Emanon

La scène underground californienne est un vivier de talents que la distance et le manque de moyen nous a trop souvent empêché de connaître. Grâce à la structure française Lance-Pierre productions nous avons pu découvrir sur scène lors du concert HipHop Resistance, Aloe Blacc, le rappeur du groupe Emanon. Un mc aussi à l’aise au rap qu’au chant, à l’enthousiasme communicatif, et qui prévoit déjà de revenir en France !

Alors le concert ce soir?

Franchement j’ai adoré, c’est la troisième fois que je viens à Paris mais la première fois que je rappe en France et franchement le public était là, de vrais passionnés!


Une différence entre le public français et le public américain?

C’est à peu près la même chose mise à part le fait qu’ils ne comprennent peut être pas ma langue maternelle, mais ce que j’ai apprécié c’est que même si le public ne comprend pas la langue il participe quand même, réagit, répond, applaudit et ce genre de réaction est vraiment trés important pour quelqu’un qui se donne à fond sur scène. J’ai eu la même sensation que ce soit à Paris, Bordeaux, Châlons ou Grenoble où je suis allé également faire des concerts.
En fait quand je viens rapper dans un pays qui ne parle pas l’anglais, je suis comme un instrument, une guitare, un piano, une trompette, ils ne comprennent pas mes mots mais la mélodie est un language universel, ils doivent ressentir ce que je dis par ma façon de bouger sur scène, la façon dont je vais accentuer certains mots, faire certains gestes, ma voix devient alors comme un instrument et qu’importe d’où tu viens tu dois ressentir les mêmes émotions, les mêmes sensations. C’est vraiment un challenge pour moi. Normalement je suis sur scène avec Exile, mon dj et producteur, là il n’a pas pu venir à Paris, il est en train de terminer les productions de album. En général Exile vient rapper sur un morceau, faut vraiment le voir prendre le micro!


Tu peux résumer le parcours d’Emanon?

On vient tous les deux de Orange County entre Los Angeles et San Diego. J’ai rencontré Exile en 1995, lui était un graffeur et on avait des potes en commun qui étaient graffeurs. Perso j’ai jamais été graffeur, je danse beaucoup, je chante et je me suis concentré sur la rap. Mes potes me l’ont présenté parce qu’Exile sortait une mix-tape et qu’il avait besoin d’un mc. Et depuis on bosse ensemble, on a fait des mix-tapes  »Stretch Marx » et  »Imaginary friends » et  »Dawn’s second coming », des compilations, plusieurs maxis (le premier étant « PSI » b/w « Outside Looking In » sorti en 1997, ndlr) ainsi qu’un Ep  »Acid 9 » en 1998. La prochaine étape est l’album avant la fin de l’année, maintenant que l’on estime que notre son est devenu suffisamment mature.
Le nom Emanon vient d’un morceau que j’ai fait il y a longtemps. J’ai grandi en jouant de la trompette, j’adore Dizzy Gillepsie, le fameux trompettiste, et il avait fait un morceau un jour et ne trouvant pas de nom il l’avait appelé  »Emanon » qui est  »No name » à l’envers. Et un jour, je n’avais pas de titre pour un morceau donc je l’ai également appelé  »Emanon ». Exile a écouté le morceau et quand je lui ai dis le nom du morceau il l’a trouvé bon et m’a dit qu’on devrait le prendre comme nom du groupe. Quant à Aloe Blacc, c’est mon surnom, Aloe pour la lotion (l’Aloe Vera, ndlr), doux et apaisant…


Tes influences.

La scène underground dans le sud de la Californie est vraiment forte, trés loin de la scène gangsta. Un de nos groupes préférés est Mystic Journeymen. Freestyle Fellowship est évidemment un des groupes les plus représentatifs de cette scène. On a tous écouté ce groupe au début des années 90, ils nous soutiennent, parfois on fait des scènes avec eux. La scène de Bay Area est aussi une grosse influence pour nous, j’aime beaucoup Hieroglyphics, Saafir, Hobo Junction, Planet Asia. Personnellement je n’achète pas de gangsta rap mais ça ne me dérange pas que cela existe, plus il y a du rap commercial, plus la scène underground est forte en réaction.
Sinon mes parents viennent de Panama, je suis Afro-latino, donc je suis aussi influencé parce ce qu’ils écoutent, la salsa comme la musique latine de façon générale, j’adore aussi bien la musique brésilienne que Frank Sinatra. Pour revenir au rap en dehors des groupes de Californie, j’ai été influencé par De La Soul, Common, tout le collectif Native Tongues avec notamment Tribe Called Quest. Depuis quelques temps je trouve que Jay Dee et Slum Village font partis des groupes les plus intéressants.
Au niveau du son je dirais également Jazzy Jeff, ses productions sur le nouvel album de Biz Markie sont fabuleuses. C’est lui aussi qui est à l’origine de l’ambiance musicale de Jill Scott.


Tes textes sont souvent socialement engagés.

J’ai fait des études de communications et de psycho-linguistique c’est à dire le dévelopement du language. J’ai également beaucoup étudié tout ce qui touche aux sociètés secrétés, les théories conspirationnistes, le nouvel ordre mondial, la façon dont le monde évolue. J’utilise la musique pour faire partager aux gens ce que je sais et ce que je pense. Contrairement à la plupart de mes potes, j’ai eu la chance d’aller à la fac, d’apprendre et de faire partager aux gens ensuite ce que j’ai appris. Mes morceaux parlent aussi bien des filles, de l’amour, de philosophie, de moi de ma personnalité et de mes émotions, mais aussi ce que j’appelle  »celebration music » faire de la musique juste pour le plaisir d’en faire.


A la manière d’un Mos Def, tu mélanges le rap et le chant dans tes morceaux.

