D’ici quelques jours, vous ne pourrez pas y couper : Compton par-ci, Ice Cube par-là, Eazy E et ses caprices, Dre et ses visions… Tout le monde se sentira contestataire, pensera avoir eu ces idées avant tout le monde. Pas un de vos amis n’oubliera de vous dire « c’était mieux avant », ou le désormais fameux «oui mais MOI, j’ai tout NWA en vinyles.» Hipsters With Attitude.
Mais avant ce déferlement de footix du hip hop, on vous donne l’unique occasion de briller devant ces communiqués de presse répétés et usés jusqu’à la corde. Ou comment l’entertainment US a su mêler sport et musique pour créer un mouvement qui changera durablement le paysage culturel mondial.
Dans le documentaire « Straight Outta L.A.» commandé par la chaine sportive ESPN dans le cadre de sa superbe série « 30 For 30 », Ice Cube raconte, épaulé par Snoop Dogg, comment la légende de NWA et l’éclosion du gangsta rap se sont intimement mêlées à l’équipe de football US des L.A Raiders.
Longtemps basée à Oakland, la franchise de NFL se complaisait dans un marasme sportif et affectif : 19 défaites d’affilée, un stade vide, rien se sourit à une organisation moribonde et condamnée aux bas fonds des classements. 1963 marque un tournant : suite à changement de propriétaires, Al Davis devient le plus jeune coach et General Manager d’une équipe professionnelle et mène rapidement les Raiders au sommet, sur une logique sportive et humaine : « ne te laisse pas dicter ta culture. (Do it your own way) ». Le petit coach blanc à la gueule cassée et aux lunettes fumées est également un activiste des droits civiques, refusant d’amener son équipe jouer dans des villes où blancs et noirs doivent loger dans des hôtels séparés. Le tout premier également à nommer un noir à la tête de son équipe quand il quittera ses fonctions de coach, ainsi que plus tard un latino, et même une femme comme « chief executive ». Un visionnaire. Et un rassembleur.
Les Raiders se mettent à gagner, qui plus est avec la manière. San Francisco est glamour, Al Davis aime jouer le rôle de l’underdog. En 1980, Ronald Reagan accède à la fonction suprême : inutile de préciser qu’à cette époque, la jeunesse blanche est totalement étrangère au phénomène hip hop qui émerge sur la côte Est du pays. Coincé dans son South Central natal, Ice Cube assiste au triomphe des Raiders contre les Eagles de Philadelphie lors du Superbowl. C’est la révélation, et le début d’une love story incandescente. Les couleurs silver and black, les joueurs cools, violents et habités par une rage de vaincre sans précédent, créant l’équipe la plus crainte et gagnante des 70s /80s. Des voyous, mais des champions. Al Davis voit alors plus grand, à tel point qu’il décide de partir à la conquête d’un plus gros marché que la jolie ville d’Oakland, et déménage ses pirates à Los Angeles en 1982. L.A et ses Lakers, avec ce gosse au sourire d’ange : Magic Johnson. L.A et son Coliseum, stade qui accueille les jeux olympiques de 1984. L.A, Beverly Hills et son flic. Une ville qui se prend à rêver de conquêtes sportives annuelles et infinies.
Une autre genre de cuisine est en train de bouillir du côté de chez Cube, loin des paillettes et du showtime. La « Sainte » trinité : gangs, drogue et hiphop. Le début de la grande épidémie crack/cocaïne. Et un sport ultra violent dans une ville qui ne l’est pas moins.
Cube, lui, est un B-Boy du premier jour. Et peu importe si New York revendique (à juste titre) les origines du mouvement. Ice T, lui, s’en fout, et balance son « Reality Rap », en réponse à la brutalité policière omniprésente, comme pour continuer à mieux faire bouillir cette sale marmite. « L.A n’a jamais été un t-shirt mouillé ou une belle plage » se sent-il obligé de préciser. « Quand Cube est arrivé avec NWA, il ne s’est pas présenté comme un groupe, mais comme un gang. C’est de là que vient le gangsta rap, et de nulle part ailleurs. »
Pendant ce temps, les Raiders gagnent toujours et deviennent des superstars, Marcus Allen en tête. « I Love L.A » devient un slogan crédible, repris partout. Cube entretient ses oreilles en écoutant les premières stations hip hop de la ville. Arabian Prince, Eazy E, Dr Dre, puis DJ Yella et MC Ren entrent dans la danse.
