Gold Panda : « La procrastination est toujours une part importante de ma création »

Via Lucky Shiner, son premier LP, on a découvert Gold Panda le décorateur d’intérieur, un Valérie Damidot du post-hop posant du papier-peint à la MPC avec goût mais sans grand relief. Avec son successeur, Half Of Where You Live on redécouvre Derwin, producteur de la Terre Vue Du Ciel en électronique, récit de paysages fantasmés dans une séance-diapo de cartes postales sonores.  Et si le bonhomme est baladeur, il s’avère que le Gold Panda est surement un animal proche cousin du paresseux, au limite de l’apathique. Chose qu’il raconte non sans un certain franc parler désopilant. Comme dirait Lolo Boyer : rencontre.

Après avoir autant tourné, j’ai l’impression que ça a été un process assez difficile de revenir à la production. Je me trompe ?

Derwin : non c’est vrai que ces derniers temps, je ne faisais que tourner, monter sur scène et du coup je ne trouvais jamais le temps pour produire. Ça a du me prendre au moins un an avant d’écrire l’album, puis ensuite deux semaines pour le finir vraiment après toute ma série de concerts. Donc oui, je commençais à m’inquiéter à propos de ce nouvel album. Surtout que le public a vraiment aimé le premier donc… je me suis dit que je devrais faire le même album à nouveau (il sourit l’air narquois, ndlr).

Sérieusement ?

Derwin : non pas vraiment mais des titres comme Lucky You qui ont vraiment marqué le public, ça oui, j’y ai pensé. Et puis je me suis dit que j’avais déjà écrit un titre comme ça et que ça n’avait aucun intérêt de radoter de la sorte. Mais j’angoissais vraiment… Du coup, j’ai pensé un temps à stopper la musique et à vraiment m’inquiéter à ce propos.

Quel titre est arrivé en premier ? Qu’est ce qui a débloqué la situation ?

Derwin : je crois que c’était Community. Et finalement, elle est venue très rapidement, facilement et naturellement. Je voulais vraiment produire des chansons simples parce que je déteste tout le processus d’arrangement via ordinateur. Comme ce soir (il parle de son concert, ndlr), j’ai vraiment étudié la chose pour n’avoir qu’à appuyer sur le bouton play et faire mon truc en live. Et puis c’est fait. Ça a fini par me saouler vraiment d’utiliser un laptop sur scène parce que j’en utilise déjà un à la maison et je ne comprends pas pourquoi je devrais refaire sur scène ce que je fais à la maison. Tu vois, j’ai ramené mon studio aujourd’hui.

Mais tu n’as jamais pensé à prendre un live band avec toi sur scène ?

Derwin : si j’y ai pensé, ça enlèverait pas mal de pression. Mais là pour le coup, je ne saurais plus quoi faire du tout (rires).

On a comme l’impression que tu n’aimes toujours pas jouer live.

Derwin : en fait, tu as parfois de très bons lives qui se passent très bien et ça te fait te sentir hyper bien. Et puis tu as l’inverse. Mais dans l’idéal, si je n’avais pas à tourner pour gagner de l’argent, ça serait merveilleux. Mais je n’ai pas le choix. Bon, n’exagérons pas, il y a de bonnes choses dans le fait de tourner, c’est l’occasion de voir le monde. Et de faire des rencontres. Et puis bien manger. Ce sont des bonnes choses de la vie, pourquoi cracher dedans, autant les faire maintenant. Et puis je suis payé pour mon hobbie donc je ne veux pas passer pour un malheureux, ça serait déplacé.

Et puis les voyages sont le ciment de ce deuxième album ?

Derwin : ho oui parce que je n’ai rien fait d’autre donc ça m’a fatalement inspiré. C’est vraiment arrivé naturellement, je n’ai rien prévu, les mélodies sont venues à moi, comme pour Brazil.

Mais plus précisément comment les idées te viennent ? Dans le cas de Brazil, tu te baladais dans la rue, dans une boutique ou autre, tu entends un air et tu souhaites le sampler ou le reproduire ?

Derwin : je voulais faire une soundtrack typique de ce que tu pourras entendre lors d’un mauvais voyage dans une ville. Je ne voulais surtout pas rentrer dans le stéréotype de tel son pour tel endroit plutôt la bande-son du feeling ressenti par rapport à l’endroit. Une bande-son réalisée par quelqu’un qui ne connaît pas l’endroit et qui découvrirait la culture ou les paysages sur Youtube. Et puis je voulais éviter les sons orientaux, j’en ai beaucoup produits dans le premier album mais… ça arrive naturellement, je ne peux pas m’en empêcher.

