C’était les 70’s en France, la France d’après la course à la lune, rêve d’espace et du futur. Pompidou imagine un lieu qui verra le jour sous Giscard consacré à la modernité et dirigé vers la musique. Même écho dans la musique où l’on produit comme des cartomanciens, le télescope jamais très loin des claviers. Ces Messieurs ont été samplé par Jay Z, ressuscité par Lindstrom ou ont hanté les programmes de la télé à peine colorisée quand d’autres menaient cette double vie de visionnaire tapis dans l’ombre de leur carrière de variété. Entre Kosmische Muzik allemande et musique acousmatique de du GRM, la France a connu sa période cosmique compilée par Uncle O au sein de Cosmic Machine. Un engin dont on a discuté des rouages avec son auteur.
Ma première impression quant à Cosmic Machine a été la pochette : voir les noms de Pierre Bachelet et Prins Thomas accolés. C’était un choc recherché ?
Uncle O : Absolument pas. Si tu écoutes la discographie de Prins Thomas, il a produit pas mal d’edits avec des morceaux français des années 70, c’est un peu son fond de commerce, il n’y a là aucun cynisme, la musique s’y prête. D’autre part les deux morceaux placés sur ce maxi (Frédéric Mercier et Pierre Bachelet) n’ont pas à nous embarrasser, bien au contraire. Jay-Z a samplé le titre de Frédéric Mercier sur son dernier album dans le titre What We Talkin’ About, c’est plutôt la classe… Et le titre de Pierre Bachelet extrait de la B.O Le Dernier Amant Romantique est très recherché également vu que ce disque datant de 1978 n’est jamais sorti en CD, c’est devenu une pièce de collection. Idem pour la série des Brigades Mondaines de Cerrone, l’album de Frédéric Mercier Pacific , le Black Devil Disco Club de Bernard Fèvre, etc…
En plaçant Patrick Juvet en ouverture de la compilation, ou d’y faire figurer Pierre Bachelet, on a le sentiment qu’au delà vouloir présenter une scène, il y a la volonté de donner du crédit à certains artistes mal connus et souvent considérés comme tocards.
Uncle O : Tocards, le mot semble un peu fort, c’est totalement subjectif, ces artistes ont fait parti du panorama de la pop musique française. Je ne suis pas un inconditionnel de variété ou de la discographie de Pierre Bachelet par exemple, mais il a enregistré ou participé a de nombreux morceaux très intéressants, notamment sur le label Sirocco (Resonance, etc…), assez décalés par rapport à sa discographie « classique », il a d’ailleurs été samplé par Chemical Brothers. Idem pour chacun des artistes qui sont sur la compilation. On voulait faire figurer des titres plutôt obscurs ou beaucoup moins connus des artistes de renom pour montrer leur palette ou leur implication dans la musique électronique.
Des titres comme Magic Fly de Space auraient pu être composé par Lindstrom ou Prins Thomas. N’y a t-il pas une volonté de montrer que la France a été pionnière d’un genre ?
Uncle O : L’exemple est bien choisi car ce morceau a vendu énormément à l’époque, et surtout à l’étranger, il doit y avoir plus de 100 versions de ce morceau qui ont été enregistrées dans le monde. Magic Fly n’a pas pris une ride, il est toujours aussi efficace et la production est parfaite. C’est d’ailleurs le seul tube de la compilation. Ce qui fait la différence par rapport à des artistes étrangers de cette époque ce sont les arrangements et la mélodie qui sont typiquement français, il y a une signature.
D’ailleurs est-ce pour ça que Prins Thomas a été invité à remixer Frederic Mercier ? Mettre en exergue ce lien de parenté ?
Uncle O : Lorsque j’ai commencé à réfléchir à quels artistes contemporains on pourrait demander des remix ou des re-edits, le premier à qui j’ai pensé c’est effectivement Prins Thomas car je savais que c’était sa came. Il y a une tripotée d’autres artistes potentiels qui pourraient faire la même chose sur d’autres morceaux de l’album : Johnny Jewel, Dabrye, Daniel Wang, Todd Terje… c’est sans fin. Tous ces artistes sont fortement influencés par les productions de cette époque.
