Thomas Morfin (Hiphop Mon Oeil)

Première exposition photo sur le rap en France, Hip Hop Mon Oeil est un portrait de groupe, le récit d?une naissance et d?un essor, celui des instigateurs et acteurs d’une autre scène rap française apparue depuis cinq ans, principalement à Paris et en région parisienne. 40 photos, 30 artistes photographiés parmi lesquels La Caution & Les Cautionneurs, TTC & Fuckaloop, Svinkels, Octobre Rouge, Triptik, Birdy Nam Nam…Du 12 janvier au 8 février – galerie Artazart, 83 quai de valmy Paris 10ème.

Rencontre avec le photographe de l’exposition, Thomas Morfin et retour sur la genèse de ce projet audacieux.

Première exposition photo sur le rap en France, Hip Hop Mon Oeil est un portrait de groupe, le récit d’une naissance et d’un essor, celui des instigateurs et acteurs d’une autre scène rap française apparue depuis cinq ans, principalement à Paris et en région parisienne. 40 photos, 30 artistes photographiés parmi lesquels La Caution & Les Cautionneurs, TTC & Fuckaloop, Svinkels, Octobre Rouge, Triptik, Birdy Nam Nam…Du 12 janvier au 8 février – galerie Artazart, 83 quai de valmy Paris 10ème.

Rencontre avec le photographe de l’exposition, Thomas Morfin et retour sur la genèse de ce projet audacieux.

> La galerie Hip Hop Mon Oeil

L’idée de départ était de réaliser un travail photographique qui touche au hip hop, avant même d’avoir déterminé un sujet précis. C’est une musique que j’écoute depuis une quinzaine d’années, depuis mon adolescence, et c’était une évidence pour moi que mon premier sujet photographique serait lié au hip hop et plus précisément à la musique, au rap, qui est l’aspect de cette culture avec lequel j’ai le plus d’affinités et qui me parle le plus, de très loin. Un travail au long court, un documentaire de longue haleine, sur plusieurs années. J’avais cette envie mais pas le sujet… Un sujet qui s’imposait c’était les gens que j’aime dans le hip hop américain, les mecs de la Bay Area par exemple, toute la scène autour de Quannum / Solesides… L’envie d’aller voir une scène un peu à l’ombre et minoritaire, marginale… Mais ce n’était pas possible pour des raisons pratiques et surtout il me paraissait plus excitant de mener ce travail en France.

Le problème c’est que fin 2000-début 2001, je ne trouve pas de gens qui me motivent en France pour me lancer… En même temps je suis le rap français d’assez loin à l’époque. Mon premier rapport avec la “ nouvelle scène ”, je l’ai en me baladant un peu par hasard sur le site d’Assassin, c’est là que je lis quelques lignes sur La Caution et leur maxi “ Les rues électriques ” qu’il me semble avoir entendu une fois sur Nova. Mais je n’en sais pas plus sur ces gens-là à l’époque.
Le deuxième contact, c’est un peu plus tard, début 2001, la mix-tape “ L’antre de la folie ” Malgré le caractère évidemment inachevé, brouillon, ça produit sur moi un vrai petit choc. Il y a là une fraîcheur, un style, une façon de se positionner qui tranchent dès la première écoute. Un morceau comme “ La barre de fer ” sur une instru de TLC, les voix, les thèmes, le côté grand n’importe quoi au premier abord, la liberté de ton et de style me séduisent énormément, et la présence d’un Vadim, de Killa Kela, je trouve ça singulier par rapport à ce que je connais du rap français…

