Legowelt : « Je pourrais produire deux titres par jour sans même sortir de mon lit »

Legowelt, alias Danny Wolfers, alias Polarius, alias Nacho Control, alias Squadra Blanco, et la liste est encore longue, c’est un peu le génie schizophrène de la planète électro. Fils de Detroit comme de Chicago, il est un des fiers représentants de la mystérieuse et si florissante scène de la Hague dans les années 90. Presque vingt ans plus tard, et plus d’une douzaine de projets différents sortis, le vieux loup hollandais est encore là, aussi underground qu’à ses débuts, mais bel et bien là. Alors qu’il jouait cet été sur la plage de Bidart pour le festival Baleapop on lui a demandé s’il croyait encore en cette idée de « scène ». Rencontre. 

Tu as commencé à faire de la musique sur un vieil ordinateur Amiga c’est ça ? Tu te souviens de ce moment là ?Oui, c’était quelque part au début des années 90. J’avais ce logiciel, Noisetracker, sur une disquette, je n’avais aucune idée de ce que c’était, tout ce que je voyais c’était cette grille de LED déclinée aux couleurs du coucher de soleil. Et ces LED sautillaient au dessus de rangées de chiffres hexadécimaux énigmatiques qui défilaient. Et tu pouvais jouer avec les samples, j’ai vite appris à créer des rythmes et des lignes de basse, il y avait même ce sample qui s’appelait XTC (diminutif du principe actif de l’extasy)… tous les samples venaient de ce disque. J’étais tellement ébahi que j’ai fait un morceau avec ces samples sur mon Amiga, je dois encore l’avoir sur une cassette quelque part…

Ta première inspiration pour composer, la house non ? Tu te souviens d’artistes en particulier ?

C’est difficile à dire, il y avait tellement de morceaux à la fois étranges et cools qui circulaient à l’époque, c’était une aventure complètement nouvelle. Et l’idée que je pouvais faire tout ça depuis ma chambre sur des machines bon marché était très excitante. C’était partout à l’époque, sur toutes les stations de radio, que ce soit les officielles ou les radios pirates, même à la télévision ! Sur MTV, ou même d’autres chaines, tu pouvais tomber sur des clips complètement délirants au beau milieu de la nuit, des documentaires sur le TB303 (synthé/séquenceur Roland), ce qui est quelque chose de difficile à imaginer aujourd’hui.

Et Unit Moebius, ça t’a beaucoup inspiré non ?

Oui, je crois que ça vient de leur attitude punk au concept « DIY » (Do It Yourself, « Fais le toi-même » en français), mais aussi de leur musique déjantée. Unit et Bunker sont des inspirations essentielles dans ma carrière.

Tu as l’impression qu’il y a un son spécial à La Hague, comme on pourrait parler du son de Detroit ou de Chicago ?

Aujourd’hui ? Plus autant qu’avant non, mais dans les années 90, bien sûr, ça a commencé avec Bunker et Unit Moebius, c’était encore très Detroit et Chicago à l’époque, mais sur le tard. Puis ça a évolué vers quelque chose de plus « unique » avec Acid Planet par exemple. Puis il y a eu cette phase très dark avec les tracks de I.F., Space Invaders Are Smoking Grass, Electronome (même s’il n’était pas originaire de La Hague), tous ces trucs qui sortaient de La Hague sur des labels comme Hotmix, Interferrence, Viewlexx, Mudercapital, etc.

Et la scène hollandaise, aujourd’hui, elle va comment ?

Il n’y en a pas vraiment. Enfin, on a des labels forts comme Clone et Rushhour, puis tous les nouveaux trucs qui sortent de La Hague comme Intergalactic FM, mais ce n’est pas comme si on avait des soirées tous les weekends avec des djs résidents. Aujourd’hui, la scène de La Hague est une scène mondiale.

Toi tu gardes un œil sur quelle scène en ce moment ? La scène roumaine ? Polonaise ?

