Si l’on oublie les Castafiore casse-pieds type Lorde ou essoufflées à la Sky Ferreira, 2013 aura vu sortir des eaux deux divas du növo- R&B en les personnes de Kelela (chez Fade To Mind) et Jessy Lanza (pour Hyerdub). L’occasion fait le larron, la seconde passait il y a peu à la Flèche d’Or, nous nous devions de rencontrer Jessy Lanza, clairement une des révélation de 2013 catégorie Experimental R’n’B, dont le joli premier album, « Pull My Hair Back« , est sorti récemment chez Hyperdub.
Tu viens de Hamilton, au Canada. Y a-t-il une scène musicale importante?
Oui, il y a une grosse scène hip hop mais je n’y suis pas vraiment impliquée. Du côté de l’électronique, ce n’est peut-être pas comme Toronto ou Montréal mais il y a eu pas mal de trucs depuis les années 90.
Quelle est la transition entre tes études de jazz, voix et piano, et toi, programmant tes beats derrière un ordinateur et expérimentant sur ta voix ?
J’ai toujours voulu faire du R’n’B, depuis que je suis gosse. Le recours aux machines est dû surtout à la difficulté de dénicher et de garder les bons musiciens, bassiste comme batteur. Quand je dis « bons », c’est techniquement parlant mais aussi des gens qui s’accordent bien avec là où je veux aller avec ma musique. C’est finalement toujours plus facile de tout faire soi-même. Je trouve ça même plus fun : faire sonner tous ses arrangements exactement comme et quand je veux, sans avoir à trouver et appeler quelqu’un pour qu’il vienne enregistrer avec moi.
Et pour le futur, cela ne te brancherait pas de jouer avec un « vrai » groupe et d’expérimenter avec d’autres personnes ?
Tout d’abord je n’ai pas l’impression d’être un « faux » groupe (rire). Toute seule, avec mes machines autour de moi, je pense m’en sortir déjà pas mal. Mais, oui, un jour j’aimerais bien avoir des gens autour de moi se lâchant sur des batteries électroniques. Pour l’instant ce n’est que le début pour moi, il faut être économiquement réaliste.
Peux-tu me raconter en quoi consistait le boulot de Jeremy Greenspan (moitié du duo électro Junior Boys) sur ton album ?
Il a co-écrit et co-produit l’album. Au début notre collaboration s’est surtout faite par échange de mails, l’un travaillant sur une idée avant de la soumettre à l’autre qui la modifiait et ainsi de suite.
Combien de temps a duré l’écriture de cet album ?
Quelques années… A un moment donné, les Junior Boys sont partis en tournée et cela a mis l’album un peu en stand-by. J’ai continué à bosser dessus jusqu’à qu’être finalement obligé d’attendre le retour de Jeremy.
C’est marrant, vu la cohérence sonore ou dans l’écriture, ce premier album ayant une personnalité vraiment forte, je pensais que tout s’était fait assez vite…
J’aurais préféré ! En fait, toute cette cohérence s’est jouée à la toute fin, en studio où pour conserver cette personnalité sonore et cette texture particulière, nous avons énormément retravaillé et édité les 15 titres initialement retenus, cela pour arriver finalement aux 9 présents sur l’album.
Lire après avoir écouté ton album que l’un de tes disques préférés est « Lifestyles Of The Laptop Café » de The Other People Place, moitié de Drexciya, fait sens, je trouve…
Oui c’est vrai, cet album a vraiment été une influence importante pour moi et un important point de référence pour « Pull My Hair Back« , cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la musique y est entièrement électronique et faite sur synthétiseurs et boite à rythmes, il n’y a pas d’instrument acoustique. C’est la façon dont Jeremy et moi avons procédé pour cet album, en utilisant d’ailleurs le même type de matériel et logiciels pour synthétiseurs. Et puis j’ai vraiment été marquée par ce principe de combiner des styles différents : The Other People Place mixe ainsi l’électro de Détroit et House music pour arriver finalement quelque-part qui n’est ni l’un ni l’autre. C’était également ma vision de mon album : pas complétement du R’n’B ni vraiment de la dance Music.
Tu écoutais déjà beaucoup de musiques électroniques avant de rencontrer Jeremy Greenspan ?
Oui, pas mal. Forcément moins que Jeremy qui mixe déjà depuis quelque-temps. En tout cas j’ai toujours aimé la dance-music.
