© Éva Merlier

Daniel Avery : « Mon album est comme un rêve, une expérience qui n’est pas ancrée dans la réalité »

Il est arrivé, tout beau, tout frais, tout novateur, l’album de Daniel Avery. Drone Logic est sans conteste le premier album parfait que beaucoup auraient rêvé faire avant lui. Car pour une fois, entre rêve et dancefloor, c’est un équilibre intelligent que le petit poulain d’Erol Alkan a su trouver, du haut de ses quelque 28 années. Dix ans, c’est le temps qu’il a passé à mixer à la Fabric et dans tout un tas de clubs à travers le monde. Dix ans, c’est le temps qu’il lui a fallu pour avoir le « déclic » et ressentir l’envie d’avoir son « propre son ». Premier album plus que mature, Drone Logic est un voyage qui nous emmène du coucher de soleil sur la Tamise, aux aubes berlinoises, en passant, bien évidemment, par la chaleur synthétique des nuits parisiennes. Rencontre avec Daniel avant sa date du 5 octobre au Rex au côté d’Arnaud Rebotini et de Clara 3000. Un talent à l’humilité incroyable. On peut déjà prédire que le garçon ira très loin.

Tu as dit vouloir que ton premier album, Drone Logic, soit comme un voyage. C’est à dire ? Un voyage qui nous emmènerait où ?

Je crois que c’est quelque chose, l’idée de voyage, que je recherche chez pour tous les djs que j’aime, dans mes albums, mes films préférés, j’aime me perdre dans le monde de quelqu’un, que du début à la fin, ce soit vraiment comme un voyage. Un voyage, ce peut être un voyage en voiture, ou même un voyage intérieur, quelque chose en rapport avec la drogue, quelque chose qui fait que tu lâches prise. Une façon de s’échapper de ce monde, c’est ça l’idée de mon album : tu t’assois, tu l’écoutes du début à la fin, et tu lâches prise.

Un peu comme un rêve non ?

C’est ce que je voulais oui, je voulais que mon album soit comme un rêve, une expérience qui ne soit pas ancrée dans la réalité, quelque chose de différent, un échappatoire.

Et tu l’as composé dans quel état d’esprit ?

Je crois qu’en total l’album m’a pris un an. J’avais composé le morceau Drone Logic pour Andrew Weatherall, c’est un de mes héros, il a cette soirée à Londres qui s’appelle A Love From Out Of Space dans laquelle il y a beaucoup d’acid musique et du coup je voulais faire un morceau pour lui. Je l’ai fait très rapidement, en deux jours je crois, puis je me suis rendu dans son studio de Londres, je lui ai donné la maquette et je lui ai juste dit « essaie de jouer ça, juste essaie ». Il m’a appelé le lundi suivant en me disant que le morceau avait été le plus grand succès de la soirée, c’était un moment très fort pour moi tu sais, ce mec est mon héros. J’ai raccroché puis j’ai tout de suite appelé Erol (Alkan) et je lui ai dit « tu ne vas jamais me croire ». Je lui ai expliqué et il a fini par me dire qu’il était temps que je fasse mon propre album. Cette histoire m’a donné la confiance qu’il me manquait pour le faire.

Et tu t’es lancé.

Voilà. J’ai loué pendant l’hiver un studio près de la Tamise, c’était une ancienne usine, quelque chose de très froid, comme une grande boîte de métal, mais la vue était juste incroyable, j’avais la rivière et derrière, tout Londres face à moi, j’ai pu profiter de magnifiques levers et couchers de soleil. Je voulais que l’album soit typiquement londonien.

Tu es de Bournemouth non, sur la côte ?

Oui, je suis venu à Londres il y a environ sept ans. Je me sens comme à la maison à Londres, au final Bornemouth est très proche. J’ai su très jeune que plus tard je viendrai m’installer à Londres. Tous mes héros sont ici, il s’y passe tellement de choses, c’est excitant.