Aucune d’entre elles en fait. Comme je te disais, pour moi l’idée de scène n’est plus aussi importante aujourd’hui qu’elle l’était avant dans la création de musique. Je crois qu’aujourd’hui tout repose sur des individus en eux-mêmes, qui viennent de partout dans le monde et qui font naître de nouveaux sons et créent ensemble des labels. Comme L.I.E.S. Records par exemple… quand tu parles d’eux tu ne parles pas trop du fait qu’ils viennent de New-York parce qu’ils ne viennent pas tous de New-York, on pourrait dire qu’ils représentent une scène en eux-mêmes mais c’est quelque chose d’international.

C’est de là que viennent tous les noms différents que tu utilises pour faire de la musique ? Pour brouiller les pistes ?

Je crois que c’est quelque chose de plutôt normal d’avoir plusieurs noms quand on produit de la musique, regarde dans les années 80 et 90, les producteurs de musique avaient parfois des dizaines d’alias différents, certains n’utilisaient jamais leur propre nom et inventaient un nouveau nom pour chaque morceau qu’ils sortaient. Si je fais ça c’est parce que ce que je fais beaucoup de musique et parfois d’un morceau à l’autre c’est tellement différent, que je dois changer de nom. Après, pourquoi je produis ce titre avec ce nom là, etc, dépend de plusieurs facteurs. Parfois quand je fais un titre, je sais déjà quel type de musique ce sera et sous quel nom je le sortirai, puis parfois je fais le morceau et au moment où on me demande un titre et un nom, j’improvise.

Et quand tu sors de la musique sous ton vrai nom, Danny Wolfers, ça veut dire que cette musique te ressemble le plus ?

Non, enfin je ne sais pas, peut-être au final, et que les autres noms sont la représentation de mes autres personnalités ?

On a l’impression que tu passes tes journées à faire de la musique, c’est vrai ?

J’essaie oui, je n’ai pas vraiment de studio où bosser, mais je vis dans une maison remplie de matériel de musique, je pourrais produire deux titres par jour sans même sortir de mon lit, les seules pièces où il n’y a rien de tout ça ce sont la cuisine et la salle de bains.

En parlant de machine tu as travaillé sur quoi récemment ?

Un EMU Emulator II, c’est un synthétiseur à samples géant qui date de 1985, il vient de Santa Cruz en Californie, c’était un objet très cher à l’époque, aujourd’hui ça reviendrait à payer plus de 16 000 euros ; avec ça tu as 17 secondes de sample en 8 bit que tu peux sauvegarder sur de bonnes vieilles disquettes. Le séquenceur est cool et les filtres analogiques envoient du lourd, si on veut comparer c’est comme un EMU SP1200 mais avec un clavier et plus de trucs.

Et quand tu es sur scène, avec tout ton matériel, tu te sens comment ?

J’ai l’impression de faire quelque chose de vraiment cool, je n’ai par contre pas du tout l’impression de contrôler le public, la foule… ou autre comme certains djs ou artistes le prétendent.

Tu te rappelles cet été tu as joué sur la plage de Bidard, pour le festival Baleapop, c’était comment ?

C’était vraiment cool, c’était un super spot pour jouer, ça m’a rappelé la côte californienne, je ne savais pas que le Pays Basque était aussi beau !

Quand tu étais enfant, c’était plutôt quoi qui tournait à la maison ?

Un peu de tout ce qui se faisait sur le moment, de la pop, du rock, de la soul, et beaucoup de musique classique. Je me rappelle, mes parents avaient trouvé un vinyle de Klaus Schulze, et le passaient à la maison, mais j’avais quelque chose comme 5 ans, ça m’a fait flippé, tu n’imagines pas ! Je croyais que c’était de la musique pour sorcières… c’était tellement différent de ce que j’entendais habituellement !

Bon, et à part la musique, il y a autre chose qui te rend heureux ?

Oui, ma petite amie, Xosar, puis programmer de vieux ordinateurs passés de mode.

Entretien réalisé par Adeline Journet