Agoria : « L’Art est inutile »

Juste retour des choses, après une quinzaine d’années de bienfaisance au sein de la techno, Agoria devenait le mois dernier parrain de la Techno Parade. Formidable, nous dit Jack et il a raison. Agoria c’est le genre de Parrain sur lequel Coppola ne fera pas de films (qui sait ?) et comme on n’a pas de caméra, on lui a tendu un micro. Entretien avec un empire de la techno d’en France.

Qu’est ce que ça te fait de devenir parrain de la Techno Parade ?

Agoria : Rien ! (Rires) Non, je plaisante, c’est la quatrième année où ils me demandent d’être parrain. J’avais pas trop réagi avant, déjà parce que je trouve la manifestation vieillotte, je voyais pas tellement ce que je pouvais lui apporter. Et puis, parce qu’il n’y a rien à défendre aussi dans la culture des musiques électroniques. Il n’y a plus besoin de les défendre. Du moins politiquement. On peut les défendre culturellement mais à mon sens il n’y a plus besoin. Donc cette année je me suis dit qu’on ne pouvait pas cracher dans la soupe, puisque les années passées on avait des parrains qui font une musique qui moi ne me touche pas beaucoup comme Joachim Garraud ou Bob Sinclar. Donc je me suis dit qu’il était temps d’essayer de voir si de l’intérieur on pouvait faire évoluer cette parade vieillissante.

 
 

Et qu’est ce que ça a été ton rôle au milieu de tout ça ?

Agoria : Au final, il n’a pas été si énorme que ça. Les marches de manœuvre ne sont pas très grandes. On a su tardivement que j’allais avoir un char et une soirée pour inviter des gens que j’aime bien comme Nina Kraviz, Dave Clark ou Joris Voorn. Et puis sur le char, j’ai invité des jeunes artistes comme Villanova et Bambounou qui sort bientôt son premier album sur le label de Modeselektor, 50Weapons. Ils ont tous les deux une musique différente de la mienne. Bambounou, il a un côté un peu old school, un peu dubstep, un peu techno aussi, même si je le trouve plus proche de la scène anglaise que de la scène allemande. Villanova, ils font une house assez glamour, c’est l’union d’un DJ club au bon sens du terme et d’un artiste qui aime plutôt le jazz.


 
 

Et faire suite à Joachim Garraud ou David Guetta, c’est un symbole selon toi ?

Agoria : Je pense que le symbole est évident. Ils voulaient une crédibilité, du moins sur un plan artistique. Moi je ne suis évidemment pas aussi connu qu’eux. Mais je ne le cherche pas. Je ne suis pas parrain de la Techno Parade pour être le prochain David Guetta ! Je pense que ça vient de mon passé, j’ai toujours aimé créer des choses. J’ai cofondé les Nuits Sonores, j’ai participé à la vie d’Infiné pendant ses premières années, quand j’étais gamin j’organisais plein de raves donc j’ai toujours eu cette idée d’équipée collective. Pour moi via la techno parade j’aimais l’idée de transmettre, pas en tant que connaisseur, mais du point de vue du message. Je le passe aujourd’hui à Adrien (Villanova, présent en face de lui, ndlr) et dans dix ans peut-être que lui aussi le transmettra. Dans le rock c’est quelque chose qui se fait beaucoup, tu as beaucoup d’artistes qui se passent le flambeau. Maintenant notre musique a vingt ou trente ans et c’est normal qu’il y ait le même système de transmission.

 

Les origines de la techno parade sont Lyonnaises d’ailleurs, comme toi. C’est un retour aux sources ?

Agoria : Tu fais un raccourci, la Techno Parade n’est pas Lyonnaise, c’est l’association Technopol qui est à l’origine du projet qui vient de Lyon. Mais oui, j’étais là au début, je me souviens de cette salle de conférence où j’ai fait partie des premiers signataires. Tu avais tous les organisateurs de rave, tous les artistes, toutes les petites assos, tout le monde était venu à Lyon pour signer cette sorte de protocole de premier syndicat de la musique électronique. Du coup… j’ai oublié ta question.

