Motor City Drum Ensemble : « mon adolescence a coïncidé avec l’âge d’or du rap »

Danilo (son prénom dans la vraie vie) dit venir autant du funk et du hip-hop que du jazz et du disco. Qui est vraiment Motor City Drum Ensemble, ce batteur de formation au pseudonyme si industriel ? On a rencontré le petit génie allemand à la tête de teigne des banlieues anglaises pour qu’il nous parle de son amour pour la house. C’était dans un canapé super confortable des Transmusicales de Rennes.

Alors comme ça, Motor City Drum Ensemble, ça a un rapport avec Stuttgart ?

Motor City Drum Ensemble : Oui, c’est de là que moi, les Mercedès et les Porsches venons. Quand j’étais plus jeune, à Stuttgart on avait tous dans notre entourage, au moins une personne qui travaillait pour l’industrie automobile. Et puis, les premières soirées techno s’appelaient Motor City Stuttgart. Alors en un sens, j’ai grandi avec cette terminologie. Choisir ce pseudonyme, c’était aussi une façon pour moi de rendre hommage à Detroit, une ville qui m’a toujours fasciné – de la soul à la techno, en passant par la house et le jazz. Ça c’est pour la partie « Motor City ». Et « Drum Ensemble », c’est une référence à ma passion pour les batteries.

Oui, tu as d’ailleurs commencé à jouer de la batterie à l’âge de 6 ans. Et à 11 ans, tu t’es mis à la prod. Ce qui te vaut partout dans la presse musicale l’appelation "petit prodige"…

MCDE : Certains gosses jouaient à la Play Station. Moi j’étais toujours scotché à mon ordinateur, à m’amuser sur des programmes de musique, le genre de logiciels très faciles d’utilisation sur lequel tu peux créer des tracks hyper rapidement. Mais tous les samples étant déjà incorporés au programme, les possibilités étaient plutôt limités. Alors très vite, j’ai eu envie de créer ma propre musique. Je me suis mis à chercher mes propres samples, jouer moi-même du clavier… Je voyais ça comme un grand terrain de jeu. Quand j’ai sorti mon premier skeud à l’âge de 16 ans; dans la foulée je me suis mis à mixer. Tout est venu de façon naturelle.

Qu’est-ce qui te fait le plus plaisir, entre faire de la batterie et bosser sur des samples ?

MCDE : Tu me poses une colle. Que je sois assis devant un clavier, une batterie ou un ordinateur, je crois que je suis toujours mû par le même désir : trouver une mélodie. Mon moment préféré, c’est inlassablement le même : l’instant où enfin, une mélodie se dégage de mes essais. C’est toujours frustrant de rester 1 semaine sur une idée sans jamais qu’une mélodie n’apparaisse.

Et je suppose que ça doit arriver parfois…

MCDE : Ça arrive même très souvent ! Je suis hyper exigeant envers moi-même. Je m’oblige toujours à essayer de toujours faire du neuf avec un même corpus d’influences. Le renouvellement, c’est pour moi le moyen légitime de me dire que je ne suis pas inutile. Il me semble que sans un désir de renouvellement, la musique s’auto-suffit, s’embourbe puis se meurt.

Pourquoi ce retour soudain à la house ?

MCDE : Avant de me lancer dans le jazz, j’étais déjà à fond dans ce que je joue aujourd’hui. Et l’époque où le broken beat a été intéressant a bel et bien existé. C’était au début des années 2000, jusqu’en 2005 je dirais. Puis, ça s’est un peu empatté, c’est devenu répétitif, presque chiant… C’est à ce moment-là que j’ai voulu faire de la house et du disco à nouveau. Tu vois, début 2000, personne ne voulait écouter du Kerri Chandler ou du Loose Joints. Les gens étaient passionnés par soit la minimale, soit la turbine. Mais j’ai probablement été l’un des premiers à remettre tout ça à l’ordre du jour. Et il me semble que c’est le moment pivot où le public a réalisé que de la musique un peu sex et dansante, c’est plus agréable que de la musique sombre et répétitive.

Raw Cuts, ton mix pour Resident Advisor… Est-ce que tu penses que le succès de ces sorties t’ont permis d’être là où tu es aujourd’hui ?

MCDE : Dans les années 90, ne faire que mixer suffisait à réussir. Je pense notamment à Laurent Garnier. Aujourd’hui, avec l’évolution de l’industrie de la musique, les gens n’attendent plus des artistes qu’ils ne fassent que mixer. Il faut aussi produire. Je suis super heureux que l’époque se prête bien à mes goûts. Et de toute évidence, oui Raw Cuts et mes mix m’ont permis de faire connaître auprès d’un public plus large. À la fin de la journée, je suis toujours content de me dire que j’ai réussi à jouer ce qui était underground à une époque, mais qui l’est de moins en moins – en tout cas suffisamment moins pour qu’un public de plus en plus large s’y intéresse. C’est une chance, aujourd’hui, de pouvoir vivre de sa musique sans se sentir dépendant des canons esthétiques du mainstream.

Tu viens de la soul music, du hip hop, du funk… et tu as réussi à amener ça vers la techno et la house. Quel est ton vrai background ?

MCDE : J’ai l’impression de venir autant du funk et du hip-hop que du jazz et du disco. Toutes ces écoles m’ont formé autant les unes que les autres. Mais pour être complètement honnête, mon premier souvenir de goût musical est le métal. Je tiens ça de mon grand frère, qui n’écoutait que ça. En même temps qu’il faisait partie d’un groupe de trompettistes, il était à fond dans Miles Davis et écoutait les premiers tubes pop des années 90. Mais ce que j’ai vraiment commencé à écouter de moi-même a probablement été le hip hop : mon adolescence a aussi coïncidé avec l’âge d’or du rap, au milieu des années 90. Le hip hop a amené mon goût pour le jazz. Je crois qu’on peut dire que j’ai été passionné par le hip hop en tant que continuité du jazz, voire renaissance du jazz.

Tu étais plus east ou west coast ?

MCDE : East, sans hésitation. Pete Rock, Premier, Tribe Called Quest. J’adore ces mecs.

Parle moi de ton processus créatif.

MCDE : De façon générale, j’ai une appréciation très précise du temps que je me laisse pour une track. C’est-à-dire que je ne me presse pas, dans la mesure où je ne me dis pas que je DOIS produire un nouveau morceau. Mais en même temps, je ne me laisse jamais plus d’une semaine. Il faut qu’après une journée de travail, j’ai au moins réussi à dégager quelques éléments de rythmique. Ensuite, quand le morceau est terminé, je vois si plusieurs mois après je l’aime encore, s’il a bien vieilli, si le recul que j’ai pris me fait dire qu’il est encore bon ou pas. Je ne me force jamais à travailler indéfiniment sur un morceau, c’est-à-dire qu’il a encore ses imperfections quand je le sors. Mais disons que sur 5 morceaux que je fais, il n’y en a jamais qu’un seul qui sort. C’est la moyenne. Ce que je peux dire en tout cas, c’est qu’il est toujours plus simple de commencer une track que de la terminer.

Tu as fait un excellent remix de Caribou. C’est un mec que tu aimes bien ?

MCDE : Je l’adore. D’ailleurs, je songe à commencer mon set ce soir par son dernier morceau, un remix qu’il a fait d’un chanteur africain des années 70. Tout dépend si je peux jouer un vinyle ce soir. On verra si y’a le matos et si le jouer en festival n’est pas trop foireux en terme d’acoustique !