NME ET LE HIP HOP

On vient d’apprendre que NME allait disparaitre dans sa version papier. C’est ce qu’a annoncé son éditeur et propriétaire Time Inc. (qui édite également Time Magazine, Sports Illustrated, People, Entertainement Weekly ou encore Fortune) dans un communiqué concis qui nous apprend que ce vendredi 9 mars sortira le dernier numéro physique du légendaire magazine anglais.

Même si la nouvelle ne surprend pas le milieu, c’est tout de même un événement quand on sait que ce médium est imprimé et diffusé depuis 1952 par l’impulsion de son fondateur Theodore Ingham. A l’air numérique, le magazine avait déjà réussi à survivre plus longtemps que prévu, notamment grâce à son passage en gratuit en 2015. Cette transformation avait pour but d’assurer une passerelle vers le site Internet. Mais voilà, on a beau s’appeler NME et avoir 66 ans d’existence, les coûts de production, les usages digitaux et les sites concurrents ont eu raison de cette institution en Angleterre.

Bien sur, il existe d’autres grands supports papier sur la musique dans le monde mais les boss de Time Inc. souhaitent désormais se concentrer sur le digital pour ce qui concerne NME qui n’avait pourtant pas loupé le virage Internet dans les années 90 puisque NME.com avait vu le jour en 1996 et revendiquait à l’époque plus de 7 millions de visiteurs par mois.

Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est qu’en plus de 60 ans, NME a accompagné l’histoire de la musique anglaise (et mondiale), en parlant de (presque) tous les genres musicaux et en mettant en avant pas mal de stars d’hier et d’aujourd’hui, surtout de la scène rock. Mais qu’en est-il du rap ? On s’est posé la question et on a cherché un peu en nous focalisant sur les couvertures du magazine. Il y a de nombreux articles sur le sujet mais on voulait vérifier si le fameux adage « Don’t judge a book by its cover » se vérifiait.

 

LE ROCK HISTORIQUE

Ne nous trompons pas. NME n’a jamais été le magazine du hip hop, loin de là. Né dans la période après guerre en Angleterre, il ne pouvait suivre que les artistes locaux. Des groupes comme les Beatles et les Rolling Stones ont naturellement fait sa couverture plusieurs fois dans les années 60.

Dans les années 70, la pop (anglaise) avait été mise en avant à l’inverse de titres concurrents qui étaient déjà passés dans l’air du rythm and blues américain, du rock psychédélique et du rock progressif. Même si le magazine se vendait encore bien, les articles de NME n’était pas considérés comme pointus. Le nouveau rédacteur en chef Alan Smith et son équipe défonçaient le jeune mouvement punk ou la musique électronique barbante d’un groupe allemand nommé Kraftwerk. Déjà, le magazine avait failli disparaitre pour ne pas avoir réussi à suivre les tendances.

 

LA POLITISATION

Dans les années 70, le punk est à son apogée et NME ne peut que suivre le mouvement. Bien qu’ayant recruté Tony Parsons et Julie Burchill, qui deviendront les journalistes de référence de cette scène musicale, l’orientation éditoriale devient de plus en plus politique. Il est fréquent de voir des articles sur la jeunesse et sur le refus des années Tatcher, tout d’abord leader du Parti Conservateur anglais puis premier ministre du pays entre 1979 à 1990.

Ce qui est assez paradoxal, c’est que bien que le magazine ait un peu quitté le périmètre de la musique, il ne s’était jamais autant vendu. Faisant de lui le premier titre au Royaume Uni à l’aube des 80s.

Question musique, le déclic fût peut-être la mort d’Elvis Presley en 1977. C’est vraisemblablement là que l’équipe de rédaction a réalisé qu’un certain rock était parti avec le légende de Memphis. D’autant plus, que les courants issus de l’immigration en Angleterre comme le reggae (couverture avec Bob Marley toutes les années à partir de 1975) ou la soul US frappaient à la porte avec insistance (couverture avec Bobby Womack, Marvin Gaye en 76, Michael Jackson et Prince en 81 ou encore James Brown en 82).

 

LA GUERRE DU HIP HOP

C’est comme cela qu’on avait appelé la petite guerre interne chez NME au moment où il a fallu considérer un nouveau mouvement américain appelé hip hop au début des années 80. La moitié de l’équipe souhaitait parler de ce courant alors que l’autre moitié voulait rester dans le rock.

Comme on a pu le voir, le magazine n’a jamais vraiment su flairer les tendances et force est de constater que le hip hop allait subir le même traitement. Bien que la couverture du numéro du 21 août 1982 avait été consacrée à Grand Master Flash, il aura fallu attendre deux ans pour qu’une autre icône fasse son apparition en la personne d’Afrika Bambaataa. La nuance était qu’il apparaissait avec James Brown (déjà habitué à être en couverture) pour leur titre commun « Unity ».

 

 

Malheureusement, les ventes baissaient à chaque fois que des photos de rappeurs étaient publiées. Le raccourci était tout trouvé pour les détracteurs du mouvement venu du Bronx. Mais ce dernier grandissait peu à peu et aux abords des 90s, NME ne pouvait pas ou plus l’ignorer et avait quand même consacré des articles ainsi que quelques covers pour la forme.

Dans un premier temps, il était tout naturel pour eux de garder un lien avec le rock. C’est pour cela qu’en 85 et 86, seuls les Run DMC avaient eu droit à leurs couvertures. La seconde fois se justifiait par leur collaboration avec les rockeux de Aerosmith sur « Walk This Way ». Ensuite, jusqu’à environ 1994, on pouvait voir de-ci de-là les Beastie Boys, Ice T, Tone Loc ou encore Public Enemy, des artistes rap qui samplaient volontiers du rock dans leur musique.

 

 

Ce n’est « que » vers la fin des 90s que le nombre de covers consacrées au hip hop dépassait l’unité par an. NME arrivait cependant à choper des Fugees (96), Snoop Doggy Dogg (94) ou Eminem (99) pour la sortie de leurs premiers albums cultes. Le magazine avait aussi parlé des 40 ans du hip hop en 2013.

 

LA SCÈNE RAP LOCALE

L’Angleterre a toujours été une terre de musique, inventant et réinventant sans cesse des courants. Soutenir les artistes du pays a toujours fait partie de l’ADN de NME pour des raisons de proximité géographique mais aussi par goût. En dehors du rock, le reggae, la northern soul, l’acid jazz et les musiques électroniques ont eu leur place. Mais force est de constater que la scène rap locale n’a pas bénéficié d’une mise en avant massive.

Il y a bien eu The Streets dans les années 2000 (trois fois en 2002, en 2004 et 2006) mais on avait affaire encore là à un style fusionnant rap et électronique. Pour ce qui est de courants déviants comme la grime, scène héritière du hip hop, du UK garage et de la Drum & Bass, il faudra attendre 2009 (avec Dizzee Rascal) et  2017 (avec Wiley et Stormzy) pour la voir au premier plan.

 

 

Évidemment, on est déjà au 21ème siècle et ce genre de musique est déjà reprise ailleurs sur des sites et des médias plus jeunes, plus modernes et très puissants. Mais quand même, l’ombre de l’époque où le magazine ne raccrochait pas les wagons semble encore planer au dessus de la tête de l’équipe de rédaction.

Peu importe maintenant puisque le format papier disparait. Le travail est néanmoins fait online et on souhaite tout de même que NME vive longtemps dans sa forme numérique.