ? Mais c’est un débat compliqué, c’est beaucoup dans le ressenti pendant l’élaboration et puis c’est délicat à expliquer, c’est peut-être pour ça aussi qu’un artiste à l’air un peu bête en interview (rires), on n’arrive pas à avoir beaucoup de discours là dessus. Ou alors ceux qui en ont un, l’ont préparé ou galvaudé et il n’est plus très sincère, je ne sais pas. En tout cas – et c’est peut-être pour ça que je ne suis pas très bon en interview – je ne parviens pas à me l’expliquer. Et tant mieux en fait. Si je pouvais me l’expliquer, je le démystifierais, j’aurais les codes et je veux que ma musique reste une surprise.

Tu sais, d’un autre côté, ce qu’on appelle le bon client ou du moins ceux qui paraissent très à l’aise en interviews le sont d’expérience et finissent par stéréotyper leur réponse…

C’est le côté pervers des interviews, à force de répéter les choses, tu t’en détaches et c’est un peu malheureux. Après moi ça me fait plaisir d’en faire, je suis hyper heureux de produire une musique qui touche et que l’on vienne à moi pour en parler, jamais j’aurais pu imaginer une chose pareille.

Et pour en revenir à ce que l’on se disait tu planifies beaucoup ce que tu vas composer, tu sais où tu te diriges ou alors ça se révèle à toi pendant que tu composes ?

Je peux avoir des idées très techniques en tête, j’ai ce son, cette rythmique qui vient à moi et puis je vais commencer à la créer en voyant où ça va me mener. Je n’ai pas l’idée d’un morceau entier en détails, j’ai plus des bribes d’idées, deux ou trois, que je vais confronter dans un morceau en voyant où ça me mène. Du coup je peux avoir une idée qui m’amène vers quelque chose de complétement opposé. En fait, je laisse la chance à la musique de se créer, si tu vois ce que je veux dire.

Oui très bien. La musique s’écrit d’elle-même…

Oui c’est un peu ça

Cause & Cure MONDKOPF from AS HUMAN PATTERN on Vimeo.

Et tu considères que le drone ou le doom ont changé ta façon de composer ?

Oui carrément. Ça m’a permis de connaître de nouvelles notes, de nouveaux accords déjà, donc rien que techniquement ça m’a influencé. Mais je n’essaie pas de recréer cette musique, certains le font très bien, moi j’essaye de m’approprier certains codes, d’en tirer ce qui me correspond au plus près.

Et je pense un peu à autre chose mais tu vois des fans de metal du coup dans tes concerts ?

Dans mes concerts ? Oui il y en a quelques uns, ça arrive j’en vois et ils viennent me parler de temps à autres, me dire que ma musique leur parle. Bon, généralement il y en a deux, trois. Quand je fais des mixtapes ou que je poste des morceaux sur mon Tumblr, j’en vois réagir si c’est du metal. Après je recherche pas ce public en particulier (rires) il arrive naturellement.

Du coup, il y a une phrase dans une chronique de ton album que je trouve très juste, elle est d’Olivier Laam de The Drone : « Hadès est un album qui s’adresse à un public qui n’existe pas encore« . C’est très pertinent, qu’est ce que ça t’évoque à toi ?

Je dois admettre que je ne savais par quel bout la prendre au début cette phrase (rires). Tu peux le comprendre comme « personne ne peut écouter sa musique pour l’instant » mais après réflexion, oui ça m’a plu, évidemment. Après je réfléchis vraiment pas à quel public j’ai, sinon ça biaise ma musique, ça l’oriente. Mais j’aime bien ça, ça entend que c’est une musique large, que ça ne s’inscrit pas dans une chapelle même si tu peux toujours la ranger quelque part, on parvient toujours à catégoriser une musique. Mais si ça a l’air difficile, moi ça me va (rires). J’ai envie d’un public ouvert de toute façon.

Et en parlant de public, je me demande comment cet album va être traduit sur scène, tu y as pensé j’imagine.

Oui, même si j’attendais la sortie de l’album, j’ai commencé à le tester sur scène avant sa sortie et ça s’est passé un peu bizarrement parce que les gens ne s’attendaient pas à ça. Je l’ai pris de court mais maintenant que l’album est sorti, j’ai hâte de voir comment le public va réagir.

C’est une question que l’on a déjà abordé par le passé ensemble mais on a beaucoup parlé l’an dernier – qualifions ça comme ça – d’un « printemps de la techno Française » avec les Concrete, Die Nacht, SNTWN et compagnie, niveau évènements et puis des labels comme le tien ou DEMENT3D et Antinote, pour la création. Et je me demandais si à l’échelle esthétique, avec des sorties comme Hadès ou le Garifuna Variation de Low Jack, un son Français, une scène avec une esthétique précise est en train de se dessiner.

Je ne pense pas que ça soit propre à la France pour le coup. Je pense surtout que maintenant le public a les bagages pour apprécier toute cette musique. Depuis trois ans, il se passe quelque chose mais pas qu’en France, parce que tous les artistes affiliés à la techno inspirée drone ou doom commencent à se faire une place maintenant en France mais c’est surtout parce que le public est aujourd’hui réceptif. Du coup, parler d’un son à la France, j’ai pas l’impression. Au contraire, je sais même que Low Jack comme moi, on n’a pas envie de faire un son à la Française. Même si c’est intéressant de pouvoir poser géographiquement la musique. Ça indique pas mal de diversité dans la carte de la création. Si on a l’impression que la France est de plus en plus fournie de ce genre d’artistes, c’est aussi qu’Internet fait effet loupe. Et puis les labels étrangers commencent vraiment à s’intéresser à ce qu’il se fait en France dans cette esthétique là mais je ne dirais pas qu’il y a un mouvement ou une scène.

Terminons là dessus : tu as une musique très imagées, on parlait de trame narrative forte tout à l’heure et est-ce que justement poser ta musique sur des images, c’est quelque chose qui t’intéresse ?

C’est même quelque chose qui va se faire ! Il y a un film qui va sortir dans le courant de l’année et qui m’a commandé un titre. Et puis il y a un réalisateur danois qui souhaiterait utiliser des morceaux anciens pour un de ses films. Et j’ai été aussi approché pour des projets divers type ballets… Il faut encore que je vois le projet avant d’accepter. Mais donc oui c’est quelque chose qui m’intéresse. Après sur le plan technique je suis un peu jeune, je manque d’expérience, j’ai encore à apprendre parce qu’une B.O c’est quelque chose de très précis, c’est assez complexe, il faut laisser son aspect le plus artistique de côté pour mettre sa musique au service d’une action. Et je ne sais si c’est quelque chose que j’ai envie de faire maintenant, j’ai mon projet Mondkopf, j’ai envie de le développer et si je fais une B.O ça sera donc sous un autre nom que Mondkopf. Sauf si le réalisateur veut vraiment la musique de Mondkopf mais comme il y a toujours des producteurs derrière ils veulent le nom Mondkopf sur une musique qui n’est pas la mienne.

Et tu as beaucoup de demandes de clips j’imagine.

Oui beaucoup mais en général, je les refuse. Et même quand j’accepte je suis un vrai control freak, je ne veux rien laisser sortir sans avoir travaillé dessus, j’ai besoin d’un vrai dialogue avec le réalisateur qui accepte mes remarques, je veux que ça soit une collaboration En général, je fais très attention à l’image de ma musique.

pix1.Yann Stofer

© Photos : Camille Collin (header) Yann Stofer(footer)