 
 

Tu vois ton parrainage comme un retour aux sources ? Une envie de revenir au message originel ?

Agoria : non, je pense pas qu’il y ait de retour aux sources. Au même titre que la techno : tous les deux ans, il y a de la fraîcheur dans le style, on remet une couche de peinture. Je crois pas qu’il faille revenir sur ce message originel, la techno doit aller de l’avant. Il y a beaucoup de choses à faire encore.  

 
 

Malgré tout durant cette semaine de conférences, des questions intéressantes ont été soulevées. Je vais te les poser :

Agoria : houla ! Ça m’effraie.

 
 

Rien de méchant. Par exemple : "comment gagner sa vie comme artiste électronique ? ", c’est intéressant… Ou alors la reconnaissance du DJ en tant qu’artiste.

Agoria : Je ne crois pas du tout que ça soit une vraie question la reconnaissance du DJ…

 
 

Ha oui ?

Agora : ça l’a été et on en a parlé un peu tout à l’heure mais aujourd’hui le DJ est reconnu. Il y a quinze ans quand tu disais que tu étais DJ, t’avais honte, l’image du DJ c’était "boule à facette et sono mobile". Aujourd’hui, il y a une telle commercialisation de DJs tels que David Guetta, que le DJ n’a plus ce côté… branleur. Ce que le grand public a appris des DJs c’est ça. Je pense que maintenant on est relax, on n’est plus comme des bouseux et il n’y a plus ce renouveau là à faire. La SACEM a compris ça il y a dix, douze ans maintenant : quand tu joues en tant que DJ quelque part, tu touches des droits d’auteur comme n’importe quel artiste. Je ne crois pas qu’il y ait encore quelque chose à défendre. Et puis est-ce qu’on va défendre un guitariste ? On n’a pas à se justifier d’être un artiste. Pour certain, un guitariste, ça peut être un branleur, pas un artiste, parce qu’on ne s’y intéresse pas ou qu’on ne comprend pas.

 
 

Dans le cas du DJ, l’instrument est plus flou, moins conventionnel, ce qu’il crée n’est pas clairement défini et même s’il y a trente ans d’histoire de sample, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui tout le monde comprenne que l’on puisse créer avec la création d’autrui.

Agoria : Bah tous ces gens qui pensent que c’est très facile d’être DJ et faire danser les foules, je les invite à se rendre sur des salles de 12 000 personnes, seuls, et de leur faire lever les bras tout en passant une belle musique. Après le débat est éternel sur ce qui est de l’art ou pas. La seule bonne réponse que je trouve à cette question c’est que "l’Art est inutile". À partir du moment où tu fais quelque chose qui n’a pas une utilité productive ou mercantile, tu fais quelque chose d’artistique. Pour moi l’art c’est ça et est-ce que le DJ fait quelque chose d’utile, je ne crois pas.

 

 


Tu as été invité à Rock En Seine, on n’aurait pas vu de techno lors d’un festival de rock il n’y a encore pas si longtemps. Tu crois que la techno s’assimile beaucoup mieux au paysage musical français ?

Agoria : je pense surtout que le France n’est pas pays "dance". Ce que je veux dire c’est qu’il n’y pas de culture club. Donc pour les artistes, comme il y a moins de clubs, ils vont forcément sur des événements qui peuvent permettre de jouer, donc les festivals de rock. Parce qu’évidemment les festivals de rock suivent aussi les nouvelles tendances, ils ont envie d’être en connexion avec les générations nouvelles. Mais je pense que c’est surtout parce qu’on n’a pas de culture club.

 
 

Ça arrive tard aussi parce qu’on n’a pas eu de Detroit ou de Chicago…

Agoria : mais la culture club est pas dingue à Détroit et Chicago non plus, tu sais aujourd’hui…

 
 
 

Oui mais je veux dire qu’on ne les a pas eu aussi intensément en France il y a trente ans…

Agoria : bah si mais avec cinq ans de décalage. Par exemple la Belgique, qui est un pays voisin, où il y a des émissions de radio, des fanzines… quand il y a un lieu qui ouvre, c’est pas du tout la même effervescence que la France où on agit un peu à l’inverse de l’Angleterre. Ici on attend une heure ou deux heures avant de sortir. A Londres les clubs sont tous pleins dès 11h. En France, à 5h les gens comment à rentrer chez eux, à Berlin les gens commencent à sortir parce qu’ils veulent rester jusqu’au lundi matin. En France on n’a pas cette culture du Djing ou du "comment on peut danser pendant dix heures". 