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Oui tu étais très influencé par le Japon sur le premier album.

Derwin : oui je pense que c’est parce qu’avant ce premier album je n’étais allé qu’à Bruxelles et au Japon (rires, ndlr). Donc oui le Japon m’a pas mal marqué avant de produire ce premier album. Et depuis grâce au premier album, j’ai voyagé et ça m’a pas mal inspiré forcément. J’étais hyper heureux, je ne connaissais rien de la plupart des pays où nous avons voyagé, j’avais tout à découvrir. Mais c’est vrai que le Japon reste particulièrement marquant pour moi et je ne vais pas tarder à y retourner. Même si mon japonais est assez mauvais. Ça me fera pratiquer un peu.

Et en attendant tu vis à Berlin, j’ai cru comprendre.

Derwin : ouais, Berlin en ce moment.

Justement j’ai senti quelque chose de plus club-friendly sur cet album. C’est l’influence de la ville ?

Derwin : oui une grande partie de la ville est dédiée à la dance music, spécifiquement la house. Et la techno évidemment. Mais la house est particulièrement convoitée en ce moment à Berlin. Précisément la deep house, même si je ne comprends pas ce que ça veut dire (rires, ndlr). Mais je vis entre deux gros disquaires et ils ont toujours de la bonne house music et je ne sais jamais ce que j’écoute mais il y a souvent des choses que j’adore chez eux. Et c’est là bas que j’en achète mais je me rappelle jamais ce que c’est, c’est terrible. Ce que j’aime dans ces albums c’est lorsqu’ils donnent l’impression d’avoir été enregistrés lors d’un jam dans une chambre. Et j’imagine que ces albums ont une influence sur ce que je produis, je n’aime pas la musique trop arrangée, je n’aime pas la « computer music » non plus et ces albums n’en sont pas, c’est ce que j’aime dans ces albums, c’est en ça qu’ils m’enrichissent. Des titres comme « My Father In Hong Kong » c’est juste une prise live. Et j’aime ça parce que ça sonne frais pour moi et on dirait que ce n’est pas moi quand je le réécoute, j’aime cette sensation.

Et est-ce que toi-même tu jam, laisses l’improvisation, la surprise s’immiscer lorsque tu composes et produis ?

Derwin : ho ouais. J’ai juste une drum machine et un sampler et je les laisse tourner en attendant de trouver quelque chose puis je bois un thé, ensuite je regarde la télévision et puis je m’y remets et je joues en live dans ma chambre pendant quelques heures. Puis vient le moment où je me dis « tiens je devrais enregistrer » et puis je me dis « ho non je le ferais demain » et puis le lendemain j’apprends que je dois aller urgemment quelque part et quand je reviens les machines sont toujours allumées et éventuellement si je trouve la motivation, j’enregistre. Et en une fois. Et si je le fais mal, je le refais juste une fois. Mais en général ça suffit. Parfois je me dis « il faudrait que je la refasse, on entend pas les beats » et puis finalement je me dis que c’est surement mieux ainsi.

En fait tu voulais replacer un peu d’humain, de temps réel, d’erreur ?

Derwin : tu fais des choses par erreur et lorsque sur le moment tu le constates tu te dis que c’est de la merde et lorsque tu laisses passer un peu de temps et que tu reviens dessus il arrive souvent que tu trouves ça beaucoup mieux que tu ne le pensais sur le moment. Tu ne pourras pas recréer ce moment, c’est pratiquement impossible à faire et j’aime cette idée. Tu perdrais cette magie, ce sentiment qui est apparu naturellement. Donc j’essaie de faire les choses… vite.

Il y a quelque chose dont tu parlais énormément lors du premier album et j’ai le sentiment que c’est toujours le cas : la procrastination. C’est un élément important dans ta phase de création ?

Derwin : complétement ! La procrastination est toujours une part importante de ma création. Tu sais il y a toujours beaucoup de distractions, surtout quand tu fais de la musique à la maison, c’est facile de faire quelque chose d’autre. Et puis tu n’es as limité dans le temps, tu n’as pas de studio à payer donc rien ne te presse. Parfois tu trouves un titre dans la soirée et puis tu dois aller faire le DJ donc tu repousses et puis… tu finis par produire autre chose.

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Ce que tu me dis me fait penser à quelque chose que James Holden m’a raconté. D’ailleurs tu as écoute le dernier James Holden ?