Je chante aussi bien que je rappe depuis 1995, j’ai fait des mix-tapes sur lesquelles je mélangeais le rap et le chant bien avant que j’entende Mos Def chanter sur ses morceaux. On m’entend chanter sur mon premier disque en 1997 et je continue toujours. Ca fait vraiment partie de moi. Je viens de faire un morceau avec les français Jazz Liberatorz et sur la mélodie il m’a paru évident et naturel de chanter à la fin du morceau. par contre ce matin j’ai fait un autre morceau avec Dj Toty (dj du groupe Kabal, ndlr) et là par contre j’ai juste rappé. Ca dépend vraiment de l’ambiance de l’instrumental. Là ça ne collait pas avec ce que m’inspirait le son et ce que j’avais envie de raconter dessus. Concernant les chanteurs de Soul récents, j’écoute D’Angelo, Jill Scott. Stevie Wonder est sûrement le plus grand d’entre tous.


Finalement tu as sorti pas mal de maxis mais on les trouve trés difficilement en France.

Effectivement j’ai sorti plusieurs maxis et Ep mais de façon artisanale, locale. On en a pas pressé suffisamment pour que ça sorte du marché américain voire même du sud de la Californie. On se limitait toujours à 1000 voire 3000 exemplaires. Par moment certains de nos maxis étaient distribués en Allemagne via Groove attack mais ça n’atteignaient pas la France. J’ai sorti également un 7 » sur le label Sub Level Epidemic, deux titres pressés à seulement 500 exemplaires, je vais faire en sorte d’en envoyer quelques uns en France via la structure Lance-Pierre. Sinon je viens également un autre maxi sur le label que deux amis de ma région viennent de monter SingleTone Records. Ceux sont deux titres dans un registre que je n’ai pas l’habitude de sortir en vinyl, deux morceaux  »Battle rap, battle rhymes » vraiment pour m’amuser. Je ne fais en général ce genre de morceau que pendant les concerts mais là j’ai voulu montrer aux gens que je savais faire les deux. Et enfin Dj Cheapshot qui est un ami de longue date et qui a monté le label Spytech Records a contacté Matt qui s’occupe de Ill Boogie, lui a demandé si il était intéressé pour sortir un Ep de notre groupe et Matt a accepté. On a ainsi sorti dans la série  »Ear plug » sur Ill Boogie le Ep  »Anon and on » et via la structure WhyNotMc en France, on est enfin distribué.


On t’a vu sur scène avec un t-shirt  »I Love hiphop ».
Quelle en serait ta définition ?


Franchement le jour où tu arriveras à définir le hiphop sera le jour où le hiphop sera mort parce que le hiphop continue à grandir et à évoluer. Maintenant quand à ce que le hiphop devrait être selon moi, je dirais le mot Liberté. Les gens doivent être libre dans le hiphop de faire ce qu’ils aiment et ont envie de faire. Cela a commencé comme une façon pour les gens de s’exprimer, en dehors de la culture  »dominante », et c’est ça la beauté du hiphop. Tu n’es pas obligé de faire ce que tu vois à la télé, entend à la radio, tu fais juste ce que tu ressens. Regardes un groupe comme Freestyle Fellowship dont la façon de rapper et les sons n’ont rien à voir avec ce qui se faisait dans la côté est, si les gens avaient dit  »Mais ça n’est pas du hiphop », où en serions nous aujourd’hui? C’est pour cela que je trouve qu’on ne peut pas définir le hiphop et si on essaye trop de le faire, ça va le tuer parce qu’on a vraiment besoin de cette diversité. Je dirais donc simplement que c’est un art et une culture.
On parlait tout à l’heure de Company Flow, Cannibal Ox. Je sais qu’il y a pas mal des gens qui crachent dessus, mais ces groupes font complétement partis de la culture hiphop. C’est comme pour Van Gogh dont le génie n’a été reconnu par les gens qu’après sa mort. Je ne dirais pas qu’ils étaient en avance sur leur temps mais c’est clair qu’ils représentent parfaitement la notion de liberté dans le hiphop. La première fois que j’ai entendu Company Flow j’ai trouvé ça vraiment très fort.


Quel artiste représenterait alors le mieux pour toi la façon dont tu vois le hiphop ?

Je dirais Mos Def parce qu’il fait beaucoup de choses et il le fait d’une telle manière qu’il montre aux gens qu’il est libre. Il joue (acteur), il rappe, il chante, il joue des instruments, il présente des émissions, il fait des évenements charitatifs, c’est vraiment bien qu’un mec qui a ce status fasse tout ça parce qu’il se sent libre de le faire.


Tes 5 albums incontournables?






  OC  »Time’s up »
Nas  »Illmatic »
Common Sense  »Resurrection »
De La Soul  »Stakes is high »
Blackalicious  »Solesides Ep »


Y’a t-il un artiste de la scène californienne que tu aimerais que le public français découvre ?

Je dirais Dr Oop de la Black Love Family. C’est un mec qui a beaucoup de charisme, sincère, un rappeur trés talentueux dont les rimes me font souvent délirer et halluciner. Ecoutez le morceau  »Detour » qu’on a fait avec lui!


Tes projets pour les prochains mois ?

On finit l’album avec Exile, je reviens en août, peut être une tournée en Allemagne avec Grand Agent et Oh No, je reviendrais en France en novembre. L’album intitulé  »The waiting room » devrait sortir cette année, peut être sur Spytech Records, on s’est toujours dit avec Dj Cheapshot que notre premier album sortirait sur son label. Maintenant peut être qu’un label un peu plus important nous proposera d’investir dans notre album et on fera alors une collaboration avec les deux labels. En tout cas ça sera un album à priori sans featuring juste Exile et moi.