 
 
 

Tu as le sentiment qu’en France c’est en train de changer un peu ? Il y a des initiatives comme la Concrete.

Agoria : Heureusement qu’à Paris il se passe des choses. Mais c’est souvent et malheureusement souvent réduit à Paris parce qu’il se passe peu de choses en France. Il y a les mecs d’Astropolis qui font de très belles choses dans l’Ouest, tu as évidemment ma petite famille des Nuits Sonores à Lyon, quelques trucs dans le sud mais… à côté de villes comme l’Allemagne où tu as deux/trois clubs dans chaque ville, comme Cologne, Leipzig, Hambourg, c’est pas la même chose… Je suis pas jaloux de ce qu’il se passe à l’étranger, c’est pas très grave, on a tous nos petites particularités, faut faire avec. Quand j’ai joué à Rock En Seine, je faisais pas le fier, j’étais pas complétement convaincu, tu sais quand tu joues devant des fans de Noel Gallagher après son concert, tu te demandes comment ils vont réagir. Et c’était génial, bien avant que je commence, il y avait déjà deux/trois milles personnes et puis après d’autres sont encore arrivés. Je pense que c’est un nouveau challenge, on ne mixe pas de la même façon à Rock En Seine, au Panorama Bar ou à la Fabric de Londres. Parce que ce n’est pas le même public. Parfois, j’ai des potes à moi, puristes, qui me disent "putain Seb, t’as pas joué comme d’habitude" et moi ça me dérange pas ça, c’est quelque chose que j’aime bien aussi : faire des choses différentes.

 
 

En même temps, j’ai vu ton live à Rock En Seine, tu passes du Bashmore par exemple, je n’ai pas le sentiment que tu te trahisses

Agoria : Non je ne me trahis pas mais je ne peux pas aller aussi loin, je ne peux pas prendre autant de risques lorsque je joue devant mille mecs qui connaissent ça par cœur et qui sortent en club depuis quinze ans que lorsque je joue à Rock En Seine devant un public hétérogène qui aime la pop, le rock… Donc on est dans une certaine efficacité, dans une recherche d’instantanée plus que dans un vrai travail de fond. Même si j’essaye de rechercher la chose, de l’amener petit à petit, ce n’est pas le même travail.

 
 

C’est marrant que tu me dises ça parce que peu de temps avant son live à Rock En Seine, j’avais rencontré Kalkbrenner, qui a des manières d’ours avec les journalistes – ça le gonfle, je peux comprendre – et qui m’avait dit : "il n’y aucune différence quand je joue en club ou en festival, tu fais ton truc, l’extérieur ou le public ne change rien". Ça m’avait étonné.

Agoria : Du point de vue Allemand, je comprends que ça change rien. Le public des festivals allemand, c’est le même que le public des clubs. En France, quand tu joues à Rock En Seine ou aux Vieilles Charrues, dans des festivals comme ça, ça change. C’est une certitude. Après si tu vas jouer à Astropolis, au N.A.M.E ou aux Nuits Sonores, pour le cadre, il y a rien qui change, parce que c’est le même public, les mecs viennent de partout et ils savent pourquoi ils sont là. Ce sont des événements dédiés à notre musique.

 


Tu as le sentiment de faire quelque chose de plus accessible quand tu es à Rock En Seine ?