Je fais quelques recherches qui me permettent d’en savoir plus, je tombe sur des gens comme Tekila et Mouloud sur les forums… Je les contacte tous les deux. J’ai trouvé mon sujet à ce moment-là. Je vais suivre ces gens, tous assez différents et qui ont des points de départ très distincts, mais il y a un air de famille, sans qu’il s’agisse d’une famille. Pour moi c’est plus et mieux qu’un simple agrégat d’individualités, il y a quelque chose de commun entre eux, les mecs sont présents sur plusieurs morceaux différents dans différentes combinaisons. Dès le début je n’avais pas l’envie de travailler sur un seul groupe mais sur un phénomène collectif, une “ scène ”… Pour moi c’est comme une coalition, malgré les différences, les rivalités et le souci qu’ils ont de défendre leur singularité, ils sont dans le même camp en général, ils se ressemblent plus entre eux qu’ils ne ressemblent au reste du hip hop français…

Dans le champ du hip hop français il y a des individualités que j’aime beaucoup par ailleurs comme Bams par exemple, mais là ce qui m’intéresse c’est la dimension collective, en plus du côté singulier, alternatif et nouveau. Début 2001 j’ai cette impression qu’une scène émerge, eux-mêmes le revendiquent d’ailleurs, alors je les prends un peu au mot, je fais ce pari, et je me lance dans ce qui deviendra un portrait et une histoire de cette aventure que l’on pourrait simplifier en disant "du Batofar à l’Elysée Montmartre".

Je prends mes premières photos le soir du show-case de la sortie du premier album de la Caution à la Scène Bastille en mai 2001. Ca démarre là. Et juste après je me rends à des répétitions de TTC, plusieurs mois avant la sortie de leur premier album.

Avec au départ Tekila et Mouloud pour intermédiaires et intercesseurs, j’ai rencontré d’autres gens, un réseau s’est créé naturellement… J’ai suivi ceux qui me paraissaient évidents dès le commencement, Triptik, James Delleck, La Caution, TTC et quelques autres… Rockin’ Squat avait une jolie formule "Magnetic MC’s, à Paris y’en a pas 36", et au final entre 2001 et 2005 des MC’s, des Dj’s et des producteurs “ magnétiques ”, bizarres et surprenants j’en ai compté pas loin de 36. Ce qui m’intéressait le plus, c’était le côté “ hip hop à l’état naissant ”, suivre l’émergence de quelque chose sur le long terme, le début d’une histoire avec toutes les promesses que ça représente, et aussi les illusions et les espoirs déçus.

Le choix du noir et blanc et du côté "non posé" des photos ?

J’avais envie de faire autre chose que ce que font les magazines hip hop. Même si parfois je peux trouver ça très bien dans le genre – il y a des images dans “ The Source ” qui ont pu me marquer il y a des années – mais ce n’est pas ma culture photographique, j’ai vraiment une culture de documentaire et de reportage photographique. Je ne me considère pas du tout comme un photographe hip hop, ce sera mon seul travail consacré au hip hop, sauf coup de foudre que je n’exclus pas. Mais mon envie n’est pas spécialement de poursuivre dans cette veine-là. J’aurai envie de passer à tout autre chose, un autre sujet, un autre milieu, un autre univers. Et je trouve qu’autant le côté photo de studio a déjà été fait dans le hip hop, autant la démarche documentaire, dans le rap français, a peu été explorée. Il s’agit d’attendre, de rester en longueur, de prendre son temps, c’est un travail de longue haleine avec des tonnes de temps morts qui ne font pas des photos. J’aime beaucoup les temps morts, je n’ai pas peur de m’ennuyer. Et puis le noir et blanc permet de casser cette imagerie qui est liée à la promotion, à la communication, à toute cette fiction sans doute inévitable mais qui ne m’excite pas beaucoup. Je ne sacralise pas le noir et blanc mais pour ce travail précisément ça me paraissait une nécessité, le signe évident que je me fixais d’autres règles et d’autres contraintes.

Je travaille en argentique avec un Leica M6, un des plus beaux appareils pour le reportage. Le boîtier est extrêmement discret, quand on n’y connaît pas grand chose c’est un appareil qui n’impressionne pas du tout, avec ça autour du cou on peut pratiquement passer pour un touriste, ce qui me convient très bien. Il n’y a pas de téléobjectif imposant et intimidant, ça ne fait pas beaucoup de bruit, et puis les objectifs sont merveilleux : il y a un piqué, un rendu d’image que je trouve superbe, peut-être surtout en noir et blanc.