Donc Drone Logic est un « londoner » ?

Oui, totalement, il a été inspiré de plein de groupes d’ici, comme Four Tet par exemple. Mais quand j’y pense je me dis qu’il a aussi été inspiré par plein de groupes différents comme My Bloody Valentine. Cet album est définitivement britannique.

Avant tu mixais avec des pseudonymes, pourquoi avoir attendu autant de temps pour sortir ton premier album et avec ton propre nom ? 

Avant je ne le sentais pas, c’est juste ça. Je me suis toujours considéré avant tout comme un dj, j’ai fait ça pendant dix ans, mais l’idée de faire de la musique ne m’avait jamais vraiment effleuré l’esprit, c’est juste arrivé comme ça. J’ai eu le déclic qu’il fallait, j’ai eu envie d’avoir mon propre son, et j’ai juste senti que c’était le bon moment.

Et maintenant que tu fais ta propre musique, quelque chose a changé en toi ?

Oui, c’est très différent, c’est un sentiment très excitant de jouer ma propre musique live et d’avoir la réaction directe du public.

Tu as dit que tu ne voulais pas composer de musique sur laquelle tu ne pourrais pas danser, c’est vrai ?

Pour cet album oui. Je voulais qu’il soit une sorte de résumé fidèle de ma vie et des années passées. Ce que j’ai fait ces dernières années a été de mixer tous les weekends, sans jamais m’arrêter, du coup, oui, je voulais que cet album soit une représentation parfaite de moi, de mes voyages dans différents clubs d’Europe, du monde entier. Chaque titre porte en lui un des clubs où j’ai mixé. Par exemple si tu prends le titre Water Jump, il a été composé pour être joué à la Fabric, à Londres, mon club de prédilection. Drone Logic a été fait pour Andrew Weatherall et son club. All I Need a été fait pour… je dirais, les dancefloors allemands.

Et à propos de la Fabric, ça fait longtemps que tu y es résident ?

Depuis que je suis à Londres oui. J’étais très jeune quand j’y ai débuté. Des amis à moi organisaient des soirées au Buffalo, à Camden mais aussi tous les deux mois à la Fabric. Quand je les ai rencontrés j’ai commencé à mixer pour eux à Camden, en warm-up. Ils avaient besoin que quelqu’un fasse le warm-up à la Fabric, du coup ils m’ont demandé de le faire. J’ai toujours été un dj de warm-up et j’aime ça car tu peux passer des morceaux plus intéressants, c’est la nuit qui commence juste…

Tu te souviens des morceaux que tu aimais passer à l’époque ?

Je ne me souviens pas vraiment mais ce qui était cool à la Fabric c’est qu’en début de soirée, tu pouvais jouer des morceaux plus lents, l’atmosphère, la lumière, tout s’y prête, c’est ce que j’aime dans le fait d’être un dj de warm-up : c’est toi qui créé l’atmosphère, l’ambiance et tu peux te permettre de passer tant des disques de new wave par exemple que des morceaux électroniques plus doux, le but est de créer une atmosphère.

Et tu vas continuer de mixer ?

Oui, bien sûr ! Les gens m’ont demandé si je n’allais désormais me consacrer qu’à des lives, mais à l’heure d’aujourd’hui, je ne pense pas. J’aime mixer, encore plus aujourd’hui qu’hier, et je n’ai pas envie de perdre ça.

Tu as des fans d’ailleurs, des gens qui te suivent partout où tu passes ?

Quelques uns oui. Ce qui est cool c’est que d’une certaine manière la France est devenu le pays où je préfère mixer. Je ne dis pas ça parce que je suis en France, mais vraiment, je crois que cette année j’ai joué en France plus que n’importe où ailleurs, peut-être même plus que chez moi et l’accueil est toujours génial, je ressens une bonne connexion avec le public français.

Tu as joué où en France ?

Quasiment partout, de Lille, à Grenoble, à Lyon en passant par Rennes, partout.

