Jusqu'à récemment, Schneider TM vivait paisiblement à Berlin, produisait gentiment ce que ton disquaire appellerait de l'indietronica (du papier-peint avec des samples de guitares acoustiques) et ne se faisait remarquer que lorsqu'il collaborait. Puis vint le tourisme de masse et l'exode massif d'artistes du monde entier vers ce qu'il semblait être la Terre Sainte de l'éléctronique. La bulle immobilière éclata, les prix grimpèrent, les travaux grondèrent dans toute la ville et Schneider se retrouva noyé par le bruit autour de lui. Devenu insomniaque, il produit la nuit et recrache le bruit des constructions alentours qu'il a épongé le jour. C'est devenu « Construction Sounds », LP magnifique de drone urbain et de soundscape embeded et surtout sa carte de visite en tant qu'ambassadeur du Berlin des 10's. Entretien avec l'auteur de la carte postale la plus honnête du Berlin d'aujourd'hui.
Question somme toute simple pour commencer mais très importante : comment t'es venue l'idée de Construction Sounds ?
Schneider TM : L'idée est venue naturellement quand je vivais dans mon ancien appartement de Berlin noyé dans les chantiers de construction depuis de nombreuses années, à tel point que je ne parvenais plus à travailler sur ma propre musique correctement à cause du bruit. Mon studio était dans le salon et j'ai commencé à enregistrer le son des travaux alentours, ne serait-ce que pour avoir une preuve flagrante de la situation au cas où j'intenterai une action en justice contre mon ancien propriétaire, qui n'était pas très coopératif. Une nuit, j'ai enregistré une session expérimentale qui était inconsciemment inspiré par le bruit des travaux et j'ai pensé qu'il serait intéressant d'utiliser carrément ces enregistrements et d'en faire des morceaux.
Tu as voulu rendre beau quelque chose d'emmerdant finalement ?
Schneider TM : Cet album m'a certainement servi de catharsis à un moment, parce que la situation était extrêmement difficile à endurer. J'ai voulu faire de cette expérience traumatisante quelque chose de positif pour m'en débarrasser.
Parce que c'est vraiment une vision de Berlin éloignée de celle que l'on a. C'est quelque chose que tu voulais ? Donner une autre vision de Berlin ?
Schneider TM : Oui bien sûr, parce que je voulais refléter ce que Berlin a été pour moi à ce moment précis. J'ai dû digérer le son bien particulier de cette rue avant de le cracher à nouveau. Mais ce n'est qu'une des multiples facettes de Berlin. Dans d'autres parties de la ville, il y a des sangliers qui courent partout comme des fous et qui attaquent, c'est aussi ça Berlin. Construction Sounds est une sorte de document témoignant d'une période de transition des 00's à Berlin-Est où tous les bâtiments en ruine qui n'avaient pas été pris en charge depuis l'époque d'après-guerre et sous la RDA étaient en train d'être restaurés. D'une certaine manière ce bruit est le dernier écho de la deuxième guerre mondiale.
Le temps précédant la rénovation de ce quartier de Berlin-Est était comme un rêve … c'était pas cher, les clubs et les bars étaient très agréables, beaucoup de personnes différentes et intéressantes à qui parler … le tout dans une atmosphère très détendue dans les rues. Lorsque les premiers bâtiments ont été rénovés, un autre type de personnes plus argentés et aux intérêts différents est arrivé et là a commencé la guerre des nerfs avec des problème tels que le stationnement entre autres choses … toute la structure sociale a été bouleversé et l'équilibre d'antan avec. Finalement l'album est le son résultant de ce processus.
Au-delà du bruit de la rue, j'ai le sentiment d'entendre de la musique concrete dans Construction Sounds. C'est un truc qui t'a inspiré ?
Schneider TM : Non, pas vraiment la musique concrète … mais dans cette période j'ai écouté beaucoup de noise, de drone et d'autres types de musique assez libres dans la forme comme The Arkestra de Sun Ra pour exemple.
À cette époque, j'ai aussi été très actif avec Ange mon autre groupe composé d'Ilpo Väisänen (ex-Pan Sonic) et d'amis comme Hildur Gudnadottir avec qui j'ai sorti quelques albums aux Editions Mego. Construction Sounds est fondamentalement né de cette période et inspiré par le free noise – et le drone – en improvisations avec d'autres musiciens ainsi que les chantiers de construction eux-même.
Et est-ce que cet album est une part d'un projet plus grand avec de la vidéo ? Vas-tu jouer cet album en live ? Tu peux nous décrire à quoi ça va ressembler ?
Schneider TM : oui, je l'ai joué sur scène plusieurs fois avec Lillevan qui a bricolé des vidéos autour de l'architecture et avec Pani K qui les a combinés à des séquences de chauves-souris en pleine chasse et à la danseuse japonaise Tomoko Nakasato. Le concept est assez souple en live ce qui m'intéresse surtout c'est de créer une sorte de «réaction chimique» avec la production des autres ainsi que leurs visions.
Les dispositions de base sont un peu fixes, mais je peux orienter le tout dans des directions différentes ce qui me permet aussi de rester flexible pour des coopérations / improvisations avec d'autres musiciens. Fondamentalement, Construction Sound n'est qu'une base sonore.
Il n'y pas un seul son humain dans cet album, uniquement des machines. C'est comme si il n'y avait plus personne à Berlin. Tu as cherché à déshumaniser la ville ?