D’une certaine manière ce documentaire photo est une forme d’hommage. En évoquant ces gens-là, je rends aussi mon tribut à des gens qui m’ont enthousiasmé et parfois éduqué musicalement comme De La Soul, DJ Shadow, Roxanne Shanté, Aceyalone. Une forme de réparation à une musique que j’aime et que je trouve parfois maltraitée, mal montrée. Je n’ai aucun goût pour les photos “ héroïsantes ”, qui fonctionnent à fond sur la glorification, les photos hyper “ viriles ”, je trouve ça en général assez ridicule et je pense que ces images desservent la musique. J’avais envie de montrer différemment un hip hop que je trouve lui-même différent.

L’ensemble des photos ont été prises entre 2001 et 2005 ?

J’ai dû prendre environ 5000 photos depuis le show-case de La Caution en mai 2001. L’année 2003 a été une année assez creuse niveau photo pour des raisons professionnelles et personnelles. Ca a été une année un peu de pause, il n’y a pas de photo datant de cette année-là dans l’exposition. En 2004 je suis revenu avec une espèce d’appétit nouveau. La moitié des photos de l’expo date d’avant 2004, l’autre se situe entre 2004 et fin 2005. Certains groupes ont pris place naturellement dans mon travail, comme les Svinkels, Octobre Rouge, Birdy Nam Nam, des groupes qui ont leur propre univers et originalité mais qui ont collaboré au fil des années à plusieurs reprises avec des groupes que j’avais suivis avant et qui me semblent surtout partir d’une idée proche et “ avancée ” du hip hop.

J’ai découvert ces groupes en cours de route, par exmple Svinkels avec le morceau "Association de gens normals" avec TTC et produit par Para One, un morceau que j’ai trouvé vraiment réussi et révélateur de cette époque-là Concernant Octobre Rouge, je les ai croisés pour la première fois lors de l’émission spéciale “ Rap Not Dead ” sur Nova où je suivais notamment La Caution. Les gars m’ont intéressé, j’ai écouté ce qu’ils faisaient. Un morceau comme "En V.O" me semble une réussite, avec ce goût de la performance technique, je les ai trouvés proches des gens que je suivais à l’époque. Plus tard j’ai découvert Birdy Nam Nam et c’était évident que ce groupe devait figurer dans mon projet.

En réalité, le “ casting ” s’est toujours fait de façon évidente et naturelle, j’ai eu très peu de cas de conscience sur la place ou non d’un artiste dans l’exposition et ce, indépendamment de mes goûts. Il y a des artistes que j’aime humainement ou musicalement et qui ne sont pas dans ce projet et d’autres dont je peux aimer moyennement la musique ou la personnalité mais dont je trouve la présence légitime et nécessaire dans cette exposition. Mais j’ai évidemment un goût pour cette scène-là, sans quoi je n’aurais pas fait ce travail. Cette scène me plaît et chaque artiste photographié m’intéresse à un titre ou un autre.

La grande majorité des artistes photographiés sont de Paris ou de région parisienne, c’était un choix ?

En dehors de Paris et de la région parisienne, j’ai été en connexion avec la bande de Bordeaux que j’ai rencontrée quand je suis allé là-bas pour des raisons professionnelles. J’ai rencontré Kroniker, Rodd….mais à un moment l’activité de certains Bordelais comme Grems et D’Oz s’est déplacée sur Paris et je me suis alors plus attardé sur des individualités que sur l’ensemble de cette scène, qui reste quand même assez autonome.

Y a-t-il des artistes dont tu regrettes l’absence dans l’exposition ?