Derwin : pas encore parce que je ne suis pas très « écoute en ligne ». J’achète les albums et comme ça je me concentre vraiment dessus. Donc j’ai entendu les singles « Renata » et « Gone Ferral« , c’est très beau et j’attends avec impatience d’entendre le reste mais je ne l’ai pas encore fait.

Je te le spoile un peu : il est magnifique.

Derwin : ouais ! Ça, j’en doute pas, c’est un génie, je le trouve incroyable. On utilise ce mot à outrance jusqu’à le galvauder mais je trouve que rien ne lui correspond mieux : Holden est un génie.

Et justement dans Half Of Where You Live, j’ai vraiment ressenti du Border Community, du Holden, du Fake, du Abbot. Ces albums ont une influence sur toi ?

Derwin : ho oui ! Surtout James, il a un feeling très organique. C’est toujours un grand mystère pour moi, je me demande comment ça a pu arriver dans la musique électronique. Oui on doit faire des choses proches, j’imagine, juste l’équipement change. Evidemment Border Community a été une énorme influence.

J’ai l’impression de voir un symbole de ta manière de produire dans ta pochette. Il y a un premier motif établi au cœur, puis il est répété et élargi. Tu avais remarqué ça aussi ? C’est pour ça que tu as choisi cette pochette ?

Derwin : mieux que ça. J’ai eu cette image d’Andy Gillmore, il a dessiné cette image avant que j’enregistre l’album. Donc je l’avais en face de moi, accrochée sur un mur durant tout l’enregistrement et je pense que ça infiltré mon esprit pendant que je composais. Je travaillais comme ça avant ce deuxième album d’un autre côté mais je pense que ça a fatalement joué sur ma façon de faire. Ce qui est amusant, c’est que lors de Lucky Shiner, je savais que la pochette serait bleue. Et sur celui-ci, je savais que la pochette serait cette photo avant que je compose l’album. Et pour le prochain album, j’ai déjà l’idée de la photo.

Donc ton travail commence avec une image, une photo ?

Derwin : pour moi oui. Ou un artwork. Et c’est très agréable de bosser avec Ghostly pour ça, parce qu’ils me laissent vraiment avoir le dernier mot sur mon artwork. Bref, quand je vois une image je sais comment elle doit sonner, je ne sais pas forcément comment l’expliquer, ça n’est pas quelque chose de tangible mais je sens comment elle doit sonner. J’ai cette photo depuis des lustres.

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Donc de travailler à partir d’image pourrait expliquer pourquoi on a l’impression que tu mets en musique un portfolio d’images de voyages et non des souvenirs.

Derwin : ouais. Je ne sais pas comment ça fonctionne chez l’auditeur mais oui déjà parce que je ne planifie rien dans ma musique.

J’ai tendance à penser que Lucky Shiner traitait de qui tu étais et Half Of Where You Live de où tu as été. C’est un bon résumé ?

Derwin : (rires, ndlr) ouais ! Pourquoi pas ? Non ça fonctionne bien. C’est vrai aussi que je ne suis plus le même. Ma vie a changé pas mal depuis le premier album. Et je suis devenu un peu barbé par le fait d’en rajouter sur la corde sensible ou de flirter avec la chillwave. D’ailleurs je ne comprends pas bien pourquoi on m’associe à la chillwave, c’est plein de reverb, c’est hyper atmosphérique et je n’aime pas le travail de production sur les titres de chillwave, peu importe ce que l’on appelle chillwave. Du coup beaucoup de gens m’envoient des démos d’albums qu’ils pensent similaires à ma musique et je suis toujours étonné par ce que le public perçoit de ma musique. Donc j’ai fait un gros effort, surtout avec le premier titre de l’album pour m’éloigner de la chillwave et de tous ses codes et éviter d’être à nouveau lié à tout ça.

Et qu’est ce que c’est comme feeling de recevoir des albums de la part de personnes pensant faire la même musique que toi tandis que pas du tout ?

Derwin : wahou (rires, ndlr) ! Déjà moi je n’ai jamais eu assez confiance en moi pour envoyer mes démos. J’ai envoyé mes démos une fois, à un label, c’était avant que je lance un MySpace en 2007 et je pense qu’ils ne l’ont même pas écouté. Tandis que j’avais fait une super pochette. Ils ne m’ont jamais répondu donc je me suis dit « laisse tomber les labels ». Donc je trouve que les gens ont vraiment confiance en eux et je trouve ça étrange… Et c’est vrai que ça n’a souvent aucun rapport avec ma musique… je leur souhaite quand même bon courage !

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