C’est quelque chose qui revient souvent, que le public français est très ouvert. Mais il y a une grande différente avec le public anglais ?

Ça dépend, c’est très différent d’un club à l’autre. Mais je crois que l’accueil du public français est très lié au genre de musique électronique que je fais. Je ne sais pas pourquoi, j’ai parlé à quelques personnes qui par exemple ne jouaient qu’en Allemagne et n’avaient jamais joué en France. Pour je ne sais quelle raison, la France est devenu mon « spot » de prédilection (sourire).

Tu as l’impression que la scène londonienne est de retour ?

Je ne sais pas, je crois que c’est plutôt la musique électronique en général qui revient sur le devant de la scène et effectivement beaucoup de choses se passent à Londres.

Et quand tu étais jeune tu étais un grand fan de musique électronique ?

Plus ou moins oui. Quand j’étais jeune j’étais fan de Prodigy, des Chemical Brothers et de toute cette vague. Mais d’où je viens, Bornemouth, c’est rempli d’idiot, donc quand tu sors le soir, tu trouves beaucoup de musique horrible, les tubes du moment, de la musique du Top 50. Du coup, quand j’étais ado, quand les gens me demandaient si j’aimais la musique pour danser, je répondais « non » parce que celle que j’entendais dans les clubs était la seule musique pour danser que je connaissais. Puis en grandissant j’ai découvert ceux qui allaient devenir mes héros, Erol Alkan ou Andrew Weatherall, des djs qui avaient les mêmes références que moi, qui pouvaient passer en club du post-punk par exemple ou New Order, Joy Division, mais aussi des morceaux de techno. C’est comme ça que j’ai découvert la techno et ça a été fou, tu sais, ce moment où j’ai réalisé qu’en réalité j’aimais la musique pour danser.

Tu te rappelles du premier concert auquel tu as assisté ?

Oui ! Mon premier c’était Prodigy, avec mon père, j’avais 11 ans. C’était incroyable, ça a eu un impact fort sur moi, peut-être même plus fort que ce que je pensais. Je le réalise aujourd’hui que je fais ma propre musique.

Quand tu avais 11 ans, tu n’avais aucune idée de tout ce qui allait t’arriver si ?

Non, pas du tout. Tout ça m’est tombé dessus comme ça, je n’avais jamais même pensé devenir dj. Ce n’était pas mon objectif de vie, je n’avais même pas d’objectif de vie, je ne savais pas bien où j’allais. Mais dés que j’ai commencé à mixer, je l’ai tout de suite pris au sérieux, je me suis concentré dessus, mais ce n’était pas prévu, c’est un peu arrivé par accident.

Et Arol Alkan, tu l’as rencontré comment ?

J’étais un habitué de son club à Londres, le Trash, ils avaient des soirées indie mais aussi electroclash, j’y allais vraiment tout le temps et les soirées où Erol passait étaient mes préférées. Et il s’est avéré qu’on s’est parlé, puis qu’on est devenus amis. Je ne sais pas bien comment mais c’est arrivé assez naturellement.

C’est lui qui t’a poussé à faire ta propre musique tu me disais… ?

Oui, je dois beaucoup à Erol, il m’a poussé à aller plus loin, à me concentrer, puis c’est aussi lui qui a produit l’album, il lui a donné une énergie spéciale.

Et les voix qu’il y a dans les morceaux, elles viennent d’où ?

Ce sont des amis en fait et parfois c’est ma voix. J’en ai fait venir quelques uns au studio et je leur ai fait dire des choses. C’est dans ça que l’on retrouve mon amour de l’électroclash et d’artistes tels que Miss Kittin, j’aime les choses un peu froides, les voix de femmes sur des boucles techno, ça a joué un rôle important quand j’étais plus jeune.

Et tu ne voulais pas chanter toi ?

Non, je ne chante pas juste (rires).

Entretien réalisé par Adeline Journet /Photos © Éva Merlier

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