NWA avance dans l’ombre, mais aux couleurs des Raiders. Snoop Dogg analyse que « la tête de pirate, les épées croisées, le bouclier, c’était votre démarche : by any means necessary. On ne pouvait pas représenter les p****n de fleurs et les arbres… Silver and black, c’était cette attitude que l’on ramenait à la maison. » Cette image de bad boy ancre encore plus les Raiders dans l’imaginaire de L.A. « Winning your own way », l’équipe devient une marque, voire un accessoire de mode : casquette, tatouages, tout est bon pour s’afficher aux couleurs du club. Le fameux Starter, blouson en satin qui connut ses heures de gloire au début des 90’s, peut couter la vie à ses propriétaires, comme les Air Jordan qui commencent à fleurir sur les pieds des kids.
Quand Ice Cube demande à Snoop s’il les enviait avec leurs fringues estampillées Raiders, ce dernier répond « je voulais surtout être dans le groupe ! ». Pour NWA, tout s’enchaine en 1987 : signature sur un label, premier album, puis « Straight Outta Compton », et les vidéos bannies par MTV. Réaliser une vidéo de hip hop pour un réalisateur blanc était à l’époque le pire du pire. Poison et Metallica étaient mille fois plus valorisant à leurs yeux (allez jeter un coup d’œil aux clips de Poison des 80s, vous allez voir, ça vaut le coup, même après avoir vomi trois fois). C’est pourtant Rupert Wainwright qui s’y colle. « Tous mes potes m’ont pris pour un fou », se marre-t-il, « et deux semaines plus tard, ils me balançaient des YO ! à tout va ».
Si NWA n’a pas le monopole de ce discours, ils y ajoutent une dimension hollywoodienne à grand renfort de sensationnel, et de sapes floquées Raiders. Violence contre autorité, les tribunes du Coliseum Stadium deviennent des lieux de règlements de compte, et toute la rue s’y donne rendez-vous. L’équipe est considérée comme le Darth Vader de son sport, et se retrouve (malgré elle, ou pas…) liée à l’industrie musicale. Le merchandising se chiffre en milliard de dollars, à tel point que l’équipe de hockey qui avait les couleurs des Lakers (or et violet) passe au noir et argent. Silver & Black, des couleurs devenues tellement symboliques dans le rap game que Jay Z a apporté un peu de Californie à Brooklyn en relookant « son » équipe NBA en noir et blanc, reprenant l’imaginaire du « hard work ».
Mais le sport est un salopard, et reprend aussi vite ce qu’il a offert. Les Raiders commencent à flancher, et le cycle tourne au vinaigre : disputes d’egos, histoires de gros sous, rivalité avec San Francisco et son satané Joe Montana, et rumeurs de déménagement à Irwendale qui propose un stade flambant neuf de 65 000 places. NWA connait la même trajectoire, avec les envies de solo de ses membres. Le hip hop a définitivement changé : west coast, c’est gin, juice & girlz. La nouvelle génération est en marche.
Lorsque la ville s’embrase en 1992, l’Amérique prend (enfin) conscience que les années sombres ne sont pas que derrière elle, et regarde en face la violence et la pauvreté qui la gangrène. « Boyz In The Hood », « Menace II Society » ne feront que documenter un peu plus si besoin est une situation qui en 2015 est loin d’être réglée. Ice Cube se demande certainement encore « how to survive in South Central ».
Pourtant le hip hop continue d’aller vers les Raiders, et non le contraire, jusqu’à ce que soudainement, en 1995, Al Davis et ses joueurs retournent exporter leurs talents à Oakland, laissant les angelinos orphelins de LEUR équipe.
Au delà de l’histoire d’un groupe (très brièvement exposée), «Straight Outta L.A» porte un regard critique sur l’interdépendance de l’entertainment made in USA : du pain, des jeux, quelques touchdowns, et des beats pour l’éternité.
Le documentaire en 4 parties :