Si certains artistes sont restés célèbres, la plupart ont fini aux oubliettes. Et concernant ceux restés dans les mémoires, ils sont célèbres pour des faits bien différents. C’était un chat noir la musique cosmique ou alors c’était trop avant-gardiste pour son temps ?
Uncle O : Comme on l’explique dans le livret, il n’y avait en fait pas de réel mouvement cosmique ou électronique en France, contrairement à l’Allemagne, chaque artiste faisait cela indépendamment sans se soucier de ce que faisait son voisin. L’arrivée des machines (synthétiseurs, boites à rythmes) a changé également la perspective. J’ai croisé pas mal de gens qui avaient une certaine gène a écouter ce genre de musiques à l’époque, voire aujourd’hui encore, et qui gardaient ces disques bien cachés. Patrick Juvet a tout de même laissé une empreinte non négligeable dans le panorama de la musique française, il faut quand même se souvenir que I Love America avait charté très haut aux USA et dans le monde entier, ça n’est pas arrivé si souvent dans l’histoire de la musique. On peut également dire que la France à produit pas mal de classiques de la disco que beaucoup de monde nous envie ou respecte (Cerrone, Space, Rockets, Queen Samantha, Max Berlin’s, Martin Circus, etc…).
Beaucoup d’artistes de la compilation bossaient à côté, beaucoup de titres servaient à illustrer des pubs ou des émissions. Comment se fait-il qu’aussi peu de maisons de disques aient tenté de mettre ses disques sur le marché ?
Uncle O : La plupart du temps ces disques étaient des commandes et réellement conçus pour de l’illustration sonore et étaient à 99% entièrement instrumentaux, je suppose qu’ils ne rentraient pas dans un format commercial pour une maison de disques. D’ailleurs la plupart n’étaient pas mis en vente. Aujourd’hui ces disques coûtent des fortunes sur le net et contiennent des pépites absolues que le temps a bonifiées.
Qui plus est j’ai le sentiment que c’est un héritage Français mieux connu et approprié à l’étranger qu’ici (la disco scandinave, les influences du dernier Holden…). Tu as le sentiment qu’on a boudé cette musique ?
Uncle O : A l’étranger ils ne connaissent pas forcément l’histoire ou l’image de ces artistes et n’ont pas la même approche que nous lorsqu’ils écoutent leurs disques. Il n’y a pas d’œillères ou d’idées préconçues. Il semblerait aussi que dans ces années là on rentrait plus facilement dans des niches, quelqu’un qui écoutait du rock ne pouvait (voulait) pas apprécier de la disco ou musique électronique et vice et versa. Aujourd’hui cette tendance semble avoir un peu disparue et on peut reconnaître aisément pouvoir écouter différents styles de musique. Des gens comme Luke Vibert ou Alexis le Tan avec leurs compilations de titres issus d’albums d’illustration sonore ont largement contribué à réévaluer et remettre au goût du jour cette musique.
Comme ce son est né avec la conquête spatiale, peut-être s’est-il démodé quand l’intérêt suscité par celle-ci s’est essoufflé ?
Uncle O : La musique évolue, les sujets aussi. Dans les années 70, le futur c’était l’an 2000, on l’idéalisait. Mais l’espace sera toujours d’actualité, il y a encore des milliers de disques de tous poils qui traitent de ce sujet aujourd’hui aussi bien dans le rock que dans la musique électronique.
Et d’ailleurs, d’où est venue l’idée d’élaborer Cosmic Machine ?
Uncle O : C’est une thématique et un véritable sujet culturel. Cette musique peut nous resituer sur la carte électronique du globe. Si la compilation est un succès nous comptons commencer une collection, le sujet est très vaste. Avec Because Music nous allons tenter de rééditer des albums clefs de cette époque.
Il est dit dans le booklet accompagnant l’album que ce son là doit aussi à notre passé impressionniste. Quel est le rapport avec l’impressionnisme ?
Uncle O : Comme le mouvement pictural, ce son marque une rupture avec l’académisme de la musique de cette époque. Certains artistes se sont employés à créer involontairement un style qui n’existait pas à l’époque, c’est une véritable invention ou création.
Cosmic Machine / Sorti le 14 octobre chez Because