Et si l’électronique venait de trouver son Beethoven ? Compositeur à l’audition en souffrance, Matthew Barnes est l’auteur de symphonies minimalistes qui ont la mollesse, le poignant et dernier souffle de force d’un pachyderme à l’agonie. Graphiste de profession, Barnes produit de la musique comme il utiliserait Photoshop. Et comme Dame Nature s’est jouée de ses sens, lui s’amuse avec les nôtres en proposant un album qui se regarde autant qu’il s’écoute où l’on voit défiler les folklores et mythes Viking de sa ville natale (Wirral). Un compositeur à l’œil absolu en somme qui compose du regard et traduit les images en musique. Aux vues de la météorite qu’a été Engravings, il nous était indispensable d’échanger quelques mots avec son auteur. C’est chose faîte.
Il s’est écoulé trois ans depuis ton dernier album et sans vouloir rentrer dans les détails, j’ai cru comprendre que cela serait dû à un problème de santé. C’est vraiment le cas ?
Oui en partie. En fait j’ai commence à souffrir d’acouphènes permanents après le premier album. C’est incessant, ça m’empêche de dormir, ça affecte ma vie de tous les jours… Donc oui ça a participé au laps de temps entre les deux albums parce que je ne pouvais pas bosser tout simplement, c’était trop intense et j’ai dû apprendre à faire avec.
Peut-être que tu as voulu aussi prendre recul après le premier ?
Oui quoi qu’il en soit j’aurais pris un certain temps après le premier album. Après les EPs, on a beaucoup tourné et ça ne t’aide pas à te sortir la tête de tout ça, à conserver l’esprit clair. Donc au moins, j’ai pu prendre du temps pour faire ce que je veux ou prendre plus de temps parce que je ne peux pas faire certaines choses du fait de mon problème.
Dans Engravings, justement on sent quelque chose de libérateur, quelque chose d’assez puissant qui dirait « je suis de retour« . Tu as ressenti ça en le composant ?
Oui, complètement. Je pense que j’ai utilisé l’album comme une catharsis pour me libérer de tout ça. Peut-être est-ce pour ça que j’ai choisi tel ou tel son sur l’album, parce qu’ils m’aideraient à aller mieux, je ne sais pas. Ça devait résonner en moi à certains niveaux. Mais c’est intéressant ce que tu soulèves, je n’ai rien fait consciemment de cet ordre là mais je suis certain qu’il y a dans mon album une vraie libération émotionnelle.
Mais au delà de tout ça, l’Histoire officielle retiendra que ton album est inspiré par le folklore de Wirral, ta ville natale et les mythes Vikings qui y sont liés. Comment l’idée t’est venue ?
Là où nous vivons il y a une très longue Histoire liée aux Viking, tous les noms de lieux ont une consonance et une origine nordique et puis on a grandi au milieu de monuments dédiés à cette histoire, des cercueils d’enfants, des choses comme ça. Donc j’ai trouvé ça intéressant d’utiliser cette Histoire parce que ça n’est pas quelque chose que l’on t’apprend à l’école, c’est quelque chose que tu dois apprendre par toi-même. Quand tu nais dans un endroit pareil, tu trouves ces histoires absolument ennuyeuses et puis en grandissant ça éveille ta curiosité, tu souhaites en savoir plus sur l’endroit de ta naissance, l’endroit où tu vis. Donc c’est vraiment intéressant de comprendre ces choses là, ça fait partie de mon histoire et j’avais besoin de l’exprimer d’une manière ou d’une autre.
Quelque part c’est la B.O des mythes de ta région ?
Oui c’est ça. Enfin, en plus moderne. C’est plus mon point de vue sur cette Histoire en fait, l’intensité de ces mythes se retrouve dans les textures et le noyau de ma musique. Mais en tout cas elle colle parfaitement à nos mythes.
J’ai appris que tu étais graphiste aussi. Ta musique est très imagées, ton album s’appelle Engravings (gravures, ndlr) et je me demandais quel est ton rapport à l’image en tant que producteur de musique.
Je pense qu’en tant que graphiste j’ai été éduqué visuellement. C’est la manière dont mon cerveau fonctionne, j’ai besoin d’imaginer les choses en terme de couleurs et de formes, même pour les logiciels, je retrouve les mêmes repères que sur Photoshop ou autre. Pour moi, il n’y aucune différence entre visuel et sonore. C’est la manière dont j’ai besoin de décrire et écrire la musique. C’est assez difficile à analyser parce que pour moi c’est la seule manière de travailler la musique. Est-ce que ça fait sens d’ailleurs pour toi ce que je dis ? (rires)
Oui, rassures-toi
Ça me rassure. Donc… voilà, je ne connais aucun autre moyen… (rires)
Et tu penses que si tu ne travaillais pas sur logiciel, tu ferais la même musique du coup ?
Tu soulèves un point intéressant parce que dans un software tout est question de couleurs et de blocs donc pour moi c’est très visuel. Peut-être que si je n’utilisais pas de softwares ma musique serait complètement différente mais je crois que ça serait surtout pour moi une source de panique parce que je ne saurais pas quoi faire. Ça serait comme ouvrir une porte sur un nouveau monde et ça ne peut qu’être intéressant. Je pense même qu’un jour j’en passerai par là.