Agoria : Evidemment. Je ne vais pas jouer Alva Noto en ouverture. Tu ne joues pas la même chose. Mais attention, je suis pas en train de dénigrer, ça me fait vachement plaisir de jouer devant quinze mille personnes et de me dire à la fin que j’ai rempli mon contrat, que pas un seul ne s’est barré et qu’ils ont gardés les bras en l’air du début à la fin. Je trouve ça aussi excitant que de jouer devant des mecs hyper-pointus qui vont apprécier le truc de la façon dont tu l’amènes. Et c’est ça le travail de DJ finalement, à l’inverse du live où tu joues tes propres morceaux donc tu es dans un cadre délimité. Le DJ peut partir dans toutes les directions, quand il a envie à chaque date. Un coup, c’est plus ambiant, un coup c’est techno dure, mais toujours sans se mentir. C’est vraiment ça le truc.

 
 

Toujours en termes d’accessibilité, je me souviens d’Erwan Perron dans Télérama qui disait quelque chose d’assez flatteur à propos d’Impermanence : "on aimerait oublier tout ce qu’on sait de la techno, pour la redécouvrir avec Agoria". Finalement, est-ce qu’on peut dire – que sans trahir son authenticité – tu fais de la techno accessible ?

Agoria : Oui. Déjà le dernier est plus accessible parce qu’il y a plus de voix donc quand tu as plus de voix, tu interprètes le morceau différemment.

 
 

Oui mais c’est Troxler, Carl Craig, pas des noms connus du grand public.

Agoria : Moi je trouve que c’est très difficile d’écouter un album de techno quand tu as douze morceaux uniquement instrumentaux, très répétitifs. Les albums de techno à l’origine, c’est pour les DJs, c’est des trucs à mixer, ce n’est pas fait pour être écouté chez toi. Ma conception de l’album rejoint celle d’Underworld, des albums que tu peux vraiment écouter, mon école vient plutôt d’ici. Même si en tant que DJ, j’adore la techno "répétitive" mais j’ai souvent dit qu’un des morceaux préférés est TV Victor de Agai , un titre de 70 minutes avec une boucle qui se répète sans fin et où il y a juste quelques petits changements. Ou alors ce que fait Mark Ernestus (Maurizio, ndlr) de Basic Channel, qui est un génie absolu, si tu as l’occasion d’aller le voir, n’hésites pas.

 

 
 
Tu as un nouvel album de prévu ?

Agoria : non, je tourne comme un taré donc j’ai pas forcément le temps de me pencher dessus. J’ai fait quelques remix là, un remix pour Q-Tip, un remix pour Tricky et un remix à paraître sur Visionquest. Mais je n’ai pas eu le temps de faire de musique pour moi. Je pense que je vais m’arrêter de tourner vers Mars prochain parce que ça fait trois ans que je fais ça non-stop donc j’ai besoin de me poser un peu, voir mes proches, ma famille et puis passer un peu de temps en studio après. Donc peut-être en fin d’année prochaine. Mais j’ai pas envie d’être dans la course à la sortie, de devoir me speeder pour sortir un truc. J’ai cette chance. Sinon, j’ai mixé l’album de Kid A qui sortira chez Ninja Tune en début d’année prochaine. Tu avais aimé le live aux Trans ?

 
 

Ouais c’était hyper cool. Il y avait un monde dingue, la Halle est pourtant énorme mais elle en devenait hyper petite.

Agoria : Elle est énorme pourtant cette salle. Mais c’est vrai que mes potes n’ont pas pu rentrer, il y avait des panneaux "désolé, c’est complet".

 
 

Et c’était l’ébauche d’ailleurs l’ébauche de "Forms" ton nouveau projet scénique ?

Agoria : Ouais c’était l’ébauche de "Forms" et tu as vu une version plus aboutie durant Rock En Seine. Quand j’y repense, c’est un risque parce que si tu te ramasses c’est dur… Jouer devant quinze milles personnes qui se font chier…

 
 

Agoria sera le 23 novembre prochain à la Cosa Nostra du Rex. Autres dates : 

26/10 La Plateforme, Lyon
27/10 Paloma Nimes, France
01/11 La Petite Invite, Bikini, Toulouse
02/11 I Boat, Bordeaux
03/11 FORMS @ Nordik Impact Festival, Caen
09/11 Festival Résonances, Dijon
23/11 Rex Club, Paris
21/12 Chabada, Angers