Comment tu t’es retrouvée chez les londoniens de Hyperdub ? Vous avez envoyé des mails Facebook, une cassette démo vintage ?
(rire) Non, on n’a pas envoyé de démos à Hyperdub. Cela aurait été marrant mais je ne suis pas vraiment sûre qu’ils écoutent les caisses de mp3 ou de CD démo qu’ils reçoivent chaque mois… En fait Steve Goodman (aka Kode9, le boss du label) est un bon pote de Jeremy. Après un show, Steve a demandé à Jeremy sur quoi il bossait en ce moment. Jeremy lui a alors fait écouter notre boulot en lui disant que, vu le type de musique, il ne voyait pas pour l’instant qui serait prêt à signer un tel album. Heureusement, c’est à ce moment que Steve a répondu qu’il voyait très bien qui pouvait nous signer. Cela rentrait pour lui complétement dans la direction de son label.
Te sens tu connectée, musicalement parlant, à certains artistes du label ? Ta musique est quand même bien différente du style général. Tu es un peu comme la réponse ultra-sophistiquée de Hyperdub à la tendance Experimental R’n’B du moment non ?
Merci pour le compliment. J’ai fait cette collaboration avec Ikonica que j’ai pu rencontrer lors d’un festival de musique électronique au Canada. Mais il y a d’autres artistes comme par exemple Mark Pritchard ou Hype Williams qui, même s’ils ne font pas du R’n’B pur et dur, sont très influencés par ce style. Finalement la plupart des signatures viennent d’une planète pas si éloignée de celle R’n’B.
Pour le Guardian, tu fais partie des futurs superstars de l’Experimental R’n’B. Penses-tu qu’une superstar de ce style puisse accéder au niveau de notoriété d’une superstar de R’n’B mainstream ?
Oui, peut-être… Par exemple, Kelela commence vraiment à percer. Vu comment le mouvement s’est accéléré, je pense qu’on peut vraiment s’attendre à voir quelqu’un devenir une superstar en poussant le R’n’B dans des tranchées jamais entendus. Et puis bon, il existe quand même déjà aujourd’hui des formations super connues dans le genre, comme The Dream par exemple, qui est à mon avis quand même pas mal mainstream.
Genre qui sera le Timbaland des années 2010 ?
(rires)Je ne sais pas ! A mon avis The Dream est pour l’instant celui qui s’en rapproche le plus mais c’est sûr que le ou la future boss mainstream ne va plus trop tarder à débarquer !
Amener ton album sur scène, en live, était un challenge ?
Oui, un peu, car je ne peux effectivement pas tout gérer sur scène. Je suis déjà super occupée ! Utiliser des séquences de batteries sur Ableton m’aide donc énormément.
Est-ce qu’on peut espérer te voir collaborer avec d’autres artistes dans un futur proche ?
Oui, il devrait y avoir quelques trucs en fin d’année mais je ne peux pas t’en dire plus, ce n’est pas encore gravé dans le marbre. Je travaille sur des nouvelles chansons ainsi que sur de nouvelles collaborations.
Tu comptes prolonger ta collaboration avec Jeremy Greenspan ?
Oui, on bosse super bien ensemble. Tant qu’on sera content de notre boulot, je pense qu’on continuera à travailler ensemble. Histoire de bien traire cette vache à lait créative jusqu’au bout ! (rires)
Cette nouvelle vague R’n’B, c’est un peu un truc d’adultes jouant avec les codes musicaux fétiches de leur adolescence, non ?
Oui, c’est vrai, il s’agit un peu de rechercher les émotions qu’on a ressenties étant teenager voire enfant. Pour être honnête, je suis à fond sur le R’n’B mainstream depuis mes dix ans. Il y a eu une résurgence de la disco, c’est maintenant au tour du R’n’B d’être revisité par ma génération.
Tu as une utilisation minimaliste et très en retenue, mais ultra-efficace, de ta voix. Comment ce style t’est venu ?
N’étant pas la chanteuse la plus confiante du monde, j’essaie toujours en écrivant mes paroles de faire attention à ne conserver que les choses accrocheuses et de bien intégrer ma voix dans les arrangements. Je n’ai pas une voix show-off donc je ne veux pas en faire trois tonnes.
Entretien réalisé par Alexandre Beguin