Du coup tu te considères comme un musicien faisant du graphisme ?
Ouais, il y un mot pour décrire ça… Evocateur ! Je pense que ma musique est évocatrice. Comme je te disais, j’ai ces images en tête quand je compose et j’essaye de les transposer en musique. Est-ce un succès ? Je ne pourrais pas le dire mais c’est ma façon de faire, c’est un écho de ce que j’ai en moi. Je crois même que c’est de la pop bizarre. Certains trouvent ça expérimental, je pense que j’utilise juste différemment les mêmes sons que tout le monde.
J’ai remarqué que tu avais tout fait sur l’album, même la pochette, tu bosses seul donc. C’est une nécessité pour toi de travailler en solitaire ?
Je crois que je suis surtout un control freak ! (rires) Et puis j’ai pris l’habitude de travailler seul, j’ai du mal à faire autrement. Il y aussi le fait d’avoir une vision précise de ce que tu veux, c’est très difficile de les abandonner pour les harmoniser avec celles de tout le monde. J’ai le besoin de travailler seul mais c’est très mauvais pour ma santé parce que c’est horriblement stressant. Peut-être qu’en vieillissant, j’apprendrai à lâcher prise sur certaines de mes idées et je saurais reconnaître une bonne idée chez autrui ou savoir confier mes idées mais pour l’instant, il s’agit juste de moi en tant que control freak.
Peut-être que tu n’as pas encore rencontré la bonne personne. Comme Daniel (Lopatin aka Oneohtrix Point Never, avec qui il partage l’affiche ce soir-là, ndlr) et Tim Hecker.
Oui c’est vrai. Moi je rêve de rencontrer un autre artiste avec qui je peux harmoniser mes idées, ça doit être très enrichissant.
Tu as pour habitude de dire que cet album symbolise la tristesse et l’espoir. Pour revenir sur l’aspect visuel de l’album, c’est un peu comme si tu l’avais réalisé en noir& blanc, non ?
Oui, je trouve aussi. Si je dis ça c’est parce que je ressentais profondément ces deux sentiments à l’époque où j’ai écris l’album. Et puis j’essaye de décrire aussi tout le spectre émotionnel abordé sur l’album. J’ai vraiment eu envie d’explorer toutes les nuances allant de la tristesse à l’espoir.
Je pense à ta pochette. Elle semble guider l’album. Tu avais ce visuel en tête en le composant ?
J’en avais un tas mais celui-ci représentait finalement un large spectre abordé dans l’album. Mais c’est vrai qu’on peut voir dans l’album l’or et le métal donc utiliser ça dans l’artwork était une évidence. Pour autant, j’ai vraiment fini l’artwork après avoir bouclé l’album.
On a le sentiment que le minimalisme incarne quelque chose de précis dans cet album. Un désir de pureté ?
J’ai toujours trouvé ça plus puissant de ne pas gaver un titre. Surtout avec un tas de merde parce que lorsque tu travailles sur laptop, avec des softwares, tu as tellement d’options et de possibles que c’est facile de tomber là dedans. Le plus épuré un titre est, le plus puissant il peut devenir.
Je me souviens que deux de tes camarades chez Tri Angle ont pour habitude de dire qu’ils n’écoutent aucune musique lorsqu’ils composent. Ça leur est indispensable pour conserver une certaine pureté. C’est aussi ton cas ?
Oui et non. En fait, j’écoute beaucoup la radio, j’adore ça, elle est tout le temps en fond. Après vient toujours un moment où je me rends compte que ce que je fais est étonnement connecté à ce que j’entends donc je l’éteins. Finalement je m’autorise à écouter de la musique, tant que ça ne déteint pas sur ce que j’écris. Je ne veux pas être directement inspiré. Tu dois conserver ton propre espace.
J’ai lu que tu avais eu un prof d’Art qui était comme un mentor pour toi. Il t’a enseigné de « t’assurer de toujours être attentif à déterminer toi-même quand une œuvre est finie ». Est-ce que c’est dur pour toi de déterminer quand un morceau est fini ?
C’est vrai que ça n’a rien de scientifique le bouclage d’un morceau. C’est très personnel et chez moi ça intervient quand je commence à me dire qu’il n’y a rien que je puisse faire de plus pour arranger ce morceau. Ce prof m’a appris que la chose la plus forte au monde dans une œuvre est l’idée et que je ne dois pas la noyer. Il m’a aussi appris qu’il n’y a pas de honte en Art, ça a été quelqu’un de très important pour moi et hélas il n’est plus des nôtres pour pouvoir écouter cet album. C’est dommage parce que cet album est profondément inspiré par ce qu’il m’a enseigné et toutes les choses dont nous avons parlé ensemble.
Et tu as déjà pensé à te consacrer à l’Art contemporain ?
Oui souvent ! J’ai énormément d’idées, beaucoup sont en sommeil. Et je suis surtout motivé par l’idée de ne pas enchainer albums sur albums et aussi pourquoi pas pencher sur des soundtracks, tenter des explorations sonores. Ou alors travailler sur des vidéos. Peut-être que mon passé de graphiste fait que j’ai une capacité à faire foisonner les projets sans forcément m’y consacrer jusqu’au bout mais je veux continuer à explorer l’Art, quelque soit sa forme. Pour l’instant la musique reste le plus excitant pour moi.