Schneider TM : Les machines, les outils et les matériaux différents ont été utilisé par des êtres humains donc quelque part, si, il y a présence humaine sur cet album. Il n'y a pas de sons humains reconnaissables parce que les cris d'ouvriers sont moins intéressants sur un plan mélodique. Et puis quoi qu'il en soit lorsque les machines sont en route, ils la bouclent…
Avec cet album, tu sembles avoir un parti-pris très particulier sur Berlin. Quel est ton point de vue sur la ville en ce moment ? D'un point de vue politique, social, culturel…
Schneider TM : C'est une époque assez intense pour Berlin ces temps-ci parce qu'il y a beaucoup de changements et beaucoup plus de choses se produisent qu'il n'y a quinze ans. Tu peux sentir une pression sociale grimper en parallèle du loyer des appartements et tu peux aller à au moins quinze bons concerts tous les soirs, ce qui signifie que le marché culturel est saturé. D'un autre côté, des gens du monde entier s'installent à Berlin et collaborent ensemble parce que c'est plus simple de faire tes propres trucs dans une autre ville où il y autant de choix artistique. Il y a définitivement des failles politiques quand tu regardes le marché immobilier mais c'est ce qui a aussi rendu la contre-culture aussi foisonnante et ce qui fait de la ville un endroit vraiment intéressant. Mais en ce moment Berlin semble être à un tournant. J'espère sincèrement qu'elle ne va pas devenir comme les autres villes qui ont tout balayé et sont devenus des complexes pour l'ennui de la classe moderne/supérieure ou une métropole hyper stressée où les habitants courent après le fric. Après la situation économique actuelle donne de l'espoir… ou pas… qui sait ? On verra dans cinq ans.
Et est-ce toujours agréable d'être un artiste à Berlin ? J'ai entendu dire qu'il y avait des problèmes avec la GEMA (la SACEM locale qui menace la pérennité des clubs avec une hausse de 50% des taxes après cinq heures de musique continue, ce qui, vous l'imaginez, peut asphyxier 90% des clubs locaux, ndlr), Angela Merkel prévoyait de taxer l'auto-entreprise et les squats ferment du fait de la pression immobilière. C'est pas un danger pour la création Berlinoise, allemande voire européenne (vu la quantité d'artistes expatriés) ?
Schneider TM : c'est toujours très agréable de s'établir à Berlin et d'y vivre en tant qu'artiste. Cette hyperactivité culturelle n'est pas seulement épuisante, elle est aussi très inspirante, ne l'oublions pas et ça ouvre une quantité incroyable d'opportunités. Les bonnes choses n'apparaissent plus d'elles-mêmes comme ce fut le cas autrefois mais les gens ici travaillent dur pour que tout ça se produise. Après, sais-tu seulement ce qu'est la GEMA ? Par exemple, si je peux vivre ici de ma musique c'est parce que la GEMA collecte l'argent généré par mes diffusions ou autres utilisations… radio, TV, concerts, ventes d'albums, etc… D'un autre côté, oui, cette réforme des clubs par la GEMA semble être une belle merde mais j'ai entendu dire que le dernier mot n'avait pas été encore prononcé… Honnêtement, je ne connais pas précisément les tenants et aboutissants du projet. Je pense que le gros problème avec cette GEMA c'est qu'elle est une trop vieille structure pour s'adapter aux conditions d'aujourd'hui et ne parvient pas à proposer un autre modèle économique que la collecte et la redistribution employée depuis plus de 100 ans maintenant. Forcément, il y a des iniquités dans la répartie entre le bon travailleur membre de la GEMA et l'artiste cheesy-pop allemand qui, quoiqu'il en soit, vit correctement avec ou sans GEMA. Tout le système d'édition devrait être plus équitable, c'est certain, et ça semble beaucoup plus difficile que ce que tout le monde pense. Par contre, je n'ai pas entendu parler de la taxe sur l'auto-entreprise… C'est peut-être une rumeur non fondée, méfies-toi… Je préfère me concentrer sur la musique et ne pas me préoccuper trop de politique non plus. C'est ici que l'on voit apparaître le concept de "Bedingungsloses Grundeinkommen" qui signifie un inconditionnel revenu pour quiconque paiera les besoins basiques de chacun… Ça veut dire que tout le monde toucherait peut-être aux alentours de 800-1000 € par mois, peu importe ce qu'il ou elle fait. Ça serait probablement même moins cher que le système social allemand actuel. Mais ça signifierait aussi la perte de la souveraineté du peuple au profit d'un contrôle de cette énorme usine à gaz bureaucratique. Peut-être que dans ce cas, nous n'aurions même plus besoin de la GEMA. Il faudrait une (r)évolution culturelle globale ce dont nous sommes encore loin en ce moment.
Je pense qu'on a fait le tour de la question. Rien à voir mais le TM à la fin de ton nom ça signifie trademark ? Pourquoi ?
Schneider TM : à l'origine, oui, c'était l'idée mais il était impossible pour moi de déposer mon surnom. Alors, maintenant, ça signifie Technische Musik…Quelque fois.
Et est-ce que tu vas continuer dans cette voie ? Les soundscapes ou l'avant-garde ?
Schneider TM : Oui mais pas seulement. En ce moment je bosse sur un album basé sur des improvisations de guitares que j'ai enregistré pour deux B.O sous mon pseudo Schneider FM, il y a aussi des collaborations avec Jochen Arbeit (de Einstürzende Neubauten) et Damo Suzuki (ex-Can), il va y avoir un triple CD box set de grand piano & electronics avec Reinhold Friedl de Zeitkratzer), des nouveaux LPs avec Angel c'est à dire Ilpo Väisänen, Lucio Capece, Hildur Gudnadottir + d'autres invités et moi, et puis du Schneider TM tout neuf avec Kptmichigan.