J’aurais aimé que soient présents Psykick Lyrikah et Abstrackt Keal Agram, ils y avaient leur place même s’ils me semblent eux aussi assez autonomes et plutôt à part, pour des raisons qui tiennent aussi à la géographie. Matériellement ça n’a pas pu se faire, les rendez-vous ont été manqués, les circonstances ne nous ont pas aidés. Mais ce sont de gens que j’apprécie humainement et dont je suis l’évolution.

Quels sont les groupes dont les trajectoires t’ont le plus marqué en 4 ans ?

Il y en a plusieurs mais j’ai par exemple beaucoup de respect pour la démarche de TTC. Je trouve que leur trajectoire a beaucoup de sens. Certains jugent qu’ils font des virages à tout bout de champ et qu’ils s’empressent de brûler ce qu’ils adoraient la veille mais j’aime leur évolution, et j’aime par-dessus tout le fait qu’ils évoluent. Ils cherchent, ils mettent au point une espèce de pop expérimentale dont j’aime suivre les développements, les “ découvertes ” malgré les réserves plus ou moins importantes que je peux avoir à l’occasion. Je trouve leur démarche très intéressante et leur musique – et c’est ce que je pense de cette scène en général – très contemporaine.
Contrairement à une grosse partie du rap français, ils ne font pas une musique d’hier ou d’avant hier mais vraiment une musique d’aujourd’hui qui s’imprègne des musiques d’aujourd’hui, ils ont une culture musicale variée et consistante et ils l’utilisent. J’aime que leur musique soit définie. Il y a tellement de groupes dont la musique est indéfinie, vague et qu’on aurait bien du mal à résumer en quelques mots un peu rigoureux et précis. C’est le contraire de groupes comme TTC ou La Caution. Des morceaux comme "Culminant" ou "Thé à la menthe" de La Caution le paraissent vraiment singuliers, ils ne font à aucun moment penser à une bonne imitation de rap américain. Un titre comme "Baise les gens" du Klub des loosers, je l’ai trouvé très rafraîchissant en un sens et pas du tout anecdotique dans son propos et son attitude.Quelles sont les photos qui t’ont le plus marqué dans ce projet et pourquoi ?

Une des photos que je préfère est celle de Tekila et Tido juste avant un concert. C’est une photo prise au tout début de mon travail lors d’un concert à Dieppe avec Ty et Gonzales qui était accompagné d’une fille charmante que je ne connaissais pas et qui s’appelait Feist. C’est une photo très représentative de ma démarche documentaire. J’aime énormément sa lumière de néon, son côté mal propre, mal léché qui est l’une des choses que j’admire le plus chez le photographe que je place au-dessus de tous les autres, Robert Frank. J’aime aussi beaucoup la photo de Drixxxé, le calme qui s’en dégage, et puis la présence de cette casquette à l’éffigie de Sly Stone. J’apprécie également celle d’Octobre Rouge, lors de répétitions à Vitry. On voit tout le monde et au premier plan il y a Grain d’Kaf, très concentré, à fond dans la répétition de son couplet alors que les autres font autre chose, discutent…J’ai aussi un faible pour celle de Hi-Tekk : il est sur scène mais presque absent. Il s’agit quasiment d’un temps mort : même dans les photos de scène on peut arriver à des moments “ excentrés ”, intermédiaires, d’où peut se dégager une forme de douceur. En photo on n’est pas toujours obligé de passer en force. J’aime cette image parce qu’en pleine action il a en même temps un côté dormeur éveillé que je trouve très beau. La lumière est intéressante également.

On pourra acheter tes photos? Un livre? Les photos seront visibles où après l’expo ?

Les photos pourront être achetées sur place, à des prix raisonnables. Un livre n’est pas exclu, en tout cas les images pourront être vues sur le site hiphopmonoeil.com après l’exposition.

Ton prochain projet ?

C’est sans doute trop tôt pour en parler précisément. Je ne sais pas la place qu’y tiendra la photo mais ce sera lié à l’Afrique, aux femmes africaines et à l’écriture. Ce ne sera sans doute pas sans rapport avec